Introduction du chapitre 6

Ce chapitre vient clore notre démonstration. Il lui revient de lever les doutes précédents et donc d'apprécier, voire de mesurer la pertinence706 de ce nouveau mode d'organisation du transport ferroviaire régional de voyageurs mis en place en France par la loi SRU. Les Régions ont-elles été à même de gouverner le nouveau système SNCF-TER engendré par la régionalisation ferroviaire dans l'optique de surplus de bien-être pour la Collectivité et pour les voyageurs ?  

Nous envisagerons cette évaluation au travers du seul prisme de la MCS dont la portée et l’intérêt pour notre étude sont maintenant explicités. Nous appliquerons la transposition de cette méthode aux comptes SNCF-TER sur l'échantillon des 7 régions expérimentatrices, dont l'expérience du conventionnement avec la SNCF est la plus longue. Par cette méthodologie, nous aspirerons à préciser les contours du "modèle économique SNCF-TER", et secondairement, à rechercher les contractualisations régionales les plus performantes dans une optique de concurrence par comparaison.

Notre parcours d’explicitation du "modèle économique" SNCF-TER reposera sur un questionnement formulé sur la base de trois hypothèses.

  • Conformément aux risques évoqués dans notre analyse initiale du monopole ferroviaire (chapitre 1), nous testerons d'abord l'hypothèse d'un monopole ferroviaire SNCF-TER prédateur. Nous tenterons d’évaluer les gains de productivité globale (SPG) obtenus par l'exploitant ferroviaire historique dans ce nouveau contexte, mais plus encore d'apprécier sa capacité à drainer des avantages de prix à son profit.707 Nous élargirons la perspective et intégrerons à l’analyse RFF, dont les péages constituent un paramètre d'exploitation du TER également déterminant. Nous chercherons ainsi à appréhender, par les transferts de surplus, les effets du double monopole tant de l'exploitant ferroviaire que du gestionnaire d'infrastructure.
  • Nous testerons ensuite l'hypothèse d'apprentissage organisationnel des acteurs, et en particulier des AO régionales. Pour ce faire, nous nous focaliserons sur l'importance des mouvements de frontières de prix (et par conséquent aussi celle du surplus total distribuable - STD) que nous interpréterons comme étant un révélateur éclairant des tensions entre les acteurs du "système SNCF-TER" (Collectivités, voyageurs, SNCF, RFF). Une diminution du taux de STD sera perçue comme la marque d’une stabilisation des relations contractuelles et d’un gain d'expertise des Régions.
  • Nous chercherons enfin à mesurer les avantages obtenus par les voyageurs, destinataires ultimes de cette politique publique de transport, dans la distribution du surplus total. Nous solliciterons à cette fin l'hypothèse méthodologique du "surplus élargi" des voyageurs présentée précédemment (chapitre 5).

Secondairement, nous comparerons les résultats obtenus par les régions et tenterons d’identifier les exemples de "bonnes pratiques" et leurs déterminants dans une optique de concurrence par comparaison. La théorie montre qu’un éclairage des pratiques est un moyen d’améliorer la performance des acteurs, ici du système ferroviaire, mais aussi des AO en tant que décideurs, financeurs et contrôleurs de ce service délégué. Nous viserons également à saisir l'impact de la gouvernance exercée par l'AO régionale sur les performances brutes observées.

Pour répondre à cette double interrogation, notre appréciation de la pertinence de la régionalisation ferroviaire française reposera d'abord sur une présentation de résultats transversaux obtenus sur l'échantillon des sept régions expérimentatrices (6.1.), puis sur deux études de cas approfondies à partir des régions Nord-Pas-de-Calais et Rhône-Alpes qui sont des régions TER clés (6.2.). Nous rechercherons enfin des spécificités régionales, voire des "bonnes pratiques", à partir des cinq autres régions TER étudiées (6.3.).

Notes
706.

Nous parlerons de pertinence du choix du législateur dans le sens habituel de ce terme en matière d’évaluation des politiques publiques (Faivre d’Arcier, 1998). Cette notion renvoie à l’examen de la qualité des moyens mis en œuvre pour atteindre les objectifs poursuivis. Elle se distingue des notions de cohérence, d’efficience et d’efficacité.

707.

Nous retrouvons ici la distinction, fort éclairante, proposée par Y. Morvan (1991, p. 117) qui précise que dans la localisation des sources d’enrichissement d’une organisation, il importe de distinguer "ce qui est dû aux seuls gains d’efficacité du système, résultant d’une stricte comparaison des quantités de facteurs de production utilisés et de biens produits, de ce qui est dû aux gains dits « gains de rentabilité », résultant des rapports de domination qui s’instaurent entre les unités observées et leur environnement et se traduisant par des variations plus ou moins fortes des prix […]".