2.2.1. Le TER et le risque industriel : un partage très discuté

Aux dires de la SNCF, et tout particulièrement de son Directeur du service juridique et conventionnement lors des négociations des Conventions de 2002, le risque industriel lié à l'exploitation des TER est intégralement supporté par l'exploitant.426 La citation suivante en apporte une éclairante illustration :

‘"[...] consciente qu'il en va de sa crédibilité d'opérateur fiable qui sait placer le risque industriel sous sa responsabilité, la SNCF a pris un engagement pour les charges qui relèvent de sa responsabilité sur un montant forfaitaire [...] sur la durée des conventions. Le fait de supporter seule les incidences financières d'un éventuel dépassement du forfait constitue un levier très important qui devrait contribuer à une rénovation managériale de l'entreprise". Steinmetz C., (2004), p. 54. Souligné par nous.’

A l'analyse, cette proposition nous apparaît excessive. Elle souffre en pratique de trois restrictions qui en atténuent la portée.

Première restriction, la SNCF ne supporte le risque industriel que sur une partie des charges d'exploitation facturée aux Régions, les charges dites C1, pour lesquelles la SNCF est réputée avoir une liberté d'action. Elles représentaient 80% du compte d'exploitation SNCF-TER en 2002. Ce n'est pas le cas pour les autres charges d'exploitation (dites C2 ou C3), dont la part dans le compte d'exploitation SNCF-TER a fortement augmenté, pour passer de 20% en 2002 à 25% en 2004, principalement du fait de la hausse des péages. Sur ces charges, le risque industriel est totalement nul pour l'exploitant.

Deuxième restriction, la SNCF ne supporte pas intégralement le risque industriel sur la partie des charges d'exploitation TER qui pour autant impliquent directement sa responsabilité (les charges C1). Comme nous l'avons observé dans le cas des TPU, le forfait de charges de l'exploitant est toujours ajusté chaque année en fonction d'une formule d'indexation censée prendre en compte, et donc neutraliser, les variations de facteurs exogènes non contrôlés par l'exploitant, tels le coût du travail charges comprises et le coût de l'énergie en particulier427. La SNCF ne supporte en définitive que les augmentations de ses coûts d'exploitation liés à des facteurs endogènes, qui débordent l'augmentation normale moyenne des coûts de production du secteur du transport. Il est évident que cette neutralisation, par l'indexation, du risque d'évolution des coûts liés à des facteurs externes, suppose de la part de l'exploitant un choix pertinent d'indices et de coefficient de pondération, afin de déterminer le système d'index le plus représentatif possible de ses charges réelles.

Troisième restriction, la SNCF bénéficie très généralement d'une rémunération spécifique, souvent importante, destinée à couvrir ce risque industriel. Cette rémunération additionnelle est calculée comme un pourcentage du forfait des charges C1 versé à la SNCF. L'analyse des 20 Conventions de 2002 montre que ce principe d'une rémunération additionnelle est systématiquement acté (sauf dans la Région Centre), et que le niveau de rémunération figure dans les Conventions TER de 16 régions. Nous observerons que le taux de rémunération de l'exploitant est extrêmement variable d'une région à l'autre, il est compris entre 1% des charges forfaitaires en Bourgogne et 3,8% en Franche-Comté. Sur notre échantillon, il est de 3,5% en PACA et Rhône-Alpes, 3,25% en PDL, 2,6% en NPC, 2,25% en Limousin et de 0% en Alsace. Dans son principe, doit-on le comprendre comme une traduction de la LOTI qui évoque une "juste rémunération du transporteur" (Art. 6) ou comme le fruit de la persuasion du service conventionnement de la SNCF auprès des Régions, dans l'espoir de ne pas déstabiliser l'équilibre financier de l'opérateur historique ?428

Nous serions tentés d'ajouter un quatrième facteur. Si la SNCF s'est engagée auprès des Régions sur les coûts d'exploitation, elle ne l'a généralement fait que sur ceux concernant le périmètre initial, alors que bien souvent, les AO ont fait le choix d'augmenter significativement l'offre de service TER. En moyenne, le nombre de Tkm offert fin 2007 est supérieur d'environ 17% à celui de fin 2001 pour les 20 régions TER (Haenel, 2008b). Nous aimerions connaître le coût de cette offre marginale. Il n'est pas impossible que l'exploitant ait cherché à négocier au mieux de ses intérêts la réalisation de ces nouvelles dessertes.

Symétriquement, il serait intéressant d'inverser la perspective et de s'interroger sur la part du risque industriel lié à l'activité TER à la charge des AO, donc des budgets régionaux. Deux indicateurs nous semblent permettre de suivre l'importance et l'évolution de ce risque, l'un porterait sur les charges C2 ou assimilés, le second concernerait le forfait de charges C1.

Une partie des charges d'exploitation du compte SNCF-TER est intégralement refacturée aux AO régionales, celles relatives aux péages RFF et aux charges de capital sur le matériel roulant. Nous proposons de retenir l'indicateur rapportant le total de ces coûts à la charge des Régions au nombre de train-km. Il est probable que ce ratio augmente significativement, puisqu'il traduit les évolutions de tarifs des péages d'infrastructure, amenés à augmenter significativement vu le besoin de financement de RFF et les efforts d'investissement des Régions dans l'acquisition et la rénovation de matériel roulant.

Les charges d'exploitation C1 peuvent également être porteuses d'un risque industriel pour les Régions. Ce risque peut s'approcher par la différence entre l'indexation de prix prévue par les Conventions SNCF-Régions, pour protéger l'exploitant, et l'indexation de la compensation financière versée par l'Etat aux Régions en contrepartie du transfert de cette compétence. Plus l'écart entre l'indice d'indexation de la dotation générale de décentralisation429 (la DGD est la base du reversement de l'Etat) et le panier d'indices de coûts du transport (base des charges C1 supportés par la SNCF) est élevé, plus le poids financier du TER pour les Régions augmente, à périmètre constant. En raison de la diversité des systèmes d'indexation stipulés par chaque Convention TER, ce différentiel ne sera pas identique d'une région à une autre. Nos contacts avec les Directions Transport des Régions nous ont montré combien, en général, le différentiel d'index sur C1, transfère progressivement une part croissante de la charge financière effective de l'exploitation du TER aux AO430. A périmètre de service identique, par cet effet de ciseau, les AO régionales sont amenées mécaniquement à supporter sur leur budget propre une charge financière croissante. Ce dernier problème implique une autre dimension, la frontière entre l’Etat et les Régions431.

En définitive, le risque industriel lié à l'exploitation du TER est donc, contrairement à certaines affirmations, en réalité partagé entre le délégataire et l'opérateur. Qu'en est-il en matière de risque commercial ?

Notes
426.

Nous noterons que les Conventions TER de 2002 ont très largement repris cette thèse. La formulation généralement employée, dans l'article préliminaire des dispositions relatives au régime financier et comptable, étant la suivante "Les principes de calcul et de modulation de la contribution financière reposent sur la distinction entre les rôles et responsabilités revenant respectivement à la Région et à la SNCF, laquelle assume le risque industriel en s'engageant sur un montant forfaitaire pluriannuel de charges."

427.

L'étude de P. Fillat (2005, p. 72-73) montre que dans la très grande majorité des cas, les Conventions de 2002 ont accordé la plus grande place à des indices représentatifs des charges de personnels. Les indices de coûts salariaux représentent le poids le plus important, de 70% à 78% de la pondération totale. A lui seul, l'indice ICHTTS (indice de coût horaire du travail, tous salariés du secteur des industries mécaniques et électriques) qui est le seul indice à prendre en compte les charges salariales et les charges patronales, pèse souvent de 40 à 50% du total.

428.

C. Steinmetz (2004, p. 53) rapportait : "La SNCF, supportant seule le risque financier de la réalisation du service, le principe d'une couverture des risque et aléas est prévu dans le conventions, exprimée le plus souvent par un pourcentage du forfait de charges. Pour autant, l'équilibre du compte n'est nullement garanti, car il n'est pas prévu d'ajuster ex post la contribution de la Région à cette fin." Cet extrait illustre combien la SNCF était adverse au risque et était désireuse d'un partage des risques le moins aléatoire possible pour elle.

429.

La circulaire d'application de la loi SRU prévoit que la DGD évolue, chaque année, comme la DGF, c'est-à-dire en fonction d'un indice égal à la somme du taux prévisionnel d'évolution de la moyenne du prix de la consommation des ménages hors tabac de l'année de versement et de la moitié du taux d'évolution du produit intérieur brut en volume de l'année en cours, sous réserve qu'il soit positif. Pour 2002 la DGD a augmenté de 4.068%.

430.

L'ARF a commandité une étude comparative approfondie de cette question, malheureusement non publique.

431.

La relation entre l'Etat et les Régions n'est pas toujours écrite sous l'angle de la confiance. P. Zembri (2005) relève et analyse un certain nombre de contentieux, notamment sur les hausses de péages.