Introduction du chapitre 4

Dans la perspective de l'économie des contrats, et en proximité avec la théorie néo-institutionnaliste, nous viserons dans ce chapitre à éclairer les arrangements institutionnels inscrits dans les conventions d'exploitation et de financement du TER, liant la SNCF et les AO de transport régionales.

Nous commencerons par proposer une initiative méthodologique, inspirée de la théorie de la firme et de la co-traitance, mais aussi de la théorie néo-institutionnaliste, à partir de laquelle nous obtiendrons une matrice d'analyse des formes de gouvernance523 à l'œuvre dans la régionalisation ferroviaire française (4.1.). Nous appliquerons ensuite cette grille d'analyse de la gouvernance Région / SNCF pour décoder les particularités des arrangements institutionnels TER sur l'échantillon des sept Régions engagées depuis la phase d'expérimentation du processus de régionalisation ferroviaire (4.2.).

Il en ressortira trois résultats. Le premier souligne que la régionalisation ferroviaire s'est, dès le départ, traduite par des configurations contractuelles bien différentes, clairement marquées de l'empreinte de chaque Région, de sa stratégie, de ses ressources mobilisables et de l'histoire de ses relations avec la SNCF524. Le second retrace combien, au regard de notre matrice interprétative, les formes de gouvernance TER présentent généralement des profils hybrides associant des clauses à l'identité théorique disparate. Enfin, une perspective diachronique atteste que le conventionnement Région / SNCF est une matière en constante évolution, en raison de la recherche perpétuelle d'un point d'équilibre sans cesse modifié par de puissants effets d'apprentissage organisationnels au bénéfice des Régions525.

Pour reprendre la terminologie de la théorie néo-institutionnaliste, après avoir mis en perspective "l'environnement institutionnel" du service public de transport régional de voyageurs en France depuis 2002, il importe de décoder les "arrangements institutionnels" spécifiques à chaque Région. En effet, la régionalisation ferroviaire en France accorde une très large place à l'autonomie contractuelle des parties, les Régions, en tant qu'AO, et la SNCF, en tant que prestataire de service, en situation de monopole.

Les Régions ont-elles mis à profit cette liberté contractuelle ? Dans quelle mesure ? Sous quelle forme ? Dans quels domaines ? Quels sont les "modes de gouvernance" du transport régional de voyageurs ?

Répondre à ces questions suppose la mise en place d'une méthodologie particulière quenous exposerons dans un premier temps, puis nous présenterons les résultats auxquels nous avons abouti à partir de notre étude des sept Régions expérimentatrices, prises comme échantillon.

Mais auparavant, nous exposerons les hypothèses qui guideront cette recherche. Nous supposerons que :

a) La relation contractuelle SNCF/ Régions s’apparente à une relation de sous-traitance. Les Régions sont dans le rôle de donneur d’ordre, la SNCF, dans celui de sous-traitant unique devant mettre en œuvre un cahier des charges.

b) La nature constitutive de la relation Régions / SNCF est de type partenarial. Cette situation de coopération 526 nous conduit à suggérer que leur relation comporte nécessairement une dimension de co-traitance.

c) Les deux co-contractants, la SNCF et les Régions, sont entrés dans un processus d’apprentissage ("learning by cooperating") de leur place et de leur rôle respectifs. Les contractualisations initiales sont donc appelées à connaître de significatives modifications au cours du temps.

Notes
523.

Le concept de "governance" est central à l'analyse d'Oliver Williamson. Cet auteur le définit comme "le cadre contractuel explicite ou implicite dans lequel se situe une transaction (marchés, firmes et modes intermédiaires – comme par exemple, le franchisage" (1981, p. 1544). Cette notion aurait pu être traduite par les termes de "gestion" ou de "régulation" ou de "gouvernement", mais les traducteurs ont fait le choix de conserver l'anglicisme "gouvernance".

524.

Pour une très intéressante analyse, dans une optique de sciences politiques, voir A. Faure (2007). Ce dernier montre, sous l'éclairage du concept de sentier de dépendance ("path dependance", Pierson, 2000), combien les orientations ferroviaires actuelles des Régions sont très largement imprégnées de l'histoire des initiatives et des négociations avec la SNCF.

525.

Nous retrouvons ici la problématique de l'approche transactionnelle qui, selon E. Brousseau (2000), met l'accent sur les problèmes de gouvernance dans un contexte où les divergences d'intérêt entre les parties sont un problème majeur à résoudre. Selon lui, canaliser et harmoniser les intérêts constitue une dimension fondamentale des structures de coordination, trop souvent ignorée dans la littérature économique. L'approche transactionnelle, fidèle au principe de minimisation des coûts de coordination, tend à fournir un cadre unifié d'analyse des liens entre problèmes de coordination, dispositifs de gouvernance et résultats.

526.

Le terme de coopération, appliquée aux relations interentreprises, mérite d'être précisé. E. Brousseau (2000, p. 1) souligne que "derrière ce mot unique, se cachent en réalité plusieurs concepts alternatifs : la coopération est tantôt envisagée comme une attitude (i.e. ne pas être opportuniste), tantôt appréhendée comme un mode de coordination alternatif au marché et à la hiérarchie, tantôt perçue comme un type de transaction spécifique par lequel on n'échange pas simplement des produits et des services, mais on participe conjointement à un processus de production." Ces trois significations nous semblent pouvoir être présentes dans la gouvernance de la relation SNCF/ Régions.