3.2. La régionalisation ferroviaire en Allemagne : précoce et dérangeante pour l'opérateur historique

Le cas allemand est triplement intéressant pour éclairer le "choix français". L'Allemagne, avec une réforme en 1994, fait figure de pionnier dans la mise en œuvre des réformes structurelles ferroviaires en général et de la régionalisation ferroviaire en particulier. Nous disposons maintenant de 15 années de recul. En outre, son "modèle ferroviaire" combine à la fois une structure fortement intégrée et une réelle introduction de la concurrence dans l'exploitation des services de voyageurs (et de fret). Enfin, ces deux marchés ferroviaires, français et allemand, sont initialement assez similaires, tant par la taille de leur opérateur historique que par les données d'offre et de trafic452.

Pour comprendre ce modèle allemand, il importe d'en rappeler certaines caractéristiques qui font de l'Allemagne un pays favorable au transport collectif. L'Allemagne bénéficie, et c'est essentiel à la pertinence d'un mode de transport "lourd", d'une des plus fortes densités de population des grands pays européens avec plus de 230 habitant au Km², contre 240 au Royaume-Uni, 196 en Italie et 93 en France. Elle est aussi contrainte par la saturation des réseaux routiers urbains, périurbains et autoroutiers et marquée par un climat de sensibilité croissante de l'opinion publique vis-à-vis des atteintes à l'environnement. Confrontée depuis 1989 à l'unification entre les Lander de l'Est et de l'Ouest, elle connaît une forte augmentation de la mobilité entre ses parties orientales et occidentales. A la différence du réseau français très centralisé, le réseau ferroviaire allemand, très dense, est particulièrement maillé, corollaire de la grande homogénéité de la répartition des agglomérations sur le territoire.

En dépit de ce contexte favorable, la situation financière devenue insoutenable453 et la volonté de traduire rapidement les évolutions réglementaires du premier paquet ferroviaire, ont amené le Gouvernement allemand à initier une vaste réforme de ses chemins de fer dont il escomptait un véritable renouveau du rail au meilleur coût pour la Collectivité.

Nous commencerons cette étude de la régionalisation ferroviaire allemande par une présentation du cadre institutionnel de la réforme (3.2.1.), puis nous nous intéresserons à son impact sur la structure du marché ferroviaire (3.2.2.), et enfin sur les finances publiques et les voyageurs (3.2.3.).

Notes
452.

En 2000, le réseau ferré allemand présentait 36 600 km de voies, contre 32 500 en France ; le trafic de voyageurs était respectivement de 74 400 millions de vok contre 69 600 millions et le groupe DB employait 222 000 personnes, pour 175 000 pour l'EPIC SNCF (ERRAC, 2004).

453.

S. Goujon (2004b) mentionne que la DB AG affichait un déficit de 8,2 milliards d'euros en 1993 pour un endettement de 33,5 milliards d'euros.