2.2.2. Les TER et le risque commercial : un partage entre AO et exploitant

C. Steinmetz (2004) mentionne que le risque commercial relève d'une logique différente de celle qui prévaut pour le risque industriel. Les deux parties détiennent des leviers qui participent à l'atteinte de l'objectif en matière de recettes. Les AO régionales disposent de larges compétences en matière de définition du service et de tarification. La SNCF, pour sa part, est responsable de la communication et des actions commerciales de fidélisation ou de recherche de nouvelles clientèles et de la qualité du service, mais aussi de la distribution des titres et de la lutte contre la fraude. Elle peut également faire des propositions en matière d'évolution des différentes composantes de l'offre. Il résulte de cette co-responsabilité en matière de recettes un mécanisme visant à un partage équilibré du risque commercial.

Ce mécanisme consiste dans la définition d'un objectif annuel de recettes et d'une répartition du risque commercial autour de cet objectif, la SNCF et les Régions assumant conjointement les écarts par rapport à l'objectif contractualisé.

Ce mécanisme de partage du risque commercial repose sur le principe de bande passante (seuils d'écart des recettes par rapport à l'objectif) et de règles de partage des conséquences financières. Nous observerons que le risque sur recettes est très généralement bordé par un pourcentage au-delà duquel les parties conviennent de redéfinir les engagements correspondants (sauf Centre, Auvergne et Languedoc-Roussillon). Cette clause vise à garantir les co-contractants contre les risques associés à un retournement brutal de conjoncture ou plus généralement contre ceux liés à des perturbations exogènes à l'exploitation. A titre d'illustration, nous reprendrons le schéma retenu par la Convention de la Région Alsace en 2002 qui se veut fortement incitatif pour l'exploitant. Le mécanisme, qui prévoit une triple bande passante, repose sur une conception asymétrique du risque commercial Plus l'écart est élevé, plus le poids est mis à la charge de l'exploitant, alors qu'un faible écart, inférieur à 2%, est supporté à moitié par l'exploitant et par l'AO (figure 3.3).

Figure 3.3 - Le partage du risque commercial dans la Convention TER 2002 de la Région Alsace.
Figure 3.3 - Le partage du risque commercial dans la Convention TER 2002 de la Région Alsace.

Source : A partir de la Convention Région Alsace / SNCF, (2002), p. 26.

En pratique, les modalités de partage de risque sont particulièrement variables selon les Régions. Diffèrent d'une Convention à l'autre la part respective de risque supportée par chaque co-contractant, mais également le raffinement du mécanisme. Certaines régions ont souhaité une bande passante sans clause de revoyure (Auvergne), de nombreuses, une double bande passante avec clause de revoyure (PACA, Basse Normandie), et même parfois, une triple bande passante avec clause de revoyure (Alsace). Des Régions ont aussi voulu programmer le rythme de progression de l'objectif de recettes (Rhône-Alpes).

Dans tous les cas, ce mécanisme fonctionne comme une incitation pour la SNCF à atteindre, voire à dépasser l'objectif de recettes assigné, puisque tout dépassement se traduit pour elle par un intéressement. Il semblerait que ce mécanisme ait porté ses fruits, incitant la SNCF à plus de vigilance et d'initiative en matière de lutte contre la fraude (contrôles en gare ; billet valable un jour ; forfaitisation de la régularisation sur les courtes distances ; campagnes de sensibilisation) et à un plus grand dynamisme en matière commerciale visant à valoriser les services TER et à augmenter les recettes (management de proximité ; mise en place de centres relation client ; campagnes de communication nationale et locale ; démarchage de clientèles). Symétriquement, ce mécanisme d'intéressement aux recettes semble avoir également dynamisé les initiatives du coté des AO (multiplication de tarifications régionales et projets de billettique, parfois intermodales ; forte participation des Régions à la rénovation des gares et à la modernisation du parc de matériel roulant).

Globalement, le mécanisme de partage du risque commercial entre exploitant et AO reprend un dispositif bien connu dans les TPU, en particulier dans les contrats de type gestion à prix forfaitaire (GPF). Ceci étant, le partage du risque sur recettes retenu dans les Conventions TER est plus protecteur de l'opérateur, en l'occurrence la SNCF, que la pratique des TPU. En effet, les conventions de TPU abandonnent généralement la totalité des conséquences financières d'un écart au transporteur, dans la bande étroite autour de l'objectif de recettes, alors que dans le cas des TER, la Région en supporte toujours une part.

Au total, l'analyse du partage des risques industriels et commerciaux à l'œuvre dans les Conventions SNCF-TER nous amène à trois conclusions. La première, la plus évidente et corollaire de la forte liberté contractuelle voulue par le Législateur, nous conduit à souligner combien la forte hétérogénéité de conventionnement rend peu pertinente une vision globale en termes de "modèle économique SNCF-TER" unique. La seconde, souligne que la réalité des mécanismes économiques à l'œuvre dans les Conventions SNCF-TER mérite d'être examinée indépendamment des propos des acteurs eux-mêmes. Enfin, en comparaison avec les typologies présentées précédemment dans le cadre des TPU (tableau 3.10), il apparaît que les contractualisations SNCF/ Régions oscillent principalement, en fonction des clauses retenues, entre des configurations de type "GPF" à une configuration de type "CFF avec partage des risques sur recettes" où l'opérateur prend à sa charge l'essentiel du risque commercial. En matière de risque industriel, au-delà d'un affichage en termes de totale responsabilité de l'exploitant, de type "price cap"432, nous avons l'impression que la réalité s'approche plutôt d'une configuration hybride, à tendance "cost plus" 433 où le risque industriel est très largement borné pour l'exploitant, et au final, largement partagé avec l'AO. Il serait alors également possible retenir le modèle de contrat de type "CFF avec partage des risques sur coûts et recettes".

Notes
432.

Nous rappellerons qu'en situation d'asymétrie d'information, où le principal ignore à la fois l'effort de productivité des formes et la capacité technique particulière de chaque entreprise, la théorie des contrats (Laffont J.J. et Tirole J., 1993) oppose deux modalités de contrats optimaux, le contrat "price cap" et le contrat "cost-plus". Dans le premier cas, la firme bénéficie d'un transfert financier fixe de la part du principal, la firme supporte l'ensemble des risques d'exploitation, mais profite des gains de productivité réalisés. Ce contrat, incitatif à l'effort, est intéressant pour les firmes connaissant des coûts plus faibles que la moyenne et/ou des gisements de productivité importants. Dans le second cas, la firme bénéficie d'un transfert financier variable de la part du principal, qui lui rembourse l'ensemble des risques d'exploitation. Dans cette configuration, la firme n'est pas incitée à l'effort, puisque toute baisse des coûts, se traduit par une baisse du prix au bénéfice du surplus du consommateur. Ce contrat, dit "cost-plus", est rationnel pour les firmes qui connaissent des coûts plus élevés que la moyenne et/ou des gisements de productivité médiocres.

433.

Cette observation n'est pas sans conséquence. La théorie prévoit qu'en situation d'aléa moral et de contrat "cost-plus", les efforts de l'agent pour améliorer sa productivité seront faibles, puisqu'il n'y aura pas intérêt. Et, inversement pour une contractualisation de type "price cap". Le fait que la SNCF supporte l'essentiel du risque sur C1 devrait, en toute logique, l'amener à une politique de maîtrise de ses coûts de production, à moins que cette stratégie de recherche de gains de productivité soit contrée par la nécessité de ne pas rompre l'équilibre social interne à l'entreprise SNCF. En effet, toute politique de réduction des coûts implique pour le moins des réorganisations importantes, des externalisations d'activité, voire une modification du statut des personnels défavorables au bien-être des agents. Un suivi des coûts unitaires réels TER serait une façon d'aborder cette question, sensible, et donc confidentielle.