1.2. La libéralisation du transport ferroviaire en Europe : fondements économiques et critique néo-institutionnaliste

Après avoir exposé les caractéristiques de la législation et la conception de la régulation du secteur ferroviaire déployées par les autorités communautaires, nous voudrions maintenant tenter d'en expliciter les fondements économiques, avant d'en présenter une critique du point de vue de la théorie néo-institutionnaliste. Cette interrogation nous semble d'autant plus importante que la réforme des industries de réseau n'est pas une question anodine, comme le souligne avec intensité J-M. Glachant (2002).

‘"La réforme des industries de réseaux est une des grandes transformations économiques des vingt dernières années. Ces industries présentaient jusqu'alors des caractéristiques qui semblaient les séparer de toutes les autres : économies d'échelle ou de gamme jusqu'au monopole naturel ; externalités puissantes, positives ou négatives ; avec une intégration verticale et horizontale poussée. Dans ce cadre, introduire des mécanismes concurrentiels et créer des marchés ouverts constituent une rupture et une innovation majeures [...].", J.-M. Glachant (2002), p. 425.’

Quels sont les soubassements économiques de la libéralisation des chemins de fer proposée par les autorités européennes ? Sur un plan théorique, la proposition de régulation du transport ferroviaire nous semble273 s'inscrire en droite ligne des travaux de la nouvelle économie publique concernant la réglementation du monopole naturel (Kahn, 1971 ; Sharkey, 1982 ; Armstrong et alii., 1994). Fondamentalement, si ces travaux justifient toujours une certaine forme d'intervention publique, cette intervention se veut la plus limitée possible. Leur proposition repose sur deux théories alternatives de la concurrence, mais non exclusives, la concurrence sur le marché et la concurrence pour le marché.

Dans le cas de la concurrence sur le marché, le réseau est ouvert à la concurrence et plusieurs compagnies (l'opérateur historique national et des nouveaux entrants) peuvent prétendre disposer des sillons et des droits au trafic, sur le même réseau. La concurrence ferroviaire s'apparente alors à la concurrence aérienne où la concurrence est visible pour le consommateur qui a le choix entre plusieurs opérateurs.

Dans le cas de la concurrence pour le marché, centrale pour le transport régional et local de voyageurs, la logique est très différente du cas précédent et accorde un rôle plus actif à la puissance publique. Il y a compétition ouverte pour obtenir un marché, mais une fois le marché emporté, le "gagnant", le concessionnaire reste seul présent pour mettre en œuvre le service commandé par l'autorité publique concédante. Dans le cas du transport régional, si la Région aura le choix de l'opérateur, l'usager du transport régional ne l'aura pas. Le système est comparable à celui du marché de la distribution et de l'assainissement de l'eau en France, qui peut être géré en régie publique ou attribué, par concession.

Nous développerons successivement ces deux propositions théoriques en en montrant d'abord les fondements économiques pour en présenter ensuite les limites du point de vue néo-institutionnaliste.

Notes
273.

La lisibilité théorique de ces réformes de la réglementation ferroviaire européenne présente le risque d'être opacifiée par deux phénomènes, rendant notre interprétation plus complexe et discutable. D'une part, cette réglementation apparaît par étape, très progressivement, et ne constitue pas un ensemble cohérent et achevé. D'autre part, la réglementation retenue se trouve souvent être plus le produit de compromis politiques entre des forces opposées que l'expression directe de théories économiques bien comprises, comme le souligne le juriste Géradin D., (1999).