2.1.7. Rhône-Alpes : le type quasi pur de l’autorité

Cas exceptionnel, la grande majorité des variables étudiées dans la Convention TER 2002 de Rhône-Alpes vient à l’appui d’une gouvernance soutenue par une forte composante d’autorité (à plus de 60% des items). L’ensemble contractuel de cette Région nous apparaît particulièrement homogène et nous semble pouvoir se lire au travers du qualificatif de "rationnel légal", dans le sens où le sociologue Max Weber l'utilise611. De nombreuses caractéristiques de cette Convention corroborent ce qualificatif.

La coordination par l’autorité transparaît très distinctement dans l'écriture de la contractualisation de la qualité, particulièrement exigeantes pour l’opérateur.

L'écriture des niveaux d'objectifs montre clairement que la Région en fait son domaine propre, laissant peu de liberté à l'exploitant. Leur programmation, ex-ante, laissant peu de place à la négociation annuelle entre les parties. Ainsi, l'objectif de régularité du trafic est exigeant à 91,2% (+/-1%), et surtout, il donne lieu à une programmation de l'exigence régionale, sur la base de 0,2% par an. Le dispositif de suivi de la qualité est un des plus complets, intégrant dès le départ, une prise en compte de la qualité perçue par la mise en place d'un baromètre de suivi de la qualité.

Le principe d’autorité se retrouve également dans les caractéristiques du dispositif d’incitation financière à la qualité. Le système d’intéressement mobilise des sommes particulièrement stimulantes avec un maximum annuel de 1.750 000 euros, soit 1,3% des recettes totales de 2002. Le mode de calcul individualise chaque critère de qualité : il n’y a pas de compensation possible. La Région est seule bénéficiaire des malus et des pénalités, la SNCF de la totalité des bonus. Il n'y a pas mise en commun des sommes obtenues par l'intéressement sur la qualité produite, comme dans le Centre ou le NPC par exemple.

Le principe de continuité du service public est puissamment affirmé dans les dispositions contractuelles par une écriture de type autoritaire. La non-réalisation de l’offre donne lieu à de fortes pénalités (de 6 à 8 euros par train-km, minorées de 1 euros en cas de substitution), qui ne donnent pas lieu à plafonnement. La franchise exemptant l'opérateur de pénalités est particulièrement faible, à 1.5% de l'offre de Tkm initialement et, disposition autoritaire, cette sévérité croit avec le temps. La Convention programme une réduction de cette franchise devant atteindre seulement 1% de l'offre (seule l'Alsace se veut plus stricte). Bémol à ce profil autoritaire, l'organisation du service de substitution, dit "Plan d'urgence", prévu à 40% de l'offre annuelle, n'est pas encore très affiné612.

Pour la réduction de l’asymétrie informationnelle, Rhône-Alpes sollicite les deux leviers disponibles, le contrôle direct et les mécanismes d’incitation financière. Le contrôle direct est réalisé dans une optique d’autorité mâtinée d’incitation : un nombre important de documents et d’informations à transmettre à l’AO, dans un format convenu au préalable, mais dans des délais raisonnables. Les mécanismes d’incitation financière sont activés dans une optique singulièrement autoritaire. Le montant des pénalités encourues est délibérément dissuasif : 2000 euros par jour et par document manquant pour une enveloppe totale annuelle de pénalités plafonnée à 300 000 euros.

Les clauses institutionnelles et adaptatives révèlent une gouvernance privilégiant l’autorité, mais concèdent cependant parfois des appels à la coopération plus qu’à la contrainte. Illustrations patentes du caractère autoritaire de la relation : la durée de la Convention, calée sur le minimum légal de cinq ans, tout comme en PACA - mais également l’exhaustivité, associée à un haut niveau d'élaboration de la contractualisation, la Convention TER Rhône-Alpes étant de loin la plus longue des sept étudiées613. Enfin, l'absence de Préambule faisant état du partenariat, pourtant ancien (depuis 1994 en matière de rénovation des gares) ou de valeurs ou projets communs, manifeste la recherche d'ancrage dans des procédures plutôt que l'appel à une culture partagée.

Seule, parmi les critères retenus, la procédure de résolution amiable des conflits s’organise pour donner toutes ses chances à la logique amiable de préférence à la solution judiciaire. Est-ce comme supposé par notre typologie, un signe de confiance ? Ou au contraire, est-ce l’intérêt bien compris de la Région de ne pas ternir durablement, par une procédure judiciaire, ses relations avec la SNCF nécessairement inscrites sur le long terme ? Nous serions tentés de faire prévaloir la recherche de l'efficacité contractuelle.

Paradoxalement, les clauses financières témoignent majoritairement d'une logique empruntée au registre de la confiance. Pour en rendre compte, nous suggérons l'hypothèse que la grande fermeté de cette Région sur les objectifs de qualité de service et sur les procédures de pilotage, qui suppose un réel effort de la part de la SNCF la conduisant à de significatives réorganisations de ses méthodes, a aussi un prix pour la Région. Ce coût de l'excellence se retrouve d'abord dans la minoration apportée au risque industriel par le versement d'une rémunération, d'un montant équivalent à 3% de C1 en 2002 et à 3,5% jusqu'au terme de la Convention. Cette rémunération de l'exploitant n'est évidemment pas anecdotique, puisqu'elle représente 4,5 fois le montant total des bonus-malus afférant à la qualité (hors pénalités pour non exécution de l'offre), soit presque 8 millions d'euros en 2002. En outre, Rhône-Alpes à la différence de l'Alsace, du Centre ou de PACA, ne prévoit pas de système d'incitation au partage des gains de productivité. La mansuétude de la Région se retrouve également dans le partage du risque commercial, a priori favorable à l'exploitant. Si tout écart (positif ou négatif) inférieur à 3 % est intégralement à la charge de l'exploitant, tout écart négatif compris de -3 à -5% est supporté par la Région, les deux parties convenant de se rencontrer pour un déficit encore plus marqué. Mais, les formules retenues pour la revalorisation de l'objectif de recettes poussent en fait l'exigence d'augmentation du trafic vers le haut. La confiance de la région ne s'exprime ici que dans le contexte d'une forte progression des recettes...

Au total, la Convention TER 2002 de Rhône-Alpes, qui s'avère une des (la) plus élaborée et des plus abouties des sept régions étudiées, relève d'une logique typiquement rationnelle légale, en dehors de quelques exceptions où la volonté politique, bien calculée, de faire confiance à la SNCF semble avoir prédominée. Ainsi, les relations nouées par cette Région avec la SNCF se veulent transparentes, efficaces, efficientes et respectueuses de la place et des missions de chacun. Confiantes dans les possibilités opérationnelles de la SNCF d'accompagner le développement de sa politique de transport régional de voyageurs, cette Convention (re-)donne tout son sens à la notion d'autorité organisatrice de transport. L'ampleur des ambitions affichées et des efforts financiers consentis, mais aussi des moyens organisationnels et humains mis au service du transport régional de voyageurs dans cette deuxième région française, en expliquent certainement l'architecture conventionnelle et en font un laboratoire des possibilités d'évolution et d'adaptation de l'opérateur historique.

Si l'ensemble de ces résultats apporte un éclairage inédit sur les modes de gouvernance TER des Régions les plus anciennement engagées dans la contractualisation avec la SNCF, il importe maintenant d'analyser les effets d'apprentissage qui en résultent.

Notes
611.

Nous rappellerons que l'œuvre de Max Weber (1864-1920) est dominée par la recherche des conséquences du processus de rationalisation sur l'ensemble des actions sociales. Ce sociologue observe que le monde, et tout particulièrement l'Occident dans sa phase capitaliste et bureaucratique, se caractérise par une prégnance de la rationalité orientée vers l'action pratique dans le monde, c'est-à-dire par une volonté de contrôle et de domination systématique de la nature et des hommes. Analysant les modalités du pouvoir, Weber distingue trois configurations de la domination d'un acteur social, "traditionnelle", "charismatique" et "légale-rationnelle". Dans ce dernier cas, le mode de coordination s'appuie sur le pouvoir du droit formel et impersonnel et par la soumission à un code fonctionnel. L'exécution de tâches est divisée en fonctions spécialisées et confiées à une bureaucratie d'experts.

612.

Convention 2002 TER Rhône-Alpes. Article 18.3.

613.

La Convention TER 2002 en Rhône-Alpes (avec son cahier des charges, hors annexes), était de 72 pages contre 52 pages en moyenne. Les annexes à elles seules, constituent un livre de plus de 200 pages.