1.3.1. Un cadre unifié d'étude de la performance productive et de la répartition

Conformément à l'intention de ses fondateurs, le premier mérite généralement reconnu à la MCS est de réunir, dans un cadre unifié, une double approche de la performance d'une organisation (firme privée ou publique…), par la production et par la répartition.

Dans le premier cas, la méthode se présente comme un instrument de mesure de la performance productive globale d'une organisation. L'analyse se focalise vers le surplus de productivité globale des facteurs, le SPG, son montant, son évolution et son origine. Comme le soulignaient P. Massé et P. Bernard (1969), ce surplus de productivité (SPG) se présente comme le résultat d'un "jeu contre la nature". Il mesure une performance dans le sens où il traduit une amélioration de l'efficience productive de la firme.

En complément à l'étude du SPG, la MCS permet aussi une analyse des productivités partielles (du travail, des fournitures, des amortissements et des frais financiers) riches d'enseignements sur l'importance des substitutions entre facteurs et sur la capacité de la firme à adapter son volume de facteurs à l'évolution de son activité.

A titre d'illustration du pouvoir explicatif et prédictif des résultats obtenus par les analyses en termes de SPG, nous rappellerons les conclusions prémonitoires auxquelles le CERC aboutissait dans sa toute première étude, portant sur la SNCF (CERC, 1969b).

‘"Par-delà les fluctuations observées, le phénomène essentiel est un ralentissement progressif et très net des gains de productivité : de 4,1% par an au cours de la période 1952-1957, ils passent à 1,5% en moyenne de 1958 à 1962, pour n'être plus que de 0,2% par an en fin de période, de 1963 à 1966. […] L'ensemble des remarques précédentes pose cependant un grave problème, celui des difficultés que rencontre une entreprise comme la SNCF pour adapter rapidement et complètement ses facteurs de production à la demande de ses produits. Cette adaptation ne se réalise en effet que lentement et partiellement, et ce phénomène est inhérent à la fois à la nature de l'activité ferroviaire et à la mission de service public que doit remplir la SNCF. Or cette entreprise est soumise de plus en plus à une concurrence particulièrement vive, qui la contraint, soit à des adaptations beaucoup plus rapides et rigoureuses que par le passé, soit à une stagnation en quelque sorte structurelle de sa "productivité globale […].", CERC, (1969b), p. 23-25. Soulignés par nous.’

Dans le second cas, la méthode se présente comme un outil d'étude de la répartition résultant de l'activité d'une unité économique. L'analyse porte alors sur le surplus total disponible, le STD et sur le compte de surplus. Dans la terminologie de P. Massé et P. Bernard (1969), ce surplus (STD) se présente comme le résultat d'un "jeu entre les hommes". Il mesure une performance dans le sens où il traduit l'importance des gains, les "avantages" et, des pertes, les "désavantages", de chacun des partenaires en lien avec l'entreprise.

Le compte de surplus présente une vision synthétique de l'ensemble de ces résultats. Il renseigne tant sur l'identité des apporteurs et des bénéficiaires de surplus, que sur les montants des avantages ou des désavantages de chacun d'eux. A la différence d'autres instruments, et en particulier des fonctions de production, le compte de surplus permet de dépasser les lectures simples, par facteurs de production capital / travail, pour observer les gains et les pertes de l'ensemble des partenaires de l'entreprise (E. Froment, 1973, p.134). Nous relèverons à la suite d'E. Froment que la MCS indique précisément la provenance d'une évolution de la rémunération de chaque agent en distinguant ce qui résulte de la variation du prix de ce qui est dû à celle des quantités échangées (E. Froment, 1973, p. 139).

Etudié sur plusieurs années, le compte de surplus permet également d'observer le degré de stabilité d'une répartition, donc de percevoir l'existence de position de force ou de faiblesse d'un agent (si celui-ci est toujours isolé du même coté du compte). Dans cette optique, il peut également être intéressant d'identifier les éventuelles coalitions entre agents. Ces questions rejoignent celles exprimées par J.-L. Roy (1977). Ce dernier percevait dans la MCS un moyen de détecter les conflits potentiels latents dans une organisation. Dans ce but, il proposait d'analyser, sur moyenne période, les déformations de la répartition, mettant ainsi en évidence des transferts importants de revenus de certains agents vers d'autres (clients et fournisseurs vers l'entreprise en raison d'une position dominante sur le marché…).

Plus fondamentalement encore, et pour reprendre la proposition développée par Y. Morvan (1991), nous soulignerons combien la MCS est susceptible d'affiner la connaissance des relations d'une entreprise avec son environnement, et en particulier d'identifier les deux sources possibles d'enrichissement résultant de l'activité d'une unité économique : les "gains d'efficacité" de l'appareil productif ou bien, les "gains de rentabilité" résultant de la capacité de la firme à récupérer du surplus de son environnement par l'exercice d'un certain pouvoir de domination.

‘"Une connaissance économique détaillée et fournie des performances du système productif demande que soient alors bien localisées les diverses sources d'enrichissement des unités : elle requiert notamment que soit distingué ce qui est dû aux seuls gains d'efficacité du système, résultant d'une stricte comparaison des quantités de facteurs de production utilisés et de biens produits, de ce qui est dû aux gains dits "gains de rentabilité", résultant de l'analyse des rapports de domination qui s'instaurent entre les unités observées et leur environnement et se traduisant par des variations plus ou moins fortes des "prix" des facteurs de production utilisés et des biens produits ". Y. Morvan, (1991), p 117. Souligné par nous.658

Cette distinction d'Y. Morvan, remarquablement éclairante, nous a suggéré une illustration de cette analyse de la performance des organisations (et des firmes).

Figure 5.4 - La méthode du surplus, mesure de la performance de la firme.
Figure 5.4 - La méthode du surplus, mesure de la performance de la firme.

Par une terminologie savoureuse, Y. Morvan (1991) souligne la faculté de la MCS de mesurer une éventuelle "capacité de drainage" d'une unité sur son environnement, c'est-à-dire par exemple, d'imposer à ses clients des hausses de prix, à ses fournisseurs, des ristournes ou à son personnel une modération salariale. L'auteur relève également combien peuvent être contradictoires les résultats d'une analyse de la performance d'une entreprise sous ces deux aspects.

‘"[...] il peut exister une contradiction entre une analyse en termes de productivité technique et une analyse en termes de rentabilité, de sorte qu'à la limite, les entreprises les plus "rentables" (celles qui ont les plus forts bénéfices) ne sont pas toujours celles qui sont les plus "efficaces" (celles qui savent le mieux combiner leurs facteurs de production) : leur effet de domination leur permet d'opérer à leur profit d'incontestables transferts de variations de rémunérations (forts héritages reçus) qui masquent la faiblesse de leur efficacité (faible SPG).", Y. Morvan, (1991), p. 125-126.’

La MCS apporte une mesure de l'importance relative de ces deux sources d'enrichissement. Il importera de calculer la part du surplus total disponible qui résulte des progrès de l'efficacité propre à la firme (ses gains de productivité) et celle qu'elle obtient en affermissant son influence sur son environnement (amélioration de ses termes de l'échange). Ce calcul peut se présenter par le ratio exprimant la part du SPG dans le STD ou par son complémentaire, la part des "héritages " dans le STD. (Y. Morvan, 1991).

Au total, les observations précédentes nous laissent percevoir la MCS comme un outil très intéressant au regard de notre problématique. Dans sa faculté de mesure de la performance productive, nous attendrons de la MCS des éléments d'appréciation sur l'évolution de l'efficience productive de l'exploitant ferroviaire. Les économies d'échelles, caractéristiques de cette industrie aux coûts fixes majoritaires, se traduisent-elles en pratique par une diminution du coût moyen en situation d'augmentation du trafic ? La régionalisation est-elle porteuse de pressions managériales favorables à une réorganisation de la production (meilleurs roulements des personnels et des matériels) permettant d'obtenir une diminution des coûts d'exploitation ? Quelle est l'importance des gains de productivité globale des facteurs (SPG) obtenus dans ce nouveau contexte organisationnel ?

La MCS sera également sollicitée au titre de ses potentialités d'étude de la répartition née de l'activité TER. Il sera tentant d'analyser les relations entre la SNCF, RFF, les voyageurs et le commanditaire et financeur du service, les Régions. Doit-on s'attendre en particulier à des phénomènes majeurs de "domination" des deux monopoles ferroviaires, celui de l'exploitant et celui du fournisseur d'infrastructure, aux dépens des usagers et des collectivités publiques ? L'analyse développée par Y. Morvan nous suggérera de porter une attention toute particulière, aux variations de prix elles-mêmes (et non seulement au montant des avantages ou désavantages qui en résultent). En effet, ces variations de prix reflètent directement l'évolution de la position de l'entreprise par rapport à chacun de ses partenaires. Il nous restera alors à interroger leurs causes pour savoir si l'entreprise subit ces variations, ou bien les impose, ou bien encore les négocie. Cette approche nous semble d'autant plus pertinente qu'elle rejoint la notion de "termes de l'échange", notion habituelle en économie internationale. Sans nous référer expressément aux indicateurs de mesure des termes de l'échange659, non directement transposables à notre objet, nous en retiendrons l'esprit quand nous évoquerons ultérieurement la notion de "frontière de prix".

Notes
658.

Nous noterons qu'Y. Morvan est conscient des limites de cette distinction. Il rappelle lui-même que cette dichotomie ne doit pas faire illusion : "tout d'abord, il existe des relations entre eux ; par ailleurs, cette dichotomie ne doit pas faire croire que seuls les premiers sont honorables, et pas les seconds : une bonne gestion de l'entreprise est autant liée à une politique pertinente d'approvisionnement qu'à un simple effort de rationalisation.", (Y. Morvan, 1991, p. 128).

659.

La consultation du dictionnaire The New Palgrave (1991, pp. 623-626) suggère une certaine proximité entre les notions de termes de l'échange, de frontières de prix et d'avantages" ou de "désavantages". La proximité la plus grande se retrouve avec deux acceptions de la notion de termes de l'échange, les "termes de l'échange net" et les "termes de l'échange des revenus".

La première notion, les "termes de l'échange des produits" ou "termes de l'échange net" ("commodity or net barter terms of trade"), reprise de D. H. Robertson (1952), exprime le prix relatif des exportations mesuré en termes d'importation. Il se calcule comme le rapport d'un index de prix à l'exportation à un index de prix à l'import, relativement à une année de référence.

La seconde notion, les "termes de l'échange des revenus" ("purchasing power of exports") est censée représenter le pouvoir d'achat des exportations. Elle se calcule comme le produit entre les "termes de l'échange net" et le volume des exportations. Elle correspond au niveau des importations en valeur réelle qui peut être soutenu par les recettes d'exportations courantes. Cette notion nous semble, dans son esprit, relativement proche des notions "d'avantages" ou de "désavantages" issues de la MCS.