3.3. Le Limousin : une grande stabilité des frontières de prix associé à une bonne maîtrise de l'évolution du coût d'exploitation à charge de la Région

La caractéristique la plus distinctive, et probablement signifiante sur un plan théorique, est la particulièrement faible instabilité des frontières de prix du compte SNCF-TER. Alors que sur la période 2002-2005, le taux moyen de surplus total distribuable (STD) est pour les 7 régions étudiées de l'ordre de 7,9%, il n'est que de 5,3% en Limousin. Plus encore, le taux de STD est pour les 5 années étudiées744, de 2002 à 2006, constamment en Limousin, le plus faible de l'échantillon. La valeur du compte 2006 est même exemplaire avec un taux de seulement 1,8%. Nous formulerons l'hypothèse que ce résultat est à relier avec la spécificité de la Convention TER de cette Région, dont le mode de coordination a manifestement privilégié la confiance et secondairement les formes d'incitation (Desmaris, 2004). Pourquoi développer des comportements opportunistes dans un contexte où la relation contractuelle se joue sur la très longue durée (10 ans) et sur une volonté de l'AO de récompenser les efforts fournis ?

Une lecture en niveau des frontières de prix révèle d'autres spécificités du "modèle économique" SNCF-TER Limousin. Comme différentes études l'ont déjà montrée (Crozet, 2002 ; DAEI/SES-INSEE, 2004), la pertinence économique du mode ferré en zone peu dense est faible à différents titres : un taux de remplissage comparativement faible745 Le nombre moyen de voyageurs tiendrait dans un car… (tableau 6.18) ; des coûts de structure, en particulier d'entretien du réseau, très élevés ; et au final une très faible couverture des coûts par les recettes commerciales, ou ce qui revient au même, un niveau élevé de subventionnement public. De fait, la subvention d'équilibre par train-kilomètre réalisé est élevée en Limousin, la plus élevée de l'échantillon, après PACA (figure 6.9).746 Nous relèverons que le coût des péages par Tkm est par contre le moins élevé des 7 régions étudiées, en raison probablement du coût réduit des sillons en zone peu dense.

Tableau 6.18 - Taux de remplissage des trains. Ratio du nombre de Vok par Tkm.
  2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007
Alsace 68,6 66,7 67,4 66,5 66,6 73,0 75,5
Centre 76,6 74,0 75,6 75,7 74,4 78,6 79,5
Limousin 29,4 27,5 27,7 27,5 29,5 30,2 31,0
NPC 86,8 81,5 82,4 78,6 77,0 83,1 82,5
PDL 69,3 68,2 70,6 69,0 69,2 78,6 82,2
PACA 85,2 81,8 82,5 82,7 88,7 78,7 98,6
Rhône-Alpes 73,4 71,7 74,6 75,5 82,4 88,7 90,3
Moyenne non pondérée 69,9 67,3 68,7 67,9 69,7 73,0 77,1

Cet environnement géographique et démographique, peu favorable au mode de transport collectif de masse, a manifestement incité la Région Limousin à une grande prudence en termes de création d'offre : la Région a, en début de Convention, peu créé de trains-kilomètres nouveaux747, préférant substituer à certaines dessertes des liaisons routières par car TER ou même par taxis à la demande.

L'attractivité du réseau TER Limousin ne semble pas en avoir pâti. Au contraire, après une période de déclin du trafic, la fréquentation est repartie à la hausse, avec 15% de fréquentation en plus fin 2007 comparé à fin 2001 (et un retour à une croissance positive du trafic voyageurs sur le rail à partir de 2004 (après une décennie de déclin).

Il résulte de cette maîtrise de l'offre et de ce retour de la fréquentation des conséquences positives en matière de gains de productivité. Si la productivité globale apparente ne progresse que de 0,25% en moyenne sur les quatre premières années, elle s'accélère fortement en 2005 pour atteindre 1,16%, dans un contexte de hausse du trafic. Le Limousin prend alors la deuxième place après Rhône-Alpes (tableau 6.14 supra). Les gains de productivité restent forts en 2006, mais à un moindre niveau (+0,33%).

Au-delà, le compte de surplus SNCF-TER cumulé de la région Limousin de 2002-2006 présente deux spécificités : une bonne maîtrise de l'évolution de la frontière de prix de la subvention d'équilibre par l'AO régionale et un exploitant ferroviaire, la SNCF, gagnant en raison des transferts suscités par le système d'incitation.

Si la Région Limousin se présente, comme les autres, en apporteuse de surplus (3,3 millions d'euros pour l'exploitation), elle peut se prévaloir d'une bonne maîtrise de l'évolution de la contribution d'équilibre par train-kilomètre, 8,4% entre 2002 et 2005 contre 16,7% en moyenne (tableau 6.7 supra). Seules les PDL font très légèrement mieux. Cette performance trouve deux explications : la politique de grande prudence de l'AO régionale en matière de création d'offre et la nature des indices de prix retenus pour l'indexation du forfait de charges d'exploitation, qui s'avère comparativement favorable à cette Région. De ce fait, la part de la subvention d'équilibre dans les apports de surplus est plus faible dans le Limousin qu'en moyenne ailleurs (60% des ressources du compte de surplus contre 70%).

Deuxième spécificité, le gain net obtenu par la SNCF. Il se distingue, non par son montant, faible (0,2 million d'euros), que par sa provenance, les bonus résultant du système d'incitation à la performance (0,46 million d'euros) et résiduellement la rémunération de l'exploitant. L'évolution des charges d'exploitation vient globalement réduire significativement (0,3 million d'euros) l'avantage obtenu par la SNCF.748 La contribution positive du système d'intéressement au gain de l'exploitant mérite explication. Elle résulte de deux facteurs. Le système de pondération et d'exemption de pénalités est probablement, dans cette Région, plutôt bienveillant avec l'opérateur749. Au-delà, ce dernier a accompli de réels et significatifs progrès en matière de qualité de service, lui permettant sur les derniers exercices de ne plus encourir de pénalités et, au contraire, d'obtenir les bonus maxima prévus par la Convention.

Nos calculs font apparaître une troisième spécificité. Les voyageurs semblent bénéficier d'un avantage très important au titre du prix des billets (1,25 millions d'euros, soit plus de 15% du STD de la période 2002-2006). Cette part des voyageurs est même de 26% en 2005 et de 41,5% en 2006... Cette observation est paradoxale au regard de la grande stabilité du prix moyen de la subvention tarifaire au voyageur-kilomètre750. A l'analyse, cet avantage des voyageurs est fictif et résulte du mode de comptabilisation des recettes, particulier à cette Région. Cas unique, la Convention TER Limousin stipule que les recettes commerciales soient enregistrées dans le compte de facturation par un forfait, faiblement progressif (suite à l'indexation retenue), et non par les recettes réelles. Cette disposition avait été voulue par la Région pour se prémunir du risque, initialement fondée751, de baisse des recettes. Il résulte de cette convention, en situation de progression du trafic et des recettes, un écart752, qui rend inopérant le calcul du surplus élargi sur la base de l'avantage obtenu par les voyageurs au titre du prix des billets par Vok.

Autre fait curieux et unique, le très faible avantage de prix obtenu sur le poste amortissement des matériels roulants. Comment en rendre compte ? Curiosité : les dotations en matériel roulant connaissent, fait unique, une baisse de leur prix moyen par caisse qui se traduit par une perte de surplus voyageurs (comptablement attribuée à la SNCF). Ce phénomène nous semble s'expliquer de deux manières : par un parc ancien, donc très largement amorti et par un contexte de quasi stabilité du nombre total de caisse sur la période 2003-2006.753 A l'inverse, les "Subventions de modernisation (quote-part)" augmentent significativement, suggérant d'attribuer l'avantage de la modernisation aux voyageurs. Il résulte de cette situation doublement atypique une difficulté à mesurer le "surplus élargi" des voyageurs par les conventions retenues jusqu'ici (H2 et H3).

Nous proposerons, pour terminer, le compte de surplus 2006, dont la configuration s'écarte du compte cumulé, dans la mesure où l'effort sur les charges d'exploitation (et les gains de productivité issus de la hausse du trafic) autorisent des gains à toutes les autres parties (hors RFF) et où l'effet de la modernisation du matériel roulant apparaît (enfin).

Figure 6.11 - Comptes de surplus 2005-2006 de la région Limousin.
Figure 6.11 - Comptes de surplus 2005-2006 de la région Limousin.
Tableau 6.19 - Comptes de surplus 2002-2006 de la région Limousin.
Tableau 6.19 - Comptes de surplus 2002-2006 de la région Limousin.
Figure 6.12 - Comptes de surplus cumulés 2002-2006 de la région Limousin.
Figure 6.12 - Comptes de surplus cumulés 2002-2006 de la région Limousin.
Notes
744.

Nous avons fait le choix d'étudier cette Région sur une année de plus, 2006, pour deux raisons : la durée significativement plus longue de la Convention de cette Région et son point d'entrée plus tardif dans l'expérimentation nous laissent supposer qu'une période d'observation plus longue nous amènera à mieux saisir les processus d'apprentissage en cours dans cette Région. Le retour, tardif (à compter de 2005), du trafic à la hausse a eu de forts impacts sur les comptes de surplus 2005 et 2006 qui différent foncièrement des précédents. Ces deux raisons ont fortement conforté dans ce choix.

745.

Laval (2008, p.48) relevait que le nombre de voyageurs par train était en 2007 en Limousin le plus faible des 20 régions TER, avec un ratio Vok/Tkm de 28, contre 75 en Alsace, 80 dans le Centre, 82 en PDL, 83 en NPC, 87 en Rhône-Alpes ou encore 101 en PACA.

746.

Nous voudrions ici apporter un élément à la discussion de la proposition habituellement admise selon laquelle les régions faiblement peuplées constituent par nature des zones de faible pertinence pour le transport ferroviaire. Le cas du TER Limousin apporte l’illustration d’un coût pour la collectivité plus élevé qu’en moyenne, mais au final assez faiblement. Comparé à la région Rhône-Alpes, nous noterons que le prix de la subvention d’exploitation régionale par train-km réalisé n’est supérieur en Limousin que d’à peine 19% en 2006 (12,16 euros contre 10,25 euros en valeur 2002). Cela est, au final, bien peu au regard des différences de conditions d’exploitation… Sans compter la bonne maîtrise dans le temps de cette contribution.

747.

Voir Annexe – Indicateurs généraux de performance TER.

748.

En raison de l'importance particulière du trafic TER routier dans cette Région (un peu plus d'un quart des Vok en 2006), nous avons recalculé les comptes de surplus du Limousin. Le premier, standard, repose sur un calcul du C1 (fer et route) par Tkm fer, le second neutralise l'impact des TER routiers. Ce calcul amène à mieux apprécier le coût réel des charges d'exploitation ferroviaire par Tkm. L'écart est de 1 euro environ ; soit en 2005, 12,13 euros (avec les cars) et 11,23 euros sans. Pour le reste, les incidences sur le compte de surplus sont dérisoires, les signes des avantages transférés entre la SNCF et l'AO restant inchangés, seuls sont légèrement modifiés les montants des surplus. Voir Annexes – Limousin.

749.

A titre d'illustration, nous avions remarqué que, comparativement, les niveaux d'objectifs assignés à la SNCF étaient généralement modestes et que, signe de compréhension de l’AO envers une culture d’entreprise spécifique, les grèves de personnels de la SNCF donnent lieu à une neutralisation des mesures de la qualité produite et donc à suspension des pénalités (Desmaris, 2004, pp. 109-110).

750.

Voir Annexe du chapitre 6 – Frontières de prix.

751.

Le trafic TER Limousin (fer et route) avait stagné sur la période d'expérimentation (+0,9% entre fin 1996 et fin 1999) alors qu'il avait augmenté de 12% sur cette période dans les régions expérimentatrices (Bonnet et alii., 2001, p. 49).

752.

Nous noterons que cet écart, en situation de progression du trafic, constitue un avantage transféré par l'AO au délégataire, avantage non enregistré dans les comptes de surplus. Cette observation vient renforcer notre proposition selon laquelle dans cette région, conformément à l'esprit général de la Convention, l'exploitant est en mesure d'obtenir du surplus à son avantage.

753.

Des arrivées de nouveaux matériels roulants ont eu lieu à mi-convention : 12 rames AGC (Autorail de Grande Capacité) ont été livrés au cours de 2006 et 2007, portant le parc à 86 équivalents caisses fin 2007 (Rapport d'activité TER Limousin 2006, p. 37). Il en résultera, à terme, une élévation du prix des amortissements par caisse élément constitutif de l'avantage des voyageurs (hypothèse du "surplus élargi").