2.1.3. Le Limousin : cap sur la confiance

La Région Limousin a manifestement privilégié un mode de coordination dominé par la confiance (56% de nos observations), avec secondairement un recours aux formes d'incitation (29%), et bien peu d'emprunts au registre de l'autorité comparativement à nombre de Régions (15% contre 35% en moyenne).

En matière de qualité de service, le mode de gouvernance dominant est la confiance. Les niveaux d'objectifs assignés sont généralement modestes comparativement à ceux observés dans les autres Régions (92% pour la régularité des circulations, et surtout 97% pour la réalisation de l’offre). La définition de ces niveaux d’objectifs de qualité s’opère par une négociation annuelle, soit dans une logique de codécision respectueuse des contraintes techniques locales de l’opérateur.585 La continuité du service est également abordée dans un esprit partenarial et de confiance. Confiance par la compréhension de l’AO envers des éléments de la culture d’entreprise spécifique à l’opérateur. Ainsi, cas unique, les grèves de personnels de la SNCF donnent lieu à une neutralisation des mesures de la qualité produite, donc à suspension des pénalités.586 Confiance aussi par le fait que la Convention n'évoque pas l'organisation d'un éventuel service minimum en cas de perturbations. Confiance enfin par le fait que les pénalités pour non-réalisation du service sont parmi les plus faibles de notre échantillon. Nous relèverons une spécificité du Limousin : des pénalités sont prévues pour non-réalisation des services TER par routes, services plus importants qu'ailleurs dans cette Région à dominante rurale.587 Une pointe de coordination par l'autorité cependant, le montant maximal des bonus-malus qualité est élevé ; il représente environ 1.6% des recettes commerciales de 2002 (seul le Centre fait plus avec 2%).588

L'écriture des clauses d'information de l'AO, de type "autoritaro-incitative", qui détonne avec le profil général de la Convention, révèle l'attention toute particulière que le Conseil régional du limousin accorde à la question de la réduction de l’asymétrie d’information.589 Le registre de l'autorité est doublement présent : dans le système de pénalités qui prévoit, clause non rencontrée ailleurs, des sanctions financières pour non-fiabilité des documents d’information exigés par l’AO régionale590 et dans le délai de transmission du rapport annuel d’activité, un des plus courts observés. Les autres clauses de contrôle, proches de la moyenne, nous semblent correspondre à un profil incitatif, que ce soit le nombre de documents exigés591, la nature des informations requises par l’AO, le montant des pénalités de retard ou les clauses concernant l’audit (délai de prévenance de 10 jours ouvrés).

Les clauses institutionnelles et adaptatives font, reprenant le profil général de cette Convention, très largement appel à la coordination par la confiance. La durée de la Convention (10 ans) est, de très loin, la plus longue des conventions TER de 2002. L'existence d'une culture commune est évoquée avec insistance dans le Préambule de la Convention.592 Les clauses de règlement des litiges donnent toute sa place au règlement amiable. Un indicateur reste cependant, d’interprétation incertaine, la fréquence, mensuelle, des rencontres du comité de pilotage. Faut-il le comprendre comme le moyen de cultiver cette culture commune et de développer des relations personnelles fondées sur la confiance, ou inversement, dans une logique autoritaire, le moyen pour l'AO de mieux imposer sa volonté à l'exploitant ferroviaire. Nous ferons le pari de la première hypothèse.

Ce profil conventionnel est surprenant au regard des performances du TER Limousin d'alors, plutôt décevantes, qui auraient pu appeler une coordination à forte composante d'autorité ou d'incitation. Lors de la négociation de la Convention de 2002, l'attractivité du réseau TER était faible dans le Limousin, avec une fréquentation en baisse (-7% entre 1996 et 2001), plus marquée encore que la réduction de l'offre de service (-6%). Sans compter que le coût budgétaire (apparent) pour les finances publiques régionales est lourd, avec 55 euros par habitant en 2002 (fonctionnement plus investissement), soit 25% de plus qu'en moyenne pour les Régions expérimentatrices.

Les clauses financières, conformes au profil général de la Convention Limousin, sont dominées par le recours à la confiance. Le risque industriel, assumé par la SNCF, donne lieu à atténuation par le versement d'une rémunération pour risques et aléas, néanmoins comparativement limitée, de 2,15% (contre 3,25% dans les PDL ou 3,5% en Rhône-Alpes). Mais surtout, le risque commercial est strictement encadré, la zone de partage 50/50 est très large et, en cas de forts déficits, la SNCF en assume au plus de 50%. Nous observerons une pointe d'autorité dans le fait que l'objectif de recettes soit programmé sur une tendance d'augmentation de 1% par an sur les 5 premières années de la Convention

En définitive, les orientations affichées par la Convention TER 2002 du Limousin nous semblent traduire l'existence d'une culture politique locale favorable au modèle de l'entreprise publique intégrée, aux valeurs du service public "à la française" et aux potentialités de la régionalisation ferroviaire.593 Nous pouvons aussi évoquer l'hypothèse de la prégnance, dans cette Région de faible taille (environ 700 000 habitants) d'une culture territoriale forte ouvrant la possibilité de contracter sur la base de réseaux locaux de sociabilité ou de relations interpersonnelles sans intermédiation bureaucratique ou contractuelle élaboré.

Notes
585.

Nous avons relevé que la Région Limousin souffre d'un réseau de plus faible qualité qu'ailleurs : par exemple, alors que 66% des lignes ouvertes au trafic voyageurs sont à double voie, cela n'est vrai que pour 25% du réseau Limousin. La proportion de lignes électrifiées, de 22%, est également une des plus faibles du réseau ferré national.

586.

Convention d'exploitation du transport public ferroviaire régional de voyageurs 2002-2011 Limousin, article 16.1.

587.

Nous relèverons cependant que plus de la moitié de la population active vit dans les pôles urbains de Limoges et de Brive-La-Gaillarde. La mobilité domicile-travail est donc élevée dans ce département.

588.

Nous observerons que la Convention TER du Limousin de 2002 marquait un retrait sur celle de 1999 qui prévoyait que l'essentiel des bonus-malus serait versé à un compte commun, dit "Compte spécial de modernisation". Cette clause, marque évidente de confiance, n'a pas été reprise en 2002.

589.

L'effort financier de cette Région en faveur du TER peut expliquer cette vigilance. En 2002, les dépenses en faveur du TER représentaient 19.3% du budget primitif, contre 17,4% en moyenne pour les sept Régions expérimentatrices (et 16% en France). Mais, nous suggérerons aussi une autre explication empruntée au mémoire de R. Gauthier (2002). Selon lui, dans le Limousin, les rapports Région / SNCF, étaient alors fréquemment très tendus, voire conflictuels, peu constructifs ; la Région reprochant régulièrement à l'exploitant ferroviaire historique son manque de clarté financière.

590.

Convention 2002-2011 Limousin, op. cit., Annexe 11.4.

591.

Le Limousin attend, outre le rapport annuel d'activité et le rapport mensuel, la communication des comptages et des réclamations adressées à la SNCF par les voyageurs pour le service TER. Elle n'exige pas de rapport trimestriel (Convention 2002-2011 Limousin, Annexe 11).

592.

Il faut préciser que la Région Limousin avait amorcé très précocement un conventionnement avec la SNCF, bien avant l'expérimentation. Le premier schéma régional des transports, qui accorde une large place au ferroviaire, date de 1977.

593.

A l'appui de cette hypothèse, nous rappellerons que la Région Limousin, de tradition politique de gauche, avait tenu en 1999 à rejoindre le groupe des six Régions expérimentatrices, tant pour des raisons internes d'aménagement de son territoire, que pour des motifs plus politiques. Le Préambule de sa Convention TER de 1999 évoque "son souci d'expérimenter au bénéfice de toutes les Régions afin de faciliter la phase de généralisation de la régionalisation". Nous soulignerons également, que les élections régionales de 1998 avaient amené à la tête du Conseil régional du Limousin, une majorité absolue de gauche, cas unique en France pour ce scrutin. Son Président était alors le socialiste Robert Savy.