Au terme de ce chapitre, nous pouvons répondre à nos deux interrogations initiales, celle concernant l'explicitation de la nature du "modèle économique SNCF-TER" et celle relative aux disparités de profils régionaux.
A la question du "modèle économique SNCF-TER" issu de la loi SRU, notre approche par la MCS appliquée aux comptes de facturation SNCF-TER des Régions expérimentatrices nous permet d'aboutir à six propositions principales.
1) A la crainte des effets du maintien de l'exploitant ferroviaire historique, la SNCF, comme partenaire obligée des Régions, en tant qu'autorité organisatrice du transport régional de voyageurs, et de sa capacité à drainer des avantages de prix à son profit, les comptes de surplus établis sur les régions expérimentatrices nous ont amené à une réponse négative (hors situation de non-réalisation de l'offre). Le prix des charges d'exploitation facturées par la SNCF aux Régions a diminué, en valeur constante, partout sauf en Rhône-Alpes et PACA. En outre, des gains apparents de productivité globale des facteurs (SPG) ont été enregistrés, bien que très variables selon les années et les régions. Le déterminant le plus important de ces gains d'efficience "apparent" s'avère le dynamisme de la fréquentation. Nous avons relevé avec intérêt que les années les plus récentes, marquées par une vive progression du trafic, voient apparaître des gains de productivité significatifs, comme l’illustrent les situations du NPC et de Rhône-Alpes. Une généralisation de cette tendance amènerait à envisager le "modèle économique SNCF-TER" sous un angle différent de celui qui en caractérise les toutes premières années et pourrait laisser espérer une logique "gagnant-gagnant"759.
Leur interprétation en termes de gains réels d'efficience productive de la SNCF est obscurcie par la présentation des charges d'exploitation sous forme de forfait. Seule certitude, ils bénéficient aux AO régionales, en atténuant l'intensité de leur contribution au titre de la subvention d'équilibre. Mais, en dehors de Rhône-Alpes, leur part dans le surplus distribuable reste secondaire.
2) RFF (avec la caution de l'Etat), à la recherche de son équilibre économique propre, s'est par contre montré bien plus à même de modifier significativement et unilatéralement les frontières de prix à son avantage. L'essentiel de l'instabilité des frontières de prix et des surplus transférés en ce début de conventionnement relève du choc des péages de 2004. Cette captation par RFF de la part la plus importante du surplus distribuable doit être soulignée, mais aussi relativisée, car c'est un des points qui ressort le plus distinctement des balances d'échange (figures 6.18 et 6.19 ci-dessous). Nous supposerons que ces hausses de péages ne sont pas une caractéristique structurelle du fonctionnement du système SNCF-TER "en régime de croisière".
L'effet réel sur les finances régionales de cette hausse des péages doit également être nuancé dans la mesure où l'Etat a compensé (sur la seule base du périmètre d'activité TER de 2000) ces augmentations par des réajustements des compensations versées aux Régions au titre du transfert de cette compétence.
3) Quant aux Régions 760, à qui la décentralisation a confié cette nouvelle responsabilité, leur aptitude à maîtriser financièrement le poids de la conduite de cette politique publique semble confirmée, pour le moins sur l'échantillon des régions expérimentatrices, les plus anciennes à s'être engagées dans le processus de partenariat avec la SNCF. Le prix réel de la subvention d'exploitation connaît une hausse par train kilomètre, mais essentiellement redevable de l'effet péage. La subvention régionale d'exploitation hors péages RFF par train-km réalisé en euros constants est très généralement restée stable et a même parfois baissé pour la plupart des régions expérimentatrices depuis 2002 (figure 6.17 supra). L'Alsace et les PDL faisant ici figure de cas emblématiques. Ce résultat, capital au regard de la problématique de la soutenabilité financière de cette politique de transport, semble confirmer notre hypothèse initiale de processus d'apprentissage des AO.
4) La modernisation du matériel roulant, traduction la plus évidente du fort engagement des AO régionales dans la politique de développement du TER, se traduit systématiquement par une cession d'avantages significatifs par les collectivités publiques au titre de la modernisation du matériel roulant. Leur conséquence sur le regain l'attractivité de ce moyen de transport est essentielle du point de vue des voyageurs.
5) La part du surplus à l'avantage des voyageurs est significatif, si on leur attribue les effets de la modernisation des matériels roulant (presque 20% du surplus distribué - STD - en Rhône-Alpes et 15% en NPC sur l'ensemble de la Convention de 2002 et déjà 20% dans le Centre pour les seules années 2002-2005), mais il est minoré, pour l'instant, par l'insuffisance des performances de qualité de service de la SNCF. Il est donc appelé à s'accroître, en particulier, en raison de la montée en puissance de l'effet de modernisation du matériel roulant. Au total, ce sont les voyageurs qui sont devenus tendanciellement (loin après RFF cependant), les principaux gagnants du "système TER".
6) La relation contractuelle Régions / SNCF nous semble être rentrée dans une dynamique vertueuse d'accumulation d'expériences favorables aux deux parties. Pour preuve, la stabilisation des mouvements des frontières de prix que retrace l'évolution du taux de surplus total distribuable (STD), hors année 2004, plus particulièrement visibles sur les Régions étudiées sur les durées les plus longues (figure 6.2 et annexe 6.2).
Pour illustrer les caractéristiques du "modèle économique SNCF-TER" telles que la MCS nous l'a révélé, nous solliciterons pour terminer les balances d’échanges 2002-2005, en distinguant nos deux hypothèses de calcul du surplus des voyageurs (H1 et H2). Les figures 6.18 et 6.19 sont parfaitement représentatives de nos résultats.761
Les balances d'échanges 2002-2005 montrent que les collectivités publiques apportent l'essentiel du surplus du système SNCF-TER (128 millions d'euros sur 145 millions d'euros) au bénéfice, principalement de RFF (111 millions d'euros) ; les voyageurs obtenant une part de 9,5% du STD avec 14 millions d'euros. Le gain de surplus obtenu par la SNCF apparaît comparativement bien limité (20 millions d'euros), ce qui correspond à un peu plus que les gains de productivité apparents du système SNCF-TER (17,3 millions d'euros).
Affecter aux voyageurs les effets des variations de prix sur les amortissements du matériel roulant (hypothèse 3) modifie sensiblement la répartition des avantages entre la SNCF et les voyageurs. Ces derniers voient leur part presque doubler, passant à 16% du STD, soit 24 millions d'euros, alors que celle de la SNCF est fortement minorée, devenant presque dérisoire (10,5 millions d'euros, soit 7% du STD).
Méthodologiquement, il importe de garder à l'esprit, pour comprendre correctement ces résultats, que la MCS, en tant qu'analyse différentielle, ne permet pas d'apprécier les positions relatives initiales des acteurs. Elle mesure seulement les variations des positions des acteurs, ce qui est déjà appréciable.
Concernant notre deuxième interrogation relative aux disparités de profils régionaux et à leurs déterminants, cette étude reste seulement esquissée et ne peut en l'état prétendre à des résultats robustes et stabilisés, d'autant plus que les comptes de surplus établis sur les quatre premières années du conventionnement témoignent d'une considérable instabilité.
Derrière les comptes consolidés, il s'avère que les profils régionaux au regard des comptes de surplus sont très disparates et révèlent, en arrière plan du "modèle économique SNCF-TER" général, des "modèles économiques SNCF-TER" bien particuliers. L'analyse ne peut prétendre conclure sans porter une attention plus soutenue aux évolutions qui caractérisent chacune des régions. Au-delà de ces disparités, une analyse comparative présenterait notamment l'intérêt de permettre de s'interroger sur les éventuelles convergences à l'œuvre et sur leurs déterminants.
Il y a lieu aussi de prendre en considération les différences dans les positions initiales des acteurs. La MCS, qui repose sur une analyse différentielle, ne valorise pas cet angle d'approche. Nous touchons là une des limites, bien connues, de la MCS. Et pourtant, les situations initiales contribuent à expliquer les trajectoires observées dans nos comptes de surplus.
Du point de vue de la théorie néo-institutionnaliste, ces modèles et les performances qui leur sont associées sont le produit des interactions complexes entre les arrangements institutionnels spécifiques (les Conventions TER 2002) et les caractéristiques de l'environnement institutionnel propre à chaque Région et à chaque activité TER. Il est en effet évident que la nature de gouvernance, composée de la contractualisation initiale et du pilotage effectif de ce conventionnement, joue un rôle déterminant, rejoignant les hypothèses formulées par la théorie néo-institutionnaliste (Ménard, 2001)762.
Ces différences de performances, tant de montants de SPG ou de STD que d'avantages obtenus ou cédés par chaque type d'acteur du système SNCF-TER, nécessiteraient, pour supporter une interprétation fondée, la prise en compte d'un nombre considérable de variables (sur l'environnement technique, mais aussi socio-économique, voire démographique de l'activité TER de chaque région ; sur les objectifs effectivement visés par la politique régionale en matière de tarification, d'augmentation ou de recomposition de l'offre, mais aussi de modernisation des matériels, des gares et de l'infrastructure...)763. Nous n'avons, dans le cadre de cette Thèse, qu'amorcé cette étude qui reste pour l'essentiel à conduire.
Il importe de souligner que la notion de performance d'un système de transport public, tel le TER, est particulièrement délicate à mesurer et à analyser tant sont déterminantes les interactions entre les acteurs (exploitant, AO, infrastructure) et l'environnement du réseau. W. Roy (2007) le soulignait avec acuité dans le cas du transport public urbain et l'illustrait par ce schéma que nous reprendrons à titre d'éclairante illustration du propos.
Source : W. Roy (2007, p. 142).
Il est délicat de distinguer entre la contribution de l'exploitant et celle de l'AO dans une performance globale observée sur des données brutes, alors que cette distinction est analytiquement capitale. Délicat aussi d'isoler l'impact de l'environnement sur les performances des acteurs, AO et exploitant.
Du point de vue de la concurrence par comparaison, ces considérables différences de performances brutes appellent une analyse approfondie favorable à la convergence sur les meilleures pratiques (tableau 6.22).
Charges d'exploitation SNCF-C1 par Tkm à charge réalisés | Subvention d'équilibre nette normalisée hors péage par Tkm à charge réalisés | |||
Centre | 1,00 | Centre | 1,00 | |
Alsace | 1,21 | NPC | 1,59 | |
PDL | 1,25 | Alsace | 1,62 | |
NPC | 1,27 | PDL | 1,96 | |
Limousin | 1,34 | PACA | 1,32 | |
Rhône-Alpes | 1,40 | Rhône-Alpes | 2,10 | |
PACA | 1,74 | Limousin | 3,10 |
(*) PACA : 2004, base 2002.
Ces premiers résultats ne peuvent en l'état constituer des conclusions définitives et exhaustives sur la nature du "modèle économique SNCF-TER" né de la loi SRU et de la conception française de la réforme de cette industrie de réseau. Ils dépendent probablement fortement du cadre de notre étude : la période retenue, plutôt favorable globalement au renouveau des transports collectifs ; les conséquences de l'utilisation du compte de facturation SNCF-TER comme matériau de base764 ; et enfin de nos conventions initiales, en particulier pour paramétrer les frontières de prix et attribuer les mouvements de surplus aux agents (cas des amortissements notamment). Nous avons l'espoir que ces résultats contribuent, à éclairer les conséquences des interactions entre les acteurs du système ferroviaire, ainsi que les choix particuliers effectués par les décideurs régionaux en matière de transport ferroviaire.
De ce fait, cette première application de la MCS sur le transport régional de voyageurs appelle aussi divers prolongements. Les enseignements tirés de notre échantillon de Régions se trouveraient-ils confortés si nous projetions la méthode sur les régions non expérimentatrices ? Ce test reste à réaliser. La plupart des Régions ont renouvelé leur Convention TER en 2006 et 2007, il resterait également à considérer si ces réécritures, fortes de l'expérience, amèneront une distribution des surplus différente. Méthodologiquement, il importerait aussi de tester différentes variantes permettant de mieux saisir l'effet qualité, ce qui amènerait probablement à reconsidérer le niveau des gains de productivité globale de l'opérateur et le montant des avantages obtenus par les voyageurs.
Pour le moins, nous pensons que ces résultats confortent l'intérêt de la méthode des comptes de surplus, un peu négligée dernièrement, à figurer dans la palette des instruments d'évaluation des politiques publiques et, tout particulièrement, du transport ferroviaire régional de voyageurs.
Cette configuration où tant la SNCF et les voyageurs obtiennent des avantages significatifs, sans pour autant imposer à la Collectivité des pertes de surplus, se retrouve distinctement dans le compte de surplus cumulé de Rhône-Alpes sur la période 2002-2006 (hors 2004). La clef de ce succès résulte de l’incidence de la forte reprise du trafic sur les gains de productivité. Voir Annexe du chapitre 6.
Nous préférons rappeler, pour être certain d'être bien compris sur ce point essentiel à nos yeux, qu'il importe de distinguer dans l'analyse les postes sur lesquels la Collectivité subit, plus ou moins passivement, les mouvements de frontières de prix une fois la contractualisation effectuée, des postes sur lesquels la Collectivité est en position active et qui traduisent le degré de volontarisme de sa politique TER. Dans le premier cas, au regard de la mécanique d'équilibre du compte de facturation SNCF-TER, nous trouvons la subvention d'équilibre, dans le second, la subvention de modernisation du matériel roulant, voire la politique tarifaire régionale.
Pour une vision plus approfondie de nos résultats dans une optique de balance d'échanges, voir Annexe 6.4.
C. Ménard (2001) avait montré, à partir de l'exemple de la distribution de l'eau, combien une activité autant soumise à une détermination politique (à la réglementation), ne saurait relever d'une approche par la seule théorie standard des contrats. Valorisant les hypothèses néo-institutionnalistes, il montre en quoi la performance ex post d'un arrangement institutionnel tient d'abord aux interactions fines entre l'ensemble des caractéristiques de l'environnement institutionnel et les modes organisationnels retenus et comment les nombreux échecs de reformes des systèmes d'approvisionnement en eau dans les pays en développement tiennent à l'ignorance de ce déterminant.
Nous avions amorcé la collecte de ces données et leur analyse dans le cadre de notre mémoire de DEA (Desmaris, 2003), mais n'avions pu aboutir faute de disposer d'une méthodologie appropriée au traitement automatique de ce type de données. Nos principaux résultats sont présentés en Annexe 8 du chapitre 4.
Double conséquence. 1) La forfaitisation des charges d'exploitation SNCF-TER ne permet qu'une analyse des gains "apparents" de productivité globale des facteurs. 2) L'effort financier des Régions au titre de leur politique en faveur du TER n'est pas totalement retracé dans ce compte (en sont exclus les engagements pour les gares et l'infrastructure). En outre, ce compte ne tient pas compte des contreparties obtenues par l'Etat au titre du transfert de cette compétence et ne permet donc pas une lecture de l'effort financier net des AO régionales.