2.1. Les modèles de contractualisation dans les TPU

Nos observations sur les choix contractuels pratiqués en France dans le secteur des TPU seront pour l'essentiel empruntées aux travaux du Laboratoire d’Economie des Transports (Baumstark L. et alii., 2005 ; Roy W., 2007).

Lors de la conclusion d'un contrat de TPU, une autorité organisatrice est tenue de répondre à deux questions successives : quel sera le degré de concurrence dans la procédure d'attribution du contrat ? Quel sera le degré d'incitation de l'exploitant ou le système de partage des risques d'exploitation dans l'écriture du contrat ? La figure 3.2 empruntée aux travaux de W. Roy (2007) présente l'ensemble des cas possibles sur ce sujet.

Figure 3.2 - Les choix de la structure de gouvernance dans le secteur de transport public urbain.
Figure 3.2 - Les choix de la structure de gouvernance dans le secteur de transport public urbain.

Source : Roy W., (2007), p. 84.

Que nous apprend cette typologie sur l'organisation contractuelle du secteur des TPU en France ? 424 Commençons par les modalités de l'attribution du contrat, en en particulier le degré de concurrence. La situation de loin la plus fréquente est la gestion déléguée, généralement à une entreprise privée, et secondairement la gestion par une SEM (société d'économie mixte). En 2002, Roy (2007, p. 83) relevait que la délégation à une entreprise privée représentait 69% des cas, la délégation à une SEM 21% et, la régie seulement 10%. A la suite de W. Roy (2007), nous noterons que, dans les TPU, cette préférence pour la gestion déléguée est ancienne et semble satisfaire les co-contractants dans la mesure où les changements de mode d'attribution du contrat sont rares. Et pourtant, la délégation est relativement plus complexe que la régie ou la SEM (appel d'offre fermé) dans la mesure où elle nécessite la mise en œuvre d'une procédure d'appel d'offre pour choisir un exploitant. Cette procédure de mise en concurrence doit permettre de sélectionner le meilleur candidat.

Une fois ce choix du titulaire du service effectué, il reste à définir l'équilibre économique du contrat. Ce dernier est donné par la réponse apportée à la seconde question concernant le système de partage des risques d'exploitation. Traditionnellement, le secteur du transport organise les relations entre les autorités organisatrices et les exploitants autour de trois grands risques, le risque industriel, le risque commercial et le risque sur investissement.

1) Les risques industriels

Les risques concernant la production sont habituellement qualifiés par les professionnels de " risques industriels". Ils correspondent aux variations des quantités ou des prix des facteurs de production. Comptablement, ce sont les risques sur les charges d'exploitation, associés aux coûts de production d'une quantité d'output donnée. Leurs causes sont diverses : endogènes (fonctionnement du service, erreur de prévision, mauvaise gestion) ou exogènes (variation du prix de l'énergie, perturbation de la circulation par des travaux). Les contrats prévoient des clauses d'adaptation ou de compensation pour les causes exogènes à l'exploitant.

2) Les risques commerciaux

Les "risques sur recettes", ou "risques commerciaux", sont ceux associés à la vente du service de transport lui-même. Ils résultent des variations de la demande ou des prix de vente. Leurs causes sont largement tributaires de la politique de transport menée par l'AO qui détermine, pour l'essentiel (cahier des charges), à la fois les tarifs et les conditions de l'offre et par conséquent la qualité du service offert. Une partie, faible, des risques commerciaux résulte de facteurs exogènes (évolution démographique, croissance économique) qui interviennent sur l'évolution de la mobilité de la population.

3) Les risques sur investissement

Le transfert par l'AO des "risques sur investissement" est très peu fréquent dans le TPU. Il se présente par un contrat spécifique, un contrat de concession, dont la durée est significativement plus longue que celle des contrats d'exploitation (respectivement 30 ans environ contre 3 à 10 ans sinon). Cette durée tient au fait que le bénéficiaire de la concession doit pouvoir rentabiliser les investissements de départ et de renouvellement dont il a la charge.

Les trois grandes catégories de contrats de délégation, sollicités dans les transports publics urbains en France, se différencient par la nature et la proportion de risques qu'ils font supporter aux co-contractants (CERTU, 1999 ; Baumstark L. et alii., 2005 ; Roy W., 2007). On distingue ainsi habituellement les contrats de gérance, les contrats à prix forfaitaire et les contrats à contribution financière forfaitaire.

1) Les contrats de gérance (G).

Avec un contrat de gérance, l'AO supporte tous les risques, ceux associés aux coûts de production (risque industriel) et ceux concernant les recettes. Dans cette configuration, l'AO récupère toutes les recettes, mais elle rembourse à l'opérateur l'intégralité de ses coûts d'exploitation. En conséquence, l'exploitant ne supporte aucun risque, son profit réalisé équivaut à son profit escompté.

2) Les contrats à prix forfaitaire (PF).

Le contrat à prix forfaitaire, dit aussi "Gross cost contract", repose sur un certain partage des risques. L'AO assume le risque commercial et l'opérateur prend à sa charge le risque industriel. L'AO récupère toutes les recettes et verse au délégataire une somme forfaitaire calculée ex ante à partir de ses seules prévisions de charges. Le différentiel de coûts est donc supporté par l'exploitant, alors que le différentiel de recettes est supporté par l'AO. En pratique, le risque industriel à la charge de l'exploitant est cependant minoré par le fait que les coûts définis ex ante, lors de la signature du contrat, sont ajustés par une formule d'indexation visant à prendre en compte les variations des facteurs exogènes non contrôlés par l'opérateur.

3) Les contrats à contribution financière forfaitaire ou à compensation financière (CFF).

Le contrat à compensation financière, qualifié parfois de "Net cost contract" fait peser tous les risques sur l'exploitant. Dans cette configuration, le déficit d'exploitation anticipé détermine précisément le montant versé par l'AO à l'exploitant. Si au terme de l'exercice, le déficit réalisé diffère du déficit prévu ex ante, c'est au délégataire, et à lui seul, qu'il incombe d'en supporter toutes les conséquences financières (positives ou négatives).

Les distinctions entre ces trois formules de partage de risque gagnent à l'éclairage apporté par la formalisation que nous propose W. Roy (2007)425 et que nous reprendrons. Pour ce faire, nous poserons les notations suivantes :

Tableau 3.9 - Le partage des risques et typologie des contrats de délégation dans le secteur des TPU.
Tableau 3.9 - Le partage des risques et typologie des contrats de délégation dans le secteur des TPU.

Source : Roy W., (2007), p. 87.

L'étude de Roy (2007) apporte deux constats éclairants sur les pratiques de gouvernance dans le secteur des TPU en France. Le premier concerne une tendance, particulièrement forte, en faveur des contrats de type "compensation financière à prix fixes", réputés plus incitatifs. Ils représentaient 50% des cas en 1995, pour plus des deux tiers en 2002. Cette tendance traduit la volonté des AO de faire supporter aux opérateurs une part de plus en plus grande des risques d'exploitation du service de TPU. Le second constat concerne la grande complexité des contrats de TPU, qui combinent en pratique les modalités de plusieurs des configurations types exposées ci-dessus (tableau 3.7). Il n'est pas rare, par exemple, que des contrats de gérance fassent intervenir un système d'intéressement, même minime, en fonction de la qualité de gestion ; ou que les contrats à prix forfaitaire modulent la rémunération de l'exploitant par un intéressement à l'évolution des recettes et/ou de la fréquentation. En outre, les contrats à compensation financière intègrent dans la plupart des cas un partage du risque commercial avec l'AO, souvent asymétrique, à partir d'un certain seuil d'écart des recettes. Au total, Roy (2007) propose une typologie "affinée" des contrats de délégation, que nous reprenons ici (tableau 3.10).

Tableau 3.10 - Typologie "affinée" des contrats de délégation dans le secteur des TPU.
Tableau 3.10 - Typologie "affinée" des contrats de délégation dans le secteur des TPU.

Source : Roy W., (2007), p. 99 (repris de MARETOPE, 2001).

Nous observerons que la contractualisation des TPU en France accorde une place importante aux systèmes économiques incitatifs pour l'exploitant. Cette logique de partage des risques se retrouve t-elle dans la contractualisation TER entre les Régions et la SNCF ?

Notes
424.

L'étude de Baumstark et alii., (2005, reprise dans Roy W., 2007) porte sur 165 autorités organisatrices de province, soit environ 70% des AO recensées en 2002 hors Ile de France. Elle couvre la période 1995-2002.

425.

Cette typologie des contrats de transport urbain n'est pas totalement nouvelle. Elle est inspirée des travaux de Caillaud et Quinet (1993) et de Quinet et Vickerman (2004).