2.2.3. Le partage du risque sur investissement dans le cas des TER

Le rail est un mode lourd. Les investissements nécessaires au bon fonctionnement de l'exploitation d'un service de transport de voyageurs par le rail, sont nombreux et concernent tant le matériel roulant que les infrastructures et les gares. Dans le cas du TER, un certain partage des risques s'est opéré, progressivement, entre les Régions, l'Etat, la SNCF et RFF. Sans disposer des éléments suffisants pour établir un diagnostic exhaustif, il apparaît que le "risque sur investissement" constitue une charge financière croissante pour les Régions, qui se substituent aux autres partenaires, aux capacités financières plus limitées ou moins intéressées par le développement du TER. Nous éclairerons cette thèse par l'étude du partage des responsabilités dans le financement du matériel roulant et des gares.

Concernant le matériel roulant, la pratique de la participation des Régions à son financement, antérieure au conventionnement de 2002, s'est largement amplifiée depuis. Les données suivantes en témoignent (tableau 3.11).

Tableau 3.11 - Les dépenses d'investissement en matériel roulant TER (en millions d'euros, aux conditions de 2002).
Moyenne 1997-2001 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007
Tous financements confondus dont : ND 269,2 470,1 502,8 570,1 ND ND ND
SNCF ND ND 35,2 50,9 41,4 ND ND ND
Régions 230 247,1 434,9 451,9 528,7 632 709 871

Source : SNCF, à partir de Fillat (2005), p. 50 et Haenel (2008b), p. 14.

Dès la première année de conventionnement, les Régions se sont massivement investies dans l'acquisition ou la rénovation du matériel roulant pour le TER. Leur investissement a représenté 435 millions d'euros en 2002, contre environ en moyenne 230 millions d'euros sur la période précédente 1997-2001. Cet effort n'a fait que s'amplifier depuis, avec un doublement du montant des subventions régionales entre 2002 et 2007. S'il est partagé avec la SNCF, qui a elle aussi doublé sa participation, il reste néanmoins porté à plus de 90% par les Régions. Globalement, sur la période 1998-2009, les Régions se seront engagées sur un montant de 4,5 milliards d'euros (aux conditions de 2002) de crédits de paiements d'acquisition de matériel roulant neuf.434 C'est considérable.

Cet effort d'investissement dans le TER supporté par les Régions n'est évidemment pas réalisé sans attentes ni contreparties435. Les Régions sont bien évidemment sensibles à leur image portée par des matériels TER flambant neufs sillonnant le territoire régional. Comment ne pas voir ici le symbole d'une compétence de proximité exercée pleinement au service des usagers et des électeurs-contribuables ? Les Régions perçoivent également l'enjeu de cette modernisation en termes de productivité (d'économie de maintenance en particulier) et de qualité de service. Elle permet de gagner en confort, en accessibilité, y compris pour les personnes à mobilité réduite, et en ponctualité par une meilleure fiabilité. Il importe aussi aux AO régionales de pouvoir accompagner le développement de l'offre ferroviaire par la mise à disposition de capacités suffisantes. Si une partie de la charge financière de ces investissements est supportée par la compensation versée par l'Etat aux Régions, ce doublement des dépenses d'investissement a abouti mécaniquement à amener cette dotation étatique à ne couvrir aujourd'hui qu'un quart des dépenses régionales en la matière (Haenel, 2008b, p. 14) .

Le résultat de cet effort est largement perceptible. Selon C. Steinmetz (2005), entre 2002 et fin 2007, plus de 55% du parc TER aura été renouvelé ou fortement modernisé et la plupart des Régions auront renouvelé 80 à 90% de leur matériel en 2009. La SNCF, de son coté, a également investi dans le TER à travers le financement de la construction d'ateliers ou l'adaptation du matériel de maintenance. Mais cet effort financier de la SNCF n'est pas traduit dans les statistiques à notre disposition.

Le cadre juridique du conventionnement de l'acquisition du matériel roulant est original : les Régions participent au financement à travers une subvention d'équipement, ce qui laisse la SNCF propriétaire de ce matériel et responsable de sa maintenance. Une clause prévoit que la Région peut, au terme de la Convention d'exploitation, choisir d'acquérir la propriété du matériel roulant, sans aucune indemnité, autre que celle qui serait due à la SNCF suite à perte de la mission de maintenance dudit matériel. Ce dispositif a été largement perçu comme "gagnant-gagnant". La subvention régionale étant hors champ d'application de la TVA (19,6%), elle permet à la Région de récupérer la valeur d'un matériel tous les cinq achats. Elle évite aux Régions, qui bénéficient dans la définition de leur besoin et de leur cahier des charges de l'expertise technique de la SNCF, de se présenter en position de faiblesse par rapport aux fournisseurs de matériel ferroviaire. Quant à la SNCF, cette solution la dispense d'avoir à emprunter pour le financement de ces investissements. Au-delà de ces avantages financiers, les Régions peuvent cependant se sentir dépossédées de la propriété de ces matériels qu'elles financent très largement.

Cette politique de modernisation du parc de matériel roulant s'est également accompagnée d'une politique de rénovation des gares en coopération avec les collectivités locales intéressées. Ce programme de rénovation s'appuie sur un des engagements pris par l'Etat dans le cadre de la loi SRU, dont l'article 128 stipule que "l'Etat contribue à l'effort de modernisation des gares à vocation régionale dans le cadre d'un programme d'investissement d'une durée de cinq ans à compter de la date du transfert de compétences".

Juridiquement, la SNCF reste propriétaire des gares, du bâti et du foncier non bâti, qui n'ont pas été transférés à RFF en 1997. La modernisation des gares répond à un double enjeu. Un premier enjeu en termes de qualité de service, puisqu’elles sont la porte d'entrée du transport ferroviaire et portent de ce fait une importante responsabilité dans l'image et l'attractivité du train. Le second défi est de répondre à de nouvelles préoccupations, en termes de stationnement, d'intermodalité et d'accessibilité aux personnes à mobilité réduite. Les sommes consacrées aux gares TER (tableau 3.12) restent modestes comparativement à celles dédiées à la modernisation du parc de matériel roulant. Cela s'explique certainement par les difficultés des montages contractuels entre des acteurs multiples, mais aussi par les tensions entre les AO et la SNCF. Parmi ces dernières, nous relèverons la question de la responsabilité de la politique d'ouverture des gares et des effectifs au guichet (Fillat, 2005, p. 53).

Tableau 3.12 - Dépenses d'investissement dans les gares TER (en millions d'euros).
  2001 2002 2003 2004 2005
Tous financements confondus dont : 11.0 10.3 8.9 10.7 18.7
SNCF 6.9 4.1 3.0 3.7 12.0
Subventions des collectivités locales 4.1 6.2 5.9 7.0 6.7

Source : SNCF, à partir de Fillat (2005), p. 52.

Cette seconde comparaison, entre les contractualisations pratiquées dans les TPU et en matière de transport régional de voyageurs, nous aura permis de mesurer combien leur environnement contractuel respectif est actuellement fort éloigné. Alors que dans les transports publics urbains, les risques d'exploitation, tant industriels que commerciaux, pèsent très largement sur le concessionnaire, ce n'est pas le cas aujourd'hui dans le transport ferroviaire régional de voyageurs. Au contraire, les contractualisations SNCF/Région, nées de la loi SRU, révèlent un exploitant ferroviaire encore très largement adverse au risque, qui a su pour l'essentiel faire prévaloir son point de vue auprès du Législateur et des Régions, nouvellement AO pour la plupart. En outre, la grande disparité des clauses contractuelles, selon les Régions, en matière de risque industriel, mais plus encore de risque commercial, devra nous amener à une analyse fine de l'équilibre contractuel spécifique à chaque Convention régionale.

Notes
434.

C. Steinmetz, (2005, op. cit., p. 54).

435.

Pour une réflexion sur les conditions et les influences qui ont amené chaque Région à poser la place du ferroviaire dans les politique publiques de transports, notamment par rapport aux projets d'infrastructures routières, voir A. Faure (2007).