2.1.1. L’Alsace : une gouvernance de type hybride à tendance autoritaire

L’analyse de cette Convention est délicate : aucun profil n’est véritablement dominant. Nous relevons cependant moins de manifestations de formes de relation incitative ou de confiance, que de formes de relation autoritaire. Il est possible que cet équilibre contractuel rejoigne le propos d'A. Faure (2007, p. 37) qui, au sujet de la doctrine ferroviaire de l'Alsace, évoque "une sensibilité au pragmatisme qui rejette toute idée de schéma." Nous parlerons pour la Région Alsace de profil hybride à tendance légèrement autoritaire, comme l'illustre la Matrice interprétative de la Convention TER de l'Alsace, page suivante573.

La Convention TER de l'Alsace se distingue tout d'abord par la grande attention accordée à la satisfaction des voyageurs et par la détermination de cette Région à obtenir une hausse soutenue du trafic ferroviaire. Cette doctrine ferroviaire repose sur plusieurs particularismes locaux favorables : un réseau, moderne et très dense organisé autour d'un axe (Zembri, 1997a), inscrit dans un territoire étroit à forte densité démographique favorable à une exploitation de type péri-urbain et une priorité accordée de longue date au transport comme enjeu d'aménagement du territoire574 soutenue par la présence d'un leader nationalement impliqué sur les politiques de transport (Faure, 2007).

L'usager du TER est placé au cœur du dispositif contractuel575. Pour ce faire, les dispositions de la Convention TER associent un mélange des trois modes de coordination. Lourde présence de la composante d'autorité, comme le souligne le fort encadrement des dispositions de qualité produite. Ainsi, le nombre total d’objectifs traitant de la qualité est élevé ; le niveau des objectifs retenus est des plus exigeants en matière de ponctualité (le taux de conformité attendue élevé, 93%) et, surtout, le seuil de calcul du retard est abaissé à 2 minutes à partir de 2003, alors que 5 minutes restent la norme ailleurs. Pour la réalisation de l’offre, le niveau de franchise exonérant l’opérateur de pénalités est le plus faible des sept Régions (1% de l'offre annuelle de Tkm, contre 2-3% en général) et le niveau de pénalités est supérieur à la moyenne. Coordination par la confiance également, qui amène la Région à accepter le principe de co-décision, par une négociation annuelle, pour définir les niveaux de conformité du service à atteindre par l’opérateur. La dimension d’incitation est aussi présente, teintée d’une touche de confiance. Ainsi, le mécanisme d’incitation financière à la qualité est prévu, mais relativement peu sollicité (les montants bonus-malus et de pénalités sont réduits). L’émiettement des critères rend possible de nombreuses combinaisons sans grand impact sur l’opérateur. A l’inverse, la démarche de certification est profondément engagée afin de répondre au risque de "sélection adverse".

La réduction de l’asymétrie informationnelle est une seconde dimension privilégiée par la Région Alsace. La question de la transparence reste une préoccupation majeure pour l’AO. La stratégie de cette dernière repose sur les trois modes de coordination : l'incitation, avec des pénalités des plus élevées pour non-conformité aux instructions régionales576 ; l'autorité, par sollicitation de mécanismes visant un contrôle direct de l’exploitant (large variété des documents exigés et grande précision des contenus attendus) ; et enfin, une composante de confiance est également présente, comme l’indique la durée relativement longue des délais de transmission à l'AO des documents d'information (deux mois pour le Tableau de bord mensuel). Les clauses adaptatives, d’orientation autoritaire, viennent en appui de cette recherche par la Région d'une efficacité de son droit de contrôle sur le délégataire. La résiliation de la Convention par anticipation est prévue et finement organisée. Cette particulière vigilance de l'AO sur le pilotage du conventionnement tient probablement pour beaucoup à l'enjeu financier pour cette Région, conséquence de son engagement dans le développement du TER577.

En troisième lieu, la Région Alsace revendique ouvertement une logique de partenariat avec l'opérateur ferroviaire historique. Signe indiscutable de l'intensité de cette volonté de partenariat entre la Région et la SNCF, la durée de la Convention (8 ans), une des plus longues, répond certainement à la volonté des co-contractants de témoigner et de bénéficier des avantages en termes d'effets d'expérience d'un engagement de long terme. La tonalité du Préambule, qui évoque le caractère mutuellement fructueux de l'histoire de ce partenariat ancien et la longueur du délai de la procédure de règlement amiable des litiges (3 mois) vont dans le même sens. Le caractère évasif des clauses encadrant le pilotage manifeste aussi le bon déroulement de la gestion de la Convention avec l’exploitant.

La notion d'apprentissage est explicitement revendiquée et s'exprime par l'inachèvement de la Convention de 2002. De nombreux dispositifs doivent donner lieu à des avenants annoncés dans la Convention (définition des critères et du référentiel de qualité produite, par exemple).578

Enfin, les clauses financières présentent globalement un profil autoritaire, la Région cherchant manifestement à faire supporter à la SNCF la part de risque industriel qu'elle prétend assumer (en n'offrant pas de rémunération de l'exploitant spécifique), mais surtout en exigeant, cas peu fréquent, un effort de productivité de l'exploitant ferroviaire (par un cœfficient de minoration de l'indexation des charges C1). L'écriture des clauses sur le risque commercial va dans le même sens et tend à en faire porter la plus grande part au délégataire. Le seuil de partage du risque commercial avec la Région est des plus réduits (inférieur à 2%), de plus la totalité des plus forts écarts sur recettes (positifs, mais également négatifs) est attribuée par la SNCF.

Au total, l’analyse de la Convention TER 2002 de l’Alsace illustre une autorité organisatrice particulièrement exigeante en matière de qualité de service, vigilante dans ses possibilités de maîtrise de cette contractualisation, mais plutôt confiante dans les potentialités de la poursuite de son partenariat avec la SNCF.579

Notes
573.

Nous signalons au lecteur, que nous avons fait le choix, quand l'interprétation d'une variable l'imposait, d'ajouter et de coder, en couleur plus claire, les situations auxquelles nous aurions abouties, si nous avions pris en compte d'autres informations que celles strictement mesurées par le critère présent dans la matrice définitive. Par exemple, dans le cas de l'Alsace, la variable "Contrôle de l'exécution du service" aurait pu nous amener à retenir le profil autoritaire si nous avions intégré, non le nombre de documents exigés de l'exploitant, mais, plus finement, le nombre, voire le format des informations attendues.

574.

Certains observateurs vont jusqu'à écrire que "l'aménagement du territoire y constitue une sorte de domaine matriciel de l'ensemble des actions de la Région." (Ollivier-Trigalo M. et alii., 2007, p. 143).

575.

Le Cahier des charges (art. 5.3.) évoque, clause bien peu fréquente en 2002, un système de dédommagement des voyageurs pour les abonnés en cas de services non effectués.

576.

Le Cahier des charges, attaché à la Convention relative à l'organisation et au financement du service public de transport régional de voyageurs entre la Région Alsace et la SNCF, art. 8.4., stipule sur ce sujet que : "Si la SNCF n'a pas transmis les documents aux dates et, a minima, selon le contenu indiqué [..., après mise en demeure ... et à l'issu d'un délai d'un mois], si les documents ne sont toujours pas produits, une pénalité forfaitaire peut être appliquée d'un montant de 45 000 euros pour le rapport annuel et de 15 000 euros pour le tableau de bord mensuel ou trimestriel".

577.

La place du poste TER dans le budget de la Région Alsace témoigne clairement de la très grande importance accordée à cette politique de transport. Le TER est en Alsace le tout premier poste budgétaire de la Région, avec en 2002, 24% de son budget (fonctionnement et investissement). Il se présente aussi comme le plus élevé, en coût relatif, des sept Régions expérimentatrices, avec 58 euros par habitant, contre 31 euros en moyenne en 2002.

578.

A moins que cet inachèvement ne témoigne d'une tension entre les ambitions élevées proposées à la Direction Transport de la Région et les moyens humains effectivement disponibles lors de la rédaction de la Convention et pour sa mise en œuvre.

579.

Il faut souligner que les résultats de la période d'expérimentation sont très encourageants pour la Région Alsace : "Avec une croissance de la fréquentation de près de 35% depuis 1997, engendrée notamment par une augmentation de l'offre de service de 32.2%. En parallèle, la maîtrise des charges accompagnée d'une augmentation des recettes évaluée à 39,3% permet d'obtenir une baisse de 22.5% de la contribution publique au voyageur par kilomètre." (La Vie du rail, 20/02/2002, p. 10).