3.2.1. La régionalisation ferroviaire en Allemagne portée par la réforme des chemins de fer de 1994

Aux yeux de certains observateurs (Guihery et Perez, 1998), cette réforme marque une rupture majeure avec la politique traditionnelle des transports, caractérisée en Allemagne par une forte influence de l'industrie automobile et routière, piliers de l'économie et de la société allemande.

La réforme de 1994 (initiée par une loi du 27/12/1993), de l'organisation des chemins de fer allemands, a reposé sur trois volets.454

1) La structure de la Deutsche Bundesbahn, l'opérateur historique, fut d'abord sujette à une profonde réorganisation visant, classiquement, à une séparation horizontale et verticale des activités et par la suite à une filialisation, dont le terme semblerait être une privatisation.

Cette réorganisation a commencé par la fusion de la Deutsche Bundesbahn et la Deutsche Reichsbahn, les deux opérateurs ferroviaires historiques, de l'Allemagne de l'Ouest et de l'Est, en une entité nouvelle, la DB AG455, de statut privé, ayant comme actionnaire unique le gouvernement fédéral.

Cette fusion a été accompagnée d'une séparation des activités de la DB AG en quatre divisions indépendantes :

  • le transport régional de voyageurs (DB Regio AG) ;
  • le transport de voyageurs à longue distance (DB Reise & Touristik AG) ;
  • le transport de marchandises (DB Cargo AG)
  • la gestion de l'infrastructure (DB Netz AG).

Une cinquième division "gares de voyageurs" (DB station & Service AG) sera créée en 1997 et les deux unités de passagers (DB Regio AG et DB Reise & Touristik AG) seront fusionnées en 1999. Aujourd'hui, l'organigramme simplifié de la DB AG se présente de la manière suivante (figure 3.4).

Figure 3.4 - Organigramme simplifié de la DB AG.
Figure 3.4 - Organigramme simplifié de la DB AG.

Source : Keller F., (2009), p. 58.

Cette réorganisation fut encore approfondie en 1999 par la transformation de chacune de ces unités en sociétés anonymes (filiales) faisant partie de la holding DB AG. Cette réforme devait rendre possible, à terme, une privatisation (partielle) de l'exploitant ferroviaire historique456.

La DB AG reste donc, pour l'instant, une société horizontalement et verticalement intégrée, puisque les différentes activités sont conservées au sein d'une même structure, une holding responsable de l'orientation stratégique du groupe. La séparation entre les fonctions de transporteur et celles de gestionnaire d'infrastructure, établie par la réforme de 1994, ne repose que sur une simple séparation organisationnelle, et non pas institutionnelle, comme en France. Si comme le souligne S. Goujon (2004b, p. 16), cette organisation présente probablement des avantages en termes de coûts de transaction et de coordination des activités, en particulier pour la planification de l'allocation des sillons, elle présente aussi de nombreux inconvénients pour les nouveaux entrants. Bien que cette organisation soit conforme avec les directives européennes, il n'est pas certain qu'elle donne toutes les garanties nécessaires à un traitement équitable et non discriminatoire des nouveaux opérateurs457.

2) Le second volet de la réforme se concrétisa par la création de deux organismes, un régulateur et une structure dédiée à la gestion de la dette.

  • L'Office Fédéral des Chemins de Fer, le EisenbahnBundesAmt (EBA), organisme régulateur, fut chargé de veiller au respect des règles de concurrence et d'accès au réseau (il traite les contentieux), et de vérifier la conformité aux normes de sécurité (certification des matériels roulants, des équipements et des nouvelles infrastructures). Il assure aussi la coordination et le suivi des projets d'infrastructures, ainsi que leur montage financier. Nous relèverons que le Gouvernement fédéral est chargé de l'extension et de la conservation du réseau, et doit de ce fait financer les nouvelles constructions et remplacer les équipements. La DB Netz, propriétaire de l'infrastructure, doit financer les travaux de remise en état et d'entretien et reçoit pour ce faire des subventions non remboursables et des péages des entreprises ferroviaires.
  • Pour permettre au chemin de fer allemand de repartir sur de bases financières assainies, l'Etat allemand a accepté de prendre à sa charge le poids du désendettement et des pensions de retraite des personnels relevant du statut de fonctionnaire. Ces missions furent confiées à un organisme fédéral, le BundesEisenbahnVermögen (BEV), qui fut doté des actifs financiers et immobiliers des deux compagnies ferroviaires historiques nationales.

3) Le troisième volet de la réforme, la régionalisation du transport de voyageurs, est intervenu deux ans plus tard, le premier janvier 1996. Il s'agit essentiellement d'un transfert, de l'Etat fédéral aux seize Länder de l'organisation et du financement du transport collectif régional de voyageurs, tant par fer, tramway, métro que par bus (d'une distance maximale de 50 kilomètres ou d'une durée maximale d'une heure). En application de cette loi de régionalisation, le Gouvernement fédéral verse directement au Land, et non plus à la DB, des compensations financières pour l'exploitation.458 Le Länd les attribue librement au transport ferroviaire ou à d'autres modes de transport collectif, à la DB ou à tout autre compagnie désignée pour remplir ce service.

A charge pour les Länder de définir les entités investies de ces fonctions d'autorité organisatrice de transport local (urbain et régional). La loi rend possible plusieurs organisations. Les Länder peuvent exercer eux-mêmes cette compétence, directement ou indirectement par l'intermédiaire d'une société de droit privé sous leur contrôle, ou transférer cette responsabilité à un échelon infra-régional (communes ou communautés de communes par la formation de groupements d'intérêts).

Dans une phase transitoire, les Länder pouvaient adjuger (mais ce n'était pas une obligation) certaines lignes à des opérateurs privés (nationaux ou non) et accorder des concessions de services publics459. Depuis 2004, les Länder n'ont plus la possibilité de négocier des contrats de gré à gré avec l'exploitant public historique, la DB Regio, et doivent systématiquement passer un appel d'offre.

La régionalisation ferroviaire a donc été l'occasion d'ouvrir le réseau à d'autres exploitants que la DB, donc à générer de la concurrence. 460 Quelles en sont les conséquences ?

Notes
454.

Pour une synthèse de la réforme ferroviaire en Allemagne, voir CER (2005a).

455.

AG signifiant "AktienGesellschaft", c'est-à-dire société par actions.

456.

Cette ouverture du capital de la DB AG à des capitaux privés a été ardemment défendue auprès des pouvoirs publics allemands par H. Mehdorn, son impétueux" ex-Président, au motif que cette opération permettrait au groupe ferroviaire, endetté, d'obtenir les apports en capitaux nécessaires à ses acquisitions à l'étranger. La crise financière de 2008 a amené le Gouvernement à ajourner cette privatisation.

457.

S. Goujon (2004b, pp. 18-19), op. cit., signalait qu'une réforme de la tarification des péages effectuée en 1998 avait donné lieu à une réclamation d'opérateurs régionaux devant la Commission anti-trust allemande (Bundeskartellamt), arguant que cette réforme favoriserait la DB AG en raison des réduction accordée en fonction du volume du trafic de l'opérateur. Cette réforme tarifaire, qui dans certains cas, faisait bénéficier la SB Regio de coûts de péages de 25% à 40% inférieurs à ceux de ses concurrents prives, fut invalidée par une décision du 8 septembre 2000 et 20 mars 2001.

458.

S. Goujon (2004b), op. cit., relevait que Berlin accorde pour le transport régional une aide annuelle de 6,745 milliards d'euros depuis 2002, somme qui augmente chaque année de 1,5% jusqu'en 2007.

459.

Depuis une loi de 2003, une troisième possibilité existe : celle, pour une exploitant, de faire une proposition spontanée de contrat au Land. En cas d'acceptation par celui-ci, le contrat est alors conclu pour dix ans.

460.

F. Enver (2006b) présente un intéressant commentaire de la libéralisation du transport régional de voyageurs en Allemagne.