1.2.3. L'enjeu de la satisfaction des voyageurs au cœur de la dynamique du couple Région-SNCF

En dépit de ces difficultés, force est de constater combien la relation entre les Régions et la SNCF se traduit par une véritable dynamique portée par des initiatives des deux parties. Plusieurs faits en témoignent.

L'implication des Régions en faveur du développement du TER, et de la satisfaction de l'usager du rail, est indiscutable. Elle tient fondamentalement au fait qu'avec la régionalisation ferroviaire, les Régions expérimentent pour la première fois la gestion d'un service public au quotidien et son corollaire, la nécessaire et délicate relation avec les usagers. Elle tient aussi à la prise de conscience des retards considérables qu'avait pris l'activité TER, notamment en matière d'investissements en matériel roulant et dans les gares, mais aussi de qualité de service et de nature des dessertes proposées. Face à cette situation, le volontarisme régional se traduit de manière multiple, tant par les politiques de développement d'offre nouvelle et de recomposition de desserte, que par l'effort financier considérable en faveur de la modernisation du matériel roulant418, de la rénovation des gares et de modernisation des infrastructures419. On retrouve encore ce volontarisme des Régions dans le développement de tarifications régionales spécifiques (Fockens, 2004) et de billettiques, parfois multimodales (Chantérac, 2004)420. Les Régions ont aussi, bien souvent, sollicité des avenants modifiant les Conventions initiales, afin de rendre possible leurs initiatives en matière d'offre, de qualité et de tarifications.

La SNCF, de son coté, a réalisé que même si son produit phare reste le TGV, symbole de l'excellence de l'entreprise publique et du pays dans le domaine ferroviaire, la régionalisation ferroviaire pouvait constituer un pôle de croissance pour son activité de transports public. Cette dernière branche d'activité421, qui regroupe le TER, le Transilien et les Chemins de Fer Corse représente aujourd'hui un quart du chiffre d'affaires de l'entreprise, au même titre que les activités Grandes lignes (dont le TGV), la gestion déléguée de l'infrastructure ou le fret.

Pour gagner ce pari, la SNCF a profondément revu son mode d'organisation, de façon à se mettre en mesure de répondre aux attentes des AO régionales, ses clients "institutionnels", et des voyageurs du TER, ses clients finals. La mise en place de pilotage par axe (Beaumont M.D., 2004), qui révolutionne le mode de production, en est la plus évidente manifestation. Les managers de ligne ont la responsabilité de la réussite d'une ou plusieurs lignes ferroviaires ou routières d'un territoire. En prise directe avec les Etablissements de la SNCF prestataires (le Matériel, la Traction, l'Etablissement Commercial train, l'Equipement, etc.), ils sont, en interne, les relais des Directeurs régionaux TER (DTER) et, en externe, les garants de la qualité de service tant vis-à-vis des voyageurs que des AO régionales dont ils sont les interlocuteurs de proximité clairement identifiés. Dans certaines Régions (Rhône-Alpes), leur action repose sur une double contractualisation : avec les DTER d'une part qui leur assignent des objectifs de trafic, de recettes et de qualité de service, et, d'autre part, avec les Etablissements prestataires. Les acteurs s'accordent pour dire que ce pilotage par axe a permis d'améliorer la réactivité sur tous les sujets de qualité du quotidien, et également de progresser en matière de ponctualité. Dans cet état d'esprit, nous relèverons que de nombreuses Régions avaient déjà été amenées, pour prendre en compte les aspirations des clients, élus et usagers, à mettre en place des instances de concertation locales, de type "Comités de ligne" ou "Comités de desserte", qui regroupent des élus, des associations d'usagers, des acteurs socio-économiques et la SNCF (personnel et direction). Ces instances ont mission d'apporter des réponses concrètes aux demandes exprimées tout en tenant compte des contraintes de calendrier de l'exécution ferroviaire et des possibilités budgétaires. Le pari de la réorganisation de la production semble bien avancé. Cela amène certains à affirmer que le la SNCF appréhende désormais le transport régional, non plus en fonction des contraintes techniques de production, mais selon les besoins exprimés par les acteurs du territoire.

La perspective d'une prochaine mise en concurrence du trafic régional de voyageurs a aussi des répercussions sur l'entreprise ferroviaire. Elle lui impose de prouver sa compétitivité tant en termes de prix que de réactivité face à la diversité et aux évolutions de la demande. La SNCF doit être en mesure d'afficher et de maîtriser ses coûts, une vaste réorganisation basée sur la mise en place de coûts de cession interne clairement identifiés est actuellement expérimentée.422

La SNCF, responsable de la communication commerciale des TER, s'est également assignée l'objectif de mettre en place une véritable politique de gestion de la relation clients, personnalisée et multicanal (Robin, 2004). Cette stratégie se veut cohérente avec les objectifs de conquête et de fidélisation des clients du TER et avec la volonté de la SNCF d'ancrer la marque TER dans un univers et de services et de proximité. Ces objectifs ne sont certainement pas étrangers aux dispositifs conventionnels d'intéressement aux recettes et à la qualité de service rendu aux voyageurs.

Le succès est manifestement au rendez-vous de cette dynamique conjointe de l'opérateur et des AOT, comme l'illustre le tableau suivant.

Tableau 3.7 – L'évolution des performances TER depuis le début de la régionalisation.
  20 régions TER Régions expérimentatrices
  2007 Indice, base 2001 2009 Indice, base 2001 TVAM 2001-2009 (p) 2007 Indice, base 2001 1996-2007 Indice, base 1996 TVAM 1996-2007
Trains-km (1) 117 131 +3,5% 116 145 +3,4%
Voyageurs-km
- fer et route (2)
132 152 +5,4% 128 168 +4,8%
Ratio d'attractivité (2) / (1) 112 116 +1,8% 110 116 +1,4%

Source : Nos calculs d'après données des Régions et de la SNCF. (p) : provisoire.

Un résultat est flagrant et résume cette dynamique de succès commercial de la régionalisation des TER : le trafic des régions qui ont expérimenté la régionalisation, exprimé en voyageurs-kilomètres, a augmenté de 4,8% par an en moyenne entre1996 et 2007, soit de 68% en onze ans (avec une augmentation de l'offre de 45% environ).

Ce résultat s'accompagne d'une élévation de l'attractivité du transport régional : le taux de remplissage, exprimé par le ratio Vok/Tkm, a augmenté entre fin 1996 et fin 2007 de 16%. Ce mouvement s'est poursuivi depuis.

Cette trajectoire ne concerne pas seulement les régions expérimentatrices, elle se retrouve globalement partout. Le trafic TER, toutes régions confondues, s'est accru de 52% depuis fin 2001, soit une progression à un rythme annuel moyen de 5,4%. C'est considérable et probablement inespéré. En dépit de l'effort d'augmentation de l'offre à l'initiative et sur financement régional propre, le ratio d'attractivité s'en trouve sensiblement amélioré : base 100 en 2001, il était de 112 en 2007 et de 116 en 2009423.

Nous relèverons combien, une fois encore est grande la diversité des performances entre régions en matière d'attractivité de leur réseau TER. Le tableau suivant en apporte une éclairante illustration. Si, sans surprise, les régions le plus urbaines connaissent les taux de remplissage les plus élevés, telles PACA, Rhône-Alpes et le NPC, l'amélioration du taux de remplissage ne tient pas seulement de la progression de l'offre, comme l'illustre le contraste en Rhône-Alpes et le NPC. Nous noterons, que des régions rurales ont également réussi à améliorer l'attractivité de leur réseau, comme en témoigne le Limousin.

Tableau 3.8 – L'évolution des performances TER depuis le début de la régionalisation.
  2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2007, Indice base 2001
Alsace 68,6 66,7 67,4 66,5 66,6 73,0 75,5 110,1
Centre 76,6 74,0 75,6 75,7 74,4 78,6 79,5 103,8
Limousin 29,4 27,5 27,7 27,5 29,5 30,2 31,0 105,2
NPC 86,8 81,5 82,4 78,6 77,0 83,1 82,5 95,1
PDL 69,3 68,2 70,6 69,0 69,2 78,6 82,2 118,6
PACA 85,2 81,8 82,5 82,7 88,7 78,7 98,6 115,6
Rhône-Alpes 73,4 71,7 74,6 75,5 82,4 88,7 90,3 123,0
Moyenne des Régions expérimentatrices 69,9 67,3 68,7 67,9 69,7 73,0 77,1 110,3
Moyenne de l'ensemble des 20 Régions TER 68,1 66,0 66,6 65,7 69,2 73,6 76,4 112,3

Source : Nos calculs d'après données des Régions et de la SNCF.

Nous reprendrons pour finir le propos de G. Longuet (2004), ex-Président de l'ARF, selon lequel, avec la régionalisation, deux dynamiques se font jour et devraient s'accentuer au fil des années, transformant radicalement la "culture TER" : la première veut que le TER se forge progressivement une nouvelle culture centrée sur le service au client, la seconde place la concertation et la démocratie de proximité au cœur de cette nouvelle culture.

Par cette première comparaison, nous avons montré que le Législateur a voulu, pour tracer l'organisation de la régionalisation ferroviaire en France, proposer un cadre légal ouvert, laissant aux parties contractantes, les Régions en tant qu'AO de plein exercice, et la SNCF, en tant qu'exploitant ferroviaire maintenu en situation de monopole, le soin de définir les arrangements contractuels les plus appropriés. Face à une situation initiale de forte asymétrie informationnelle à l'avantage de la SNCF et en l'absence de menace de rupture ou d'alternative, les relations AO / exploitant ont été celles d'un "partenariat" condamné à la réussite. Les premières années de conventionnement ont mis à jour plusieurs enjeux. Parmi ces derniers, l'enjeu financier est probablement celui qui questionne le plus la pérennité du développement des politiques TER menées par les Régions. L'augmentation de 15% par an du coût net du TER (inflation non déduite) pour les finances publiques régionales laisse à penser que la poursuite de la progression ce poste budgétaire déjà prédominant n'est pas soutenable. Il resterait à établir dans cette augmentation, la part qui revient à l'accroissement de l'offre voulue par les Régions, au système d'indexation des charges C1-SNCF, à l'évolution des péages et enfin à l'indexation retenue par l'Etat pour sa compensation.

Au-delà, si cette présentation de l'environnement institutionnel de la régionalisation ferroviaire en France, tant par son cadre réglementaire que par les principaux enjeux ouverts par la contractualisation entre les Régions et la SNCF, nous a permis de mieux comprendre la nature des relations entre l'exploitant, l'AO et les voyageurs, elle ne nous a guère éclairé sur la nature et sur l'équilibre du "modèle économique SNCF-TER". Ce dernier reste à découvrir. Pour approfondir sa compréhension, nous nous proposons de comparer le conventionnement TER avec les contrats régissant les relations entre les AO et les opérateurs de transports publics urbains (TPU).

Notes
418.

Voir le tableau 3.6 ci-dessous.

419.

Sensibles à la saturation des capacités des infrastructures, les Régions se sont également engagées aux cotés de l'Etat (Contrat de Plan Etat-Région) et de RFF pour accélérer la modernisation des infrastructures ferroviaires.

420.

Les projets de billettique confirment le caractère partenarial de la relation : si les Régions supportent financièrement le coût des investissements en matériels, ainsi que le fonctionnement de la plate-forme informatique, la SNCF prend à sa charge le développement des logiciels, la conduite du projet et la formation des personnels.

421.

Voir Organigramme de la SNCF, Annexe 1.7.

422.

Le mémoire de Master TURP d'A. Lecadre, (2007), "Le pilotage de l'activité TER Champagne-Ardenne", fournit d'intéressants éclairages sur ce sujet.

423.

Pour les calculs, voir Annexe du chapitre 6.