Conclusion du chapitre 3

Nous avons, dans ce chapitre, questionné la nature du choix français de réforme du transport régional de voyageurs voulu par le Législateur au travers de la loi SRU, en prolongement de la LOTI qui conférait à la SNCF le monopole d'exploitation sur le réseau national. Nous nous sommes tout particulièrement attachés à déterminer la nature du "modèle économique SNCF-TER" sous jacent à cet environnement institutionnel particulier.

Nous avons d'abord observé que le Législateur en France, a retenu, pragmatique519, un cadre légal ouvert. Fidèle au principe de "mise sous pression" progressive de l'opérateur ferroviaire historique, le Législateur a veillé à laisser de larges initiatives aux parties contractantes, permettant ainsi de concilier les intérêts, en partie contradictoires, des Régions et de la SNCF. Il en résulte un "modèle économique TER" original, cohérent avec l'histoire administrative, très jacobine, de notre pays, non déstabilisateur de l'équilibre économique (précaire) de l'exploitant ferroviaire, mais faisant prendre aux Régions, nouvelles autorités organisatrices de transport, le risque de subir des comportements opportunistes de leur prestataire "obligé", en raison de la forte asymétrie informationnelle initiale entre elles et l'exploitant ferroviaire. Devons-nous voir dans la forte augmentation du coût de la politique TER pour les finances régionales la traduction de ce risque ? En 2007, le compte SNCF-TER sollicite les contributions publiques pour un montant de presque 3 milliards d'euros, soit presque 50% de plus qu'en 2002. En masse, son impact sur les finances régionales est considérable, désormais premier ou deuxième budget des Régions, la charge nette pour les budgets régionaux, bien que très disparate, s'est accrue considérablement, de 15% par an en moyenne entre 2002 et 2007 (inflation non déduite). Dans l'attente d'une analyse plus fine des déterminants de cette augmentation, que nous espérons de la mesure des frontières de prix avec la méthode des comptes de surplus, nous ne conclurons pas.

En comparaison avec les pratiques de contractualisation généralement observées en transports publics urbains en France, le "modèle économique SNCF-TER" s'avère respectueux d'un monopole historique adverse au risque. Le risque industriel est, en définitive, partagé avec les AO, tout comme le risque commercial. Quant au risque sur investissement, l'état d'obsolescence, tout particulièrement du matériel roulant, mais aussi des gares et de l'infrastructure, a progressivement amené les Régions à s'investir fortement dans ces domaines, leur faisant lourdement supporter ces charges, peu compensées par l'Etat. Face à ces trois risques, la grande liberté accordée aux co-contractants, a amené à un partage des risques, à l'observation, bien différent d'une Convention à l'autre.

Enfin, au regard des modalités retenues par les réformes du transport ferroviaire régional de voyageurs mises en place par nombre de pays voisins, l'acte I de la régionalisation ferroviaire française témoigne d'un choix plutôt rétif à la concurrence. Plus précisément, par comparaison, la situation de la France apparaît originale, fermée aux dynamiques de la concurrence pour l'attribution des contrats, et assez peu incitative dans la nature même de ces contrats.

En conclusion de cette approche comparative, nous serons tenté de faire notre le propos du député européen Gilles Savary (2004)520. La loi SRU, et donc la reconnaissance aux collectivités territoriales régionales des prérogatives d'autorités organisatrices de transport jusqu'alors monopolisées par l'Etat, est certes une étape importante, mais elle ne permet pas encore d'assimiler la régionalisation ferroviaire à la française à ce qui se passe dans de nombreux autres pays de l'UE depuis le milieu des années 1990.

‘"En effet, la loi française confère aux opérateurs historiques nationaux – SNCF et RATP essentiellement - un rôle de monopole fonctionnel en en faisant des interlocuteurs uniques et exclusifs des autorités organisatrices locales. Ailleurs, dans au moins 8 pays de l'UE sur 15 (Allemagne, Danemark, Finlande, Grande-Bretagne, Italie, Pays-Bas, Portugal, Suède), les collectivités locales sont non seulement compétentes en matière de transports ferroviaires régionaux, mais elles sont souveraines dans le choix de leurs opérateurs qui peuvent être indifféremment publics ou privés [...]."521

Aux dires de l'auteur, la loi SRU laissait donc la France à la croisée des chemins, dans une position très inconfortable, vis-à-vis de ses partenaires européens. En effet, comment ces derniers pouvaient-ils durablement accepter ce double jeu des autorités françaises, "monopoleur à l'intérieur, compétiteur à l'extérieur" ? Habillement, l'auteur relevait combien tant la SNCF, avec Kéolis, que la RATP, avec Transdev, sont activement présentes à l'étranger, au coté de groupe privé comme Véolia, avec Connex. Il importe, en définitive, de choisir entre un projet industriel dans un cadre concurrentiel européen ou le maintien d'un monopole national. Le règlement OSP va finalement amener la France, peut-être en partie malgré elle, à dépasser très prochainement ce dilemme.

Ceci étant, ce choix de "mise sous pression" progressive était peut-être, initialement, le seul réaliste dans le contexte français de forte tradition centralisatrice, de culture technique et de forte tradition d'entreprise et de service public ?

Au-delà du schéma contractuel commun maintenant explicité, la grande diversité conventionnelle que nous avons commencé à observer, rend une approche globale insuffisante. La compréhension, en profondeur, du "modèle économique TER" nous impose donc de décoder les formes organisationnelles particulières inscrites dans la diversité des Conventions bilatérales.

Notes
519.

Nous soulignerons à nouveau combien le choix de réforme effectué en France s'oppose diamétralement à celui du Royaume-Uni. Alors que le premier a fait le pari d'une modernisation et d'une ouverture à la concurrence "pas à pas", le second, à l'inverse, optant pour une logique de "big bang", a poussé le plus loin possible la désintégration de l'opérateur historique. Une comparaison de ces deux extrêmes est de ce fait intéressante.

520.

Gilles Savary était alors Vice-président de la Commission Transports et Politique Régionale du Parlement Européen.

521.

Savary G., (2004), "La régionalisation ferroviaire française sous pression du marché intérieur européen", Revue Générale des Chemins de Fer, p. 103.