La TCT occupe une place bien particulière dans l'ensemble de l'économie des contrats527. A la différence des autres conceptualisations, elle retient deux hypothèses comportementales qui la différencient, celle de rationalité limitée et celle d'information incomplète et asymétrique (opportunisme). De ce jeu d'hypothèses, il résulte une problématique spécifique, centrée sur l'analyse des institutions à même de faire exécuter les dispositions des contrats ("enforcement") en situation d'incomplétude contractuelle. La TCT, renouvelé, principalement par O. Williamson (1985, 1986, 1991, 1996), puise ses racines dans une vaste généalogie. Elle emprunte tant à R. Coase (1937) pour les formes de coordination marché/organisation et sa théorisation de la firme, qu'à J. R. Commons (1934), pour la notion capitale de transaction, qu'à H. Simon (1947, 1959) pour la notion de rationalité limitée, à J. K. Arrow (1987), pour celle d'information et d'échec du marché, et enfin à A. D. Chandler pour celle d'innovation organisationnelle. Cette théorie, à la différence des autres visions contractuelles de la firme, telles que la théorie de l'agence, accorde une grande importance au processus intertemporel du déroulement des relations contractuelles ("process maters").
Précisons le propos, en revenant d'abord sur les fondements micro-analytiques de la TCT, avant d'exposer le cadre d'analyse des transactions et la typologie des formes contractuelles qu'elle propose.
Williamson, à la suite de Simon, considère que le réalisme des hypothèses de comportement est essentiel. Sa première hypothèse, concernant la capacité cognitive des acteurs, postule que la capacité et les connaissances des individus et des organisations sont limitées. Il en résulte une situation où les agents sont dans l'impossibilité de définir ex ante l'ensemble des obligations correspondant aux différents "états du monde" possibles. Cette situation d'incomplétude contractuelle fait des conditions du déroulement ex post du contrat une dimension essentielle de l'analyse. Elle ouvre également la possibilité de comportements opportunistes.
Sa deuxième hypothèse concerne la nature de l'information, supposée incomplète et asymétrique. Il résulte pour les acteurs de larges possibilités de comportements de recherche de leur intérêt personnel, faisant appel à des actions de dissimulation, de déformation ou même de falsification de l'information échangée entre eux. En pratique, les partenaires sont supposés ruser, tricher, ou plus simplement, ne pas honorer les engagements pris. Ce risque permanent de comportements opportunistes conduit à une élévation des coûts de transaction, et notamment de négociation et de supervision du contrat.
A partir des hypothèses précédentes, O. Williamson s’intéresse à toutes les formes organisationnelles d’échange possibles, les "structures de gouvernance".528 Selon cet auteur, les formes efficientes de transaction varient principalement en fonction de trois éléments, la spécificité des actifs, l'incertitude comportementale et de la fréquence des transactions qui, combinés, déterminent un certain niveau de coûts de transaction.
Sur la base de ces fondements micro-analytiques, la TCT s'attache à expliquer la diversité des formes d'organisation. Williamson suppose que les acteurs retiennent la forme organisationnelle de la transaction (le contrat) la plus efficiente, c'est-à-dire celle qui minimise les coûts de réalisation du contrat, donc les coûts de transaction. Par coût de transaction, il entend tant les coûts ex ante, de négociation, d'écriture du contrat, de recherche de partenaire et de mise au point des garanties contractuelles, que les coûts ex post, de contrôle et pilotage des arrangements contractuels, de renégociation et de rupture. Son analyse de l’échange dépasse ainsi de très loin celle proposée par la théorie néoclassique standard qui suppose que les coûts de fonctionnement d’un marché ou d’une transaction sont nuls.
La figure 4.1 expose les principales "structures de gouvernance" mise en avant par cette théorie.
Source : D’après Williamson, (1994), p. 106.
La typologie des structures de gestion efficiente proposée par Williamson (1986) repose sur trois types de contrats, le "contrat classique", le "contrat néo-classique" et le "contrat personnalisé".
En pratique, la TCT a été amenée à concentrer son analyse sur ce dernier type d'organisation, les structures bilatérales, très fréquentes dans nos économies, sous forme de relations de sous-traitance, de partenariat, de délégation de service public530 ou encore d'alliances entre firmes531. Exprimée dans la conceptualisation de la théorie des coûts de transaction, notre hypothèse de co-traitance s'apparente à la notion de "structure bilatérale" ("bilateral governance"), situation où les échanges ont une fréquence élevée et dans laquelle les actifs sont moyennement spécifiques.
Toujours dans la terminologie de Williamson, il est possible d'évoquer la sous-traitance voire la co-traitance comme une illustration des "formes organisationnelles hybrides" (Ménard, 2003b). Ces dernières, les "formes organisationnelles hybrides", constituent une catégorie intermédiaire de transactions, entre celles qui peuvent être traitées par la coordination assurée par le marché et les prix, et celles qui accordent la supériorité à une coordination par l'organisation et le principe de hiérarchie. Cette famille diversifiée d'arrangements, qui repose sur un degré moyen de spécificités des actifs, comprend des contrats interentreprises de long terme, des entreprises en réseau, les franchises, etc. La coordination de ces dernières se caractérise par la préservation de l'autonomie juridique des parties qui préservent distincts leurs droits de propriété, mais qui structurent au moins une partie de leurs transactions en ayant recours à des mécanismes autres que le système de prix et qui pour ce faire mettent en commun des ressources. Selon C. Ménard (2003b), le pilotage de ces "formes organisationnelles hybrides" serait assuré par le principe d'autorité, distinct de la relation hiérarchique et de la relation par les prix. Sa principale caractéristique serait l'intentionnalité dans la délégation, par des entités juridiquement distinctes, du pouvoir de décision sur une sous-classe de leur domaine d'action. Selon l'auteur, les modalités d'exercice de l'autorité serait très vastes et pourraient recouvrir tant l'influence (basée sur la compétence ou l'histoire), que la confiance (et la coopération sous contrainte de réputation), le leadership ou encore, le "gouvernement privé", soumettant l'ensemble des parties à des règles acceptées d'un commun accord.
Cette conceptualisation nous semble intéressante et appropriée à notre objet en raison des caractéristiques même de la transaction (forte incertitude, fréquence élevée, actifs moyennement spécifiques) qui conduisent à un certain risque d'opportunisme en faveur de l'opérateur ferroviaire. Cependant, la difficulté d'opérationnaliser précisément la notion d'actifs spécifiques et de coût de transaction532 nous amènera à orienter notre recherche d'une méthodologie vers les théories de la firme, et plus particulièrement de la co-traitance.
Pour une présentation synthétique des théories des contrats considérés comme des mécanismes inter-individuels de coordination, voir Eric Brousseau (1993a, 1993b) ou Brousseau et Glachant (2000, 2002). Dans Brousseau (1993b), l'auteur distingue les apports et les limites des trois approches économiques principales des contrats, la théorie de l'agence, la théorie néo-institutionnelle des coûts de transaction et la théorie des conventions. Il répond également aux deux questions, "pourquoi" et "comment" des contrats.
Pour une description des types de gouvernance, voir Williamson (1994, pp. 99-106).
Un actif ou un investissement (matériel ou immatériel) est dit spécifique quand, il est réalisé pour être durablement mis au service d'une transaction particulière (Williamson, 1985), et quand pour cet usage, il acquiert une valeur supérieure à la valeur qu'il aurait dans des usages alternatifs (Crocker et Masten, 1991). Cette notion s'apparente à celle de "coût irrécouvrable" de la théorie des marchés contestables.
Defeuilley C. (1998) ; Ménard C. et Saussier S. (1998 ; 2003) dans le secteur de l'eau ; Yvrande-Billon A. dans le cas des chemins de fer britanniques (2002, 2008).
Voir notamment Ménard C. (1997 ; 2003b).
Faisant prévaloir les hypothèses de coopération et de co-traitance du service de transport régional de voyageurs, nous reprendrons les arguments d'E. Brousseau (2000, p. 4) selon lequel dans une relation de coopération, la spécificité des actifs est très relative. Selon cet auteur, si bien évidemment, toute relation de coopération implique des investissements matériels et immatériels spécifiques amenant à parler de spécificité temporelle, l'essentiel de la connaissance produite dans le cadre de cette relation bilatérale peut être redéployée et ré-agencée avec d'autres partenaires. Ainsi pour Brousseau (2000, p. 4), au-delà de ces coûts de réagencements, "la valeur de la connaissance accumulée dans le cadre d'une relation spécifique n'est jamais totalement perdue. Ce que perdent les parties en cas de changement de partenaires c'est la valeur de la connaissance mutuelle acquise à travers les interactions (learning by cooperating) [...]." Au-delà de cette dimension, nous ne disposons que de trop peu d'informations sur la nature véritable de la propriété des matériels roulant sollicités par les services TER. Faute de pouvoir pousser plus loin l'analyse, délicate, de la spécificité des actifs TER propres à chaque AO et à la SNCF, nous ne solliciterons pas la notion de "structure bilatérale" propre à Williamson pour qualifier la relation Région / SNCF.