Et pourtant, en définitive, cette promotion de la méthode des comptes de surplus n'a guère réussi à gagner l'intérêt des praticiens et des chercheurs643.
En ce qui concerne les praticiens, et, en particulier, dans les formations de sciences de gestion, alors que la méthode des surplus a été largement enseignée jusqu'à ces dernières années, cela ne semble plus être le cas en France.644 Les nouveaux programmes préparant à l'expertise comptable, le DCG et DSCG (en remplacement des DECF et DESCF) n'y font plus explicitement mention645. Mais, il n'est pas impossible, suite à l'influence des problématiques du développement durable, que cette méthode retrouve une certaine audience dans le cadre de recherches visant à intégrer la responsabilité sociale de l’entreprise dans sa stratégie de marketing social.646
Quant aux publications scientifiques sollicitant la méthode des comptes de surplus, leur rythme s'est affaibli considérablement. Nous relèverons, sans prétention d'exhaustivité, quelques publications de l'INRA (J.-P. Butault et ali., 1991, 1995a, 1995b), confirmant l'intérêt de la méthode dans une optique méso-économique d'étude de la filière agro-alimentaire ; et, plus novateur, deux thèses sur le transport d'électricité dans le nouveau contexte de dérégulation en Europe, celle de C. Semblano Brochado, en sciences de gestion (1994) et dernièrement, celle d'A. Baeza (2004) en sciences économiques. Nous relèverons également la succession de travaux du professeur B. Billaudot (1994, 1995, 1997), en sciences économiques à Grenoble, qui a cherché à dépasser certaines limites de la notion de SPG du CERC en proposant celle de "productivité de répartition" (Billaudot, 1995), isolant notamment l'impact des variations de la structure de financement de la firme sur son efficience productive. Cette base conceptuelle a été prolongée par le développement d'un progiciel qui vise à mesurer les "performances économiques de l'entreprise" (Chappaz-Gillot et Destay, 2000 ; 2005). Il resterait à en connaître la diffusion.
Le transport ferroviaire est, à l'analyse, un des rares domaines à avoir donné lieu, assez régulièrement à de nombreuses recherches à partir des comptes de surplus, mais à quelques rares publications. Un rapport du CGP (Bergougnoux, 2000, p. 233) rappelle que la SNCF avait intégré à son contrôle de gestion cette méthode de 1970 à 1995647. L'intérêt renouvelé porté par la Direction de la SNCF (et plus encore par son Service de contrôle de Gestion) pour cette méthode, donna lieu à deux publications, celle de C. Harmey et C. Hemat (1985) présentant les résultats de son application à la SNCF sur vingt ans (1973-1984) et celle de J.-P. Estival (1985), plaidant dans un contexte de difficultés financières des entreprises ferroviaires en Europe et de recherche de critères de gestion spécifiques aux entreprises de service public, en faveur de la MCS. A la même époque, et dans le cadre d'un programme de recherche sur la théorie et la mesure des performances des entreprises et services publics conduite par l'Université de Liège, paraissaient deux articles sollicitant la MSC. Le premier (Gathon, 1986) portait sur l'estimation des gains de productivité globale, l'analyse de ses déterminants et de sa répartition sur un large échantillon de 15 sociétés ferroviaires, principalement européennes, sur la période 1970-1983. Le second (Gathon et Perelman, 1989), comparait les potentialités et les résultats de la MCS avec les autres méthodologies habituellement déployées pour la mesure de la performance ferroviaire.648 Les auteurs concluaient sur l'intérêt de considérer l'ensemble de ces méthodes comme complémentaires.649
Comment expliquer ce déclin de la MCS ? Nous ferons nôtre l'analyse de J.-L. Malo pour exprimer les raisons de cette marginalisation de la référence au surplus comme instrument de contrôle de gestion et de dialogue social, en France même. Il voit dans le peu d'application de cette méthode les conséquences de son ambition fondatrice.
‘"A l'heure actuelle, la méthode des comptes de surplus n'a pas réussi à devenir l'instrument de dialogue que ses concepteurs espéraient. Réticence des directions d'entreprise à diffuser des informations fondamentales sur leur gestion, répugnance des syndicats à pratiquer une cogestion et méfiance devant une méthode complexe semblent être les principales raisons de cet échec." J-L. Malo, (1989), p. 485. Souligné par nous. ’Nous en suggérerons d'autres, pour expliquer, sa marginalisation dans le monde universitaire. Née en France des plus grands économistes de l'époque, dans un contexte de fort interventionnisme étatique, la MCS a du sa notoriété aux sciences de gestion. Les conditions particulières de son succès ont ici aussi contribué à sa marginalisation pour trois raisons. Le déclin de l'interventionnisme public, dans un contexte de discrédit des politiques keynésiennes, a réduit la nécessité de poursuivre des recherches sur le pilotage macroéconomique des revenus. La faible influence de la science économique française au niveau international n'a probablement guère contribué à la notoriété de cette méthode d'origine nationale. Sans compter que le développement des techniques économétriques a offert à notre discipline l'occasion de déployer des méthodologies nouvelles et prometteuses, bien distinctes de celles sollicitées à une époque où sciences de gestion et sciences économiques étaient peu différenciées.
Et pourtant, malgré sa faible diffusion, nous pensons que la MCS présente des qualités intrinsèques pour prétendre figurer dans la panoplie des outils de contrôle de gestion (Malo, 1989), pour devenir un instrument de dialogue entre les partenaires sociaux (Roy, 1977), mais surtout pour constituer un instrument d'évaluation de la performance des entreprises publiques (ou régulées) (Gathon, 1986). C'est pourquoi il nous faut maintenant en présenter les principes.
Le CERC lui-même (1980, pp. 116-117) signale l'impossibilité de dresser un état complet des applications auxquelles la méthode des comptes de surplus a donné lieu depuis 1969. Cet état de fait résulte de plusieurs raisons : de nombreuses études sont restées des documents internes aux entreprises et n'ont pas été publiées ; mais tout autant, le CERC n'a pas nécessairement été informé de l'utilisation de cette méthode mise en œuvre tant par des entreprises, que par des experts comptables et conseillers en gestion, voire des universités et grandes écoles, qui ont intégré la méthode dans leur programme d'enseignement et qui ont souvent débouché sur des cas d'application.
Nous noterons avec intérêt que la MCS a été l'objet d'une communication au XXII° Rencontre nationale d'ingénierie sur la Productivité, à Curitiba fin 2002, par un professeur brésilien en Sciences de gestion (M. M. Dolabella, 2002).
Est-ce la conséquence de la bien faible diffusion de cette méthode au niveau européen, alors que la France a du harmoniser ses diplômes avec le schéma LMD ?
Une véritable école brésilienne semble s'être rassemblée autour de cette perspective. Voir Tinoco (2001).
Ce rapport indique que la SNCF l'aurait abandonnée pour des raisons pratiques : difficultés à résoudre les problèmes posés par la dissociation des valeurs en volume et en prix, mais aussi difficultés posées par l'interprétation des résultats parfois. Nous serions tentés de suggérer une autre raison. Dans une période de grande difficulté financière de l'entreprise, cette méthode risquait d'apporter des éclairages sur la répartition des surplus générés par l'entreprise et sur les avantages de prix obtenus sur son environnement. Cette transparence aurait pu nuire à la stratégie de certains acteurs. Nous rappellerons qu'à cette époque, la Direction n'avait pas pu finaliser son contrat de Plan, suite au refus des syndicats.
Reprenant le propos des auteurs, nous rappellerons que la méthodologie la plus avancée se limite à la seule efficacité économique. "Elle porte sur l'efficacité technique au travers de la fonction de production (Farell, 1957) et sur l'efficacité allocative grâce aux fonctions de coût et aux taux de croissance de la productivité totale des facteurs (Dogson, 1985 ; Caves et Christensen, 1980). Cette méthodologie s'oppose à un ensemble d'approches plus simples, telles que celles qui s'appuient sur le taux de productivité partielle et qui peuvent donner lieu à des conclusions erronées. Dans la plupart des cas, les entreprises publiques n'ont pas de concurrents directs. C'est le cas de ces entreprises publiques types que sont les chemins de fer. Pour en évaluer la performance, on doit se résoudre à les comparer les unes aux autres ; dans le temps ou dans l'espace [...].", (Gathon et Perelman, 1989, p. 62).
Les auteurs faisaient observer que le classement d'une même entreprise pouvait être modifié radicalement selon la méthodologie employée. Les auteurs signalaient notamment que les taux de croissance de la productivité différent sensiblement entre la MCS et celle de la Productivité Totale des Facteurs. Cette différence s'expliquant par le fait que les comptes de surplus intègrent un périmètre plus large (incluant les prestations des tiers, les charges financières et les amortissements) et non seulement le capital et le travail. Les auteurs recommandaient, pour ces raisons, de considérer l'ensemble de ces méthodes comme complémentaires. Nous relèverons, mais nous y reviendrons, la difficulté soulignée par les auteurs pour mesurer l'output, la production des chemins de fer.