Introduction du chapitre 3

Dans un contexte européen délibérément orienté vers une libéralisation progressive du transport ferroviaire, de fret, puis de voyageurs, la France a fait le pari d'une démarche de modernisation de son secteur ferroviaire, sans démantèlement du monopole historique. Ce choix comporte un risque de persistance de certaines formes de pouvoir de marché à l'avantage de l'opérateur ferroviaire et d'asymétrie d'information en défaveur des autorités publiques de tutelle.

Concernant le transport régional de voyageurs, la loi SRU370 du 31 décembre 2000 a proposé une nouvelle organisation. Cette dernière met les Régions françaises dans la position d'autorité organisatrice, à part entière, tenue de contractualiser avec la SNCF, prestataire unique. Cette nouvelle compétence régionale est l'aboutissement d'un long parcours371 engagé en 1974 avec l'établissement des schémas régionaux de transport, mais surtout en 1982, avec la LOTI372 qui introduit le principe de décentralisation de la compétence transport au profit des collectivités territoriales. Cette loi avait ouvert aux Régions la possibilité de conventionnement avec la SNCF, sans pour autant leur confier les prérogatives d'AO, les laissant de fait, pour reprendre l'expression de P. Zembri (1997b) "en position de relative faiblesse vis-à-vis de la SNCF" [tenues] de subir des évolutions de trafic et de coûts sur lesquelles elles n'avaient aucune prise"373.

Suite à cette difficulté, et dans un contexte de fort repli du trafic ferroviaire régional, le rapport du sénateur H. Haenel (1993)374 proposa de mener cette démarche à son terme et de faire des Régions les AO véritables du service public de transport régional de voyageurs signataires avec la SNCF de contrats de service public. Pour préparer cette réforme, et dans l'espoir de redresser la situation du trafic régional375, il fut décidé de lancer une expérimentation (réversible sur trois ans) de la régionalisation ferroviaire376, menée par six, puis sept Régions volontaires377 pour trois ans à compter du 1er janvier 1997378. L'expérimentation a été ensuite prolongée de deux ans, par la Loi LOADT379, sans autre modification, dans l'attente de sa généralisation. La loi SRU vient, de fait, généraliser cette expérimentation et constitue la troisième étape de la régionalisation des transports ferroviaires.

Étonnamment, le cadre légal sur lequel s'appuie le conventionnement entre l'exploitant ferroviaire historique et les Régions laisse une très grande liberté contractuelle aux deux parties et ne précise pas la nature du "modèle économique" qui régit cette activité de service public. Ce chapitre visera à combler ce déficit et se proposera de déterminer la nature du "modèle économique SNCF-TER" souhaité par le Législateur au travers de l'environnement institutionnel proposé par la loi SRU.

Cette explicitation se déroulera en trois temps et mobilisera une démarche comparative. Dans le premier temps, nous exposerons les dispositions réglementaires qui organisent le transport régional de voyageurs en France, puis nous mettrons l'accent sur trois enjeux particuliers qui caractérisent le déroulement de cette contractualisation depuis 2002 (1.1.). Le deuxième temps nous amènera à comparer les modalités du conventionnement TER avec les schémas économiques des contractualisations pratiquées dans les transports publics urbains (1.2.). Le troisième temps mettra en perspective le modèle contractuel français de régionalisation ferroviaire au regard de ceux régissant l'exploitation des services ferroviaires régionaux de voyageurs dans les autres pays européens, et en particulier en Allemagne et en Suisse (1.3.).

Notes
370.

Loi 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite loi SRU, JO du 14 décembre 2000.

371.

P.Y. Campagne (2004) dresse un très intéressant historique de la longue marche de la régionalisation ferroviaire en France. Son article souligne combien le conventionnement de 2002 a été précédé d'autres formules de contrats entre les Régions et la SNCF.

372.

Loi 82-1153 du 30/12/1982 d'orientation des transports intérieurs, dite LOTI, JO du 31 décembre 1982.

373.

P. Zembri, (1997), Vers une seconde étape de la régionalisation des transports ferroviaires : cause et enjeux d'une mutation délicate", Transports urbains, n°96, p. 17.

374.

H. Haenel, (1993), Rapport relatif à l'avenir de la SNCF, Rapport d'information du Sénat, n°335, 269 p.

375.

La viabilité du transport ferroviaire régional n'était alors pas acquise, tant du coté des Régions que du coté de la SNCF. Nombreux étaient ceux qui, en pleine phase de démarrage du TGV Sud-Est incarnant alors la modernité technique et commerciale de la SNCF, ne voyaient dans les "omnibus" qu'un service désuet, peu performant, déficitaire et bien peu valorisant pour la SNCF. P.Y. Campagne (2004, p. 17) évoque combien cette relance doit à J. Chauvineau, alors responsable du Service de l'action régionale à la SNCF. C'est sous son impulsion que la SNCF commença véritablement à concevoir "attitude innovante et partenariale pour sensibiliser les Régions sur l'intérêt pour elles de cette compétence nouvelle", (P.Y. Campagne, 2004, p. 17).

376.

Cette expérimentation est organisée par l'article 67 de la Loi 95-115 du 04/02/1995 sur l'aménagement et le développement du territoire (LOADT), complétée par l'article 15 de la Loi 97-135 du 13/02/1997 portant création de RFF.

377.

Le Législateur avait effectué cette sélection de Régions pour des raisons de prise en compte de la diversité territoriale et de représentativité de l'échantillon soumis à l'expérimentation de la régionalisation ferroviaire. Diversité sociogéographique d'une part, avec des régions majoritairement rurales (Limousin) et d'autres singulièrement urbaines (PACA et NPC), diversité socio-économique d'autre part avec des Régions "riches" telles l'Alsace ou Rhône-Alpes et d'autres plus "pauvres" comme le NPC ou le Limousin. Recherche de représentativité également, dans la volonté de couvrir une large part du territoire (32%), de la population (38%), de la richesse économique (35% du PIB de 2001) et du trafic ferroviaire régional (51% de l'offre de Tkm de 2001).

378.

Les Régions qui se sont portées volontaires pour l'expérimentation, lors d'une réunion de l'ARF en présence du ministre des Transports en mai 1996, sont l'Alsace, le Centre, le Nord-Pas-de-Calais (NPC), les Pays de al Loire (PDL), Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA) et Rhône-Alpes. Le Limousin rejoindra ce groupe des Régions dites expérimentatrices à partir du 1er septembre 1999.

379.

Loi 99-553 du 25/06/1999 d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire (LOADT).