2.1.4. Le Nord-Pas-de-Calais : une forme hybride par mutation rapide du schéma contractuel initial

L’interprétation de la Convention TER 2002 du Nord-Pas-de-Calais (NPC) est délicate en raison d’un mélange quasi-permanent entre les trois formes de coordination, sans véritable dominante. L’accent est très légèrement mis l'autorité, alors que le profil de 1997 reposait, par contre, explicitement, sur la confiance594. C'est pourquoi nous parlerons pour la Région NPC d'un profil "hybride en mutation rapide et profonde".

L’obtention d’un haut niveau de qualité de service est manifestement un objectif majeur de la Région NPC.595 Son écriture conventionnelle s'enracine dans une combinaison de confiance et d’autorité. Confiance dans la manière de définir les niveaux de performances à obtenir, par un large appel à l'adhésion de l’opérateur ; la codécision prédomine. Le nombre d’objectifs concernant la qualité assignés à l’exploitant est réduit, trois en 2002 (régularité des circulations, continuité et information du voyageur). La Convention évoque toutefois un avenant (sous 24 mois) qui introduira des critères de qualité supplémentaires. Inversement, plusieurs clauses traduisent la présence d'une volonté de coordination par l'autorité : les niveaux d’objectifs de qualité de service sont comparativement les plus élevés (94% pour l'objectif initial de régularité)596; un service minimum, dit "Plan de transport d'urgence" est finement organisé ; et surtout, le niveau des bonus-malus et des pénalités encourues est sévère : 9 euros en cas de non-réalisation de l’offre (avec préavis et sans substitution)597 et, élément contractuel non observé ailleurs, une sur-pénalité pour les retards de plus de 30 minutes (5 euros / Tkm) est prévue. Enfin, clause sans équivalent dans les autres Régions, la Convention TER NPC de 2002, évoquait la mise en place d'un système de dédommagement des voyageurs pour motif de non-réalisation de l'offre ou de régularité insuffisante.598

La réduction de l’asymétrie informationnelle, autre objectif prioritaire de l’AO régionale, repose sur une activation ferme des dispositifs de contrôle, et non pas sur des mécanismes d’incitation financière.599 L’application des modalités de contrôle est autoritaire : les exigences régionales sont élevées, afin d’offrir à l’AO une vision rétrospective et prospective large ; le nombre de documents est important et le contenu, tout comme les délais de transmission, sont expressément spécifiés.

Les clauses institutionnelles s'inscrivent dans les trois registres, avec une prédominance de la coordination par la confiance. Cohérente avec une recherche de relations partenariales, la Convention prévoit de fréquents contacts Région / SNCF, au travers de nombreuses instances (Comité de pilotage, Comité de suivi, Comités techniques) propices à une meilleure compréhension mutuelle, voire au développement d’une culture partagée600 ; et accorde une place importante à la procédure amiable dans le dispositif de règlement des litiges. Inversement, signe de coordination par l’autorité, le degré de précision contractuelle est important. Enfin, la durée de la Convention est de 6 ans, signe (modeste) de pari sur le moyen terme.

Une dernière dimension distingue la Convention TER de la Région NPC : la volonté d'écrire une "démocratie du rail" exemplaire. Cette volonté d'associer des usagers du rail à la prise de décision se retrouve dans la création de Comités de ligne, activement sollicités par la Région.601 La Convention TER 2002 du NPC est, la seule avec celle de PACA, à inscrire au cœur du dispositif contractuel cette instance facultative rendue possible par la loi SRU.602

Les clauses financières sont manifestement écrites sur le registre de l'autorité. Plusieurs faits importants en témoignent : le risque industriel est laissé à la charge de l'exploitant qui n'obtient pas de rémunération spécifique en sus de C1. Le risque commercial est très largement porté par l'exploitant, dans la mesure où la zone de partage 50/50 est réduite (+/-2%) et où au-delà la responsabilité de la SNCF est de 100%.

Le caractère particulièrement éclaté du profil de gouvernance du NPC trouve probablement une clef explicative dans la succession de mutations qui a marqué l’histoire de cette Convention depuis 1997. D’une optique de confiance, mâtinée d’incitation, des avenants successifs ont tous introduit des apports d’autorité.603 Cette évolution marque, sans doute, les limites d'une coordination uniquement basée sur la confiance. L’ensemble contractuel de 2002 n’est de ce fait ni homogène, ni peut-être vraiment stabilisé.

Notes
594.

Cette orientation initiale du conventionnement TER SNCF / Région en NPC doit beaucoup à l'histoire politique locale comme le rappelle le Président du Conseil Régional, Daniel Percheron (2004, p. 41) : "il est vrai qu'il existe une profonde confiance entre la région et les cheminots dans le Nord-Pas-de-Calais. Il y a vingt-cinq ans, la majorité du Conseil régional, à l'époque présidée par Pierre Mauroy, est allée à la rencontre de la SNCF. Ce fut une véritable rencontre avec cette puissante entreprise monolithique sûre d'elle. Cette rencontre a permis une véritable confiance, qui s'est étayée par la présence constante de techniciens de la SNCF dans nos services. Nous sommes dans le même monde et nous discutons inlassablement."

595.

Il faut dire que le TER en NPC, Région densément peuplée, constitue plus qu'ailleurs un "transport de masse", comme le rappelait Marie-Christine Blandin, la Présidente de la Région de 1992 à 1998 (Le rail, n°58, 09/1996, p. 33). Ainsi, le TER permet de désengorger les infrastructures (auto)routières et facilite les déplacements d'une population fréquemment dépendante des transports collectifs (29% des ménages ne possédant pas de véhicule). Il importe également de souligner que le Conseil régional de cette Région a très tôt, dès 1978, mené, en partenariat avec la SNCF, une politique active de développement de l'offre ferroviaire, soutenant également des actions de modernisation du matériel roulant et des gares ou investissant dans l'électrification de certaines lignes, sans compter la mise en place de tarifications régionales innovantes.

596.

A titre de comparaison, ils étaient de 91,2% en Rhône-Alpes et de 87% en PACA. Voir Annexe 4.

597.

Les pénalités pour non-réalisation de l’offre sont en NPC les plus élevés des sept Régions étudiées. Voir Annexe 4.

598.

Convention TER 2002-2007 Nord-Pas-de-Calais, art. 12.

599.

Cette absence de procédures d’incitation financière, qui logiquement et fréquemment viennent en appui aux mécanismes de contrôle, essentiellement informationnels, de l'exécution du service, s'explique probablement par le climat de confiance et de partenariat que cette Région veut instaurer avec la SNCF.

600.

Ce dialogue permanent entre AO régionale et délégataire est expressément revendiqué dans cette Région. En témoigne le propos suivant du Président du Conseil Régional, Daniel Percheron (2004, op. cit., p. 41) : "Nous entretenons un dialogue permanent avec la SNCF comme outil d'évaluation, sur les gains de productivité, l'amélioration des infrastructures ou l'utilisation du matériel. Par exemple, la SNCF est en train de résoudre la quadrature du cercle [...]. Autrement dit : rapidité et omnibus."

601.

Daniel Percheron (2004, op. cit., p. 42) en soulignait l'efficacité toute particulière : "Nous avons créé treize comités de ligne sur nos grands axes. Avec nous et avec les usagers, petit à petit, la pédagogie du rail s'impose. Les usagers comme les cheminots commencent à saisir que le service public, le train, le transport collectif a un coût. Il a un prix, il nécessite une technique, un savoir-faire et c'est l'affaire de tous."

602.

Loi 2000-1208, op. cit.,article 135.

603.

Pour une présentation des incidences de ces avenants, voir Annexe 2.