2.2.2.3. La rédemption du mythe

Plusieurs éléments entrent en ligne de compte dans l’acceptation presque à contrecœur pourrait-on dire des mythes dans la littérature. Le premier est l’admiration de Marx pour l’Antiquité, son art et sa mythologie, que nous avons évoquée en début de cette partie. On cite souvent en ce sens sa phrase sur le Titan Prométhée, à qui il donne une importance particulière dans la préface de sa thèse de doctorat en tant qu’esprit libre bravant les dieux de l’Olympe :

‘Prométhée est le plus noble des saints et martyrs du calendrier philosophique.199

Évidemment, cette citation ne signifie pas que Marx cautionne la vision du monde que les Grecs véhiculent à travers leur mythologie, mais il est certain qu’il porte un regard bienveillant sur cette dernière dans une perspective esthétique. Lénine quant à lui ne semble pas s’être prononcé sur la question de la mythologie et de son intérêt potentiel pour la société communiste. Néanmoins, il a à plusieurs reprises indiqué que le marxisme devait son succès au fait d’avoir su intégrer les avancées de la culture occidentale :

‘Si le marxisme est parvenu à acquérir une signification internationale, c’est grâce au fait qu’il n’a en aucun cas rejeté les avancées les plus précieuses de l’époque bourgeoise, mais, au contraire, qu’il s’est approprié et qu’il a assimilé tout ce qui présentait de la valeur dans l’évolution de la pensée et de la culture humaines depuis deux mille ans.200

Cette position en faveur de l’assimilation de l’héritage culturel des siècles passés, et donc de celui de la civilisation antique, associée à l’admiration bienveillante de Marx, a poussé les dirigeants de la politique culturelle à tolérer, vers la fin des des années soixante, la réception de la mythologie dans la littérature et l’art, et c’est ainsi qu’en 1966, on peut lire chez Hans Koch, un critique littéraire socialiste éminent :

‘La « redécouverte » littéraire de l’Antiquité est tout à fait légitime d’un point de vue artistique et spirituel. Elle n’a rien à voir, abstraction faite de quelques exceptions sans importance, avec une fuite hors du présent ou un ésotérisme poétique. [...] Il faut rejeter la revendication réactionnaire qui s’accapare les fondements antiques et chrétiens d’une conception réactionnaire de l’Occident et prendre dans l’histoire de la culture ce qui nous appartient.201

Si l’on compare ce point de vue à celui que Rudolf Bahro expose dans son article « Wozu wir diesen Dichter brauchen », écrit également en 1966, que nous avons évoqué auparavant, nous voyons que le thème de la réception des mythes entraîne des déclarations antagonistes de la part même des critiques qui se posent comme les gardiens de l’esthétique socialiste, ce qui nous montre une fois de plus qu’il n’y avait pas de position consensuelle à ce sujet et surtout que l’appartenance de ce pan de la littérature à l’héritage culturel humaniste était loin d’être évidente. Rappelons ainsi que ce même Hans Koch n’évoquera pas une seule fois la réappropriation du matériau mythologique lors de l’importante conférence sur l’héritage culturel à Weimar en 1975. Mais il faut reconnaître qu’à la fin des années soixante, la position vis-à-vis des mythes s’assouplit, toutefois dans des conditions précises que nous allons exposer.

Il est également difficile de rejeter radicalement les mythes quand deux personnalités essentielles de la culture comme Johannes R. Becher et Bertolt Brecht y ont recours dans leur œuvre, notamment pendant leurs années d’exil. C’est à travers ces deux auteurs et leur influence que s’instaure une continuité dans la réception de l’héritage antique dans la poésie socialiste du XXe siècle. Becher et Brecht proposent deux modèles opposés de réception de la mythologie, qui coexistent jusqu’à la fin des années cinquante, avant que le modèle brechtien ne prenne largement l’avantage chez les jeunes poètes. Chez Becher, on peut parler d’une réception épigonale, dans le sens où l’héritage antique n’est pas modifié en profondeur ; il reste estimé, car porteur d’idéaux positifs qu’il faut préserver. Pour Brecht, la réception de l’héritage antique ne peut se concevoir que comme une transformation, une réécriture dans le cadre d’une mise à distance critique. Des auteurs comme Louis Fürnberg, Kuba, Max Zimmering, dans une moindre mesure Georg Maurer, se révèlent proches du modèle de réception de Becher, tandis que des auteurs comme Günter Kunert et Karl Mickel se situeraient plutôt dans la lignée de Brecht, mais cette catégorisation apparaît comme trop simpliste lorsqu’on la soumet à une analyse plus poussée et, comme tout modèle à visée globalisatrice, elle atteint rapidement ses limites. Cela dit, nous garderons cette distinction à l’esprit lors de nos analyses textuelles, afin de déterminer s’il y a ou non réappropriation critique de l’héritage antique.

Pour pouvoir tolérer l’héritage mythologique, les critiques littéraires procèdent à une sorte de purification du mythe et proposent des règles pour son utilisation. Ainsi, on affirme que le socialisme s’intéresse au vrai mythe, celui qui se situe dans la tradition du classicisme allemand, et qu’il rejette le faux mythe, manipulé par les nazis, comme l’explique Yvonne Delhey :

‘Il s’agissait de défendre le vrai mythe contre le faux, accaparé par les nazis. Le vrai mythe semblait garantir un principe fondamental humaniste et archaïque qui devait rappeler à l’homme son bon fond, le seul véritable.202

La distinction entre vrai et faux mythe permet ainsi de dédouaner les auteurs qui puisent dans le réservoir mythologique après la Seconde Guerre mondiale, tout en maintenant le mythe de l’État socialiste antifasciste, alors que règne à l’ouest un pesant interdit à l’encontre du mythe203. Rappelons que dans les années trente, Thomas Mann avait également dénoncé dans sa correspondance avec Karl Kerényi le faux mythe instrumentalisé par les États totalitaires, qu’il opposait, non au vrai mythe, mais au mythe humain, porteur des valeurs positives de la culture occidentale. C’est vraisemblablement en ce sens qu’Yvonne Delhey parle de vrai mythe, mais il est étonnant qu’elle ne critique pas cette expression pour le moins connotée idéologiquement. En effet, le vrai mythe n’existe pas, et affirmer le contraire reviendrait à renier sa nature profonde, qui est polysémique. Parler de vrai mythe, c’est ouvrir la voie à son instrumentalisation en sous-entendant sa monosémie, son univocité. Le mythe n’a pas de vérité claire, objective ; il s’agit d’une structure symbolique ouverte à une multiplicité d’interprétations. Yvonne Delhey utilise donc un concept idéologiquement marqué, effectivement employé par les universitaires socialistes.

Les représentants officiels de la culture est-allemande parviennent donc à s’accommoder du mythe, en déclarant que le socialisme est le seul mouvement politique à avoir su en dégager la vérité. Les écrits de Hans-Dietrich Dahnke et de Dorothea Gelbrich, respectivement universitaire et doctorante socialistes, se révèlent édifiants à ce sujet. Par exemple, Dahnke témoigne son admiration envers le recueil de narrations mythologiques Die Titanenschlacht (1972) de Franz Fühmann en ces termes :

‘Fühmann met en lumière la vérité du mythe grâce à la supériorité que lui confèrent le savoir et la connaissance actuels par rapport au passé ; il en ôte les éléments de fausse conscience et en fait ressortir, à travers la sublimation poétique, les caractéristiques d’une appropriation et d’une transformation de la réalité de la vie par l’homme.204

On remarque que dès que l’on utilise les catégories du vrai et du faux à propos du mythe, comme dans l’expression obscure de « fausse conscience », on se situe dans une perspective de détournement idéologique. Pour parler avec Julia Kristeva, le mythe prend alors un caractère doxique, en ce sens où le processus de production de sens, induisant la polysémie, est nié pour ne laisser la place qu’à une seule signification, le mythe se mettant ainsi au service du dogme.

À de nombreuses reprises, Dahnke et Dorothea Gelbrich sont tentés de prendre la défense du mythe, ce qui nous montre a contrario que sa présence dans la littérature socialiste est loin d’être évidente. On pourrait rétorquer que le fait même que Dahnke consacre un long passage au mythe dans son ouvrage est signe d’un intérêt de la critique de RDA pour l’héritage antique. Mais rappelons que cette étude, ainsi que celle de Gelbrich205, font figure d’exception dans le paysage des essais critiques est-allemands et que leurs travaux datent de 1974 et de 1977, alors que la « vague antique » est déjà sur le déclin, du moins dans le domaine poétique. En outre, Dahnke se consacre presque exclusivement à l’étude du personnage de Prométhée, qui bénéficie d’une place particulière dans l’histoire du socialisme par rapport aux autres personnages de la mythologie grecque, étant donné sa propension à symboliser le héros révolutionnaire, le défenseur de la classe ouvrière opprimée bravant le pouvoir :

‘Troisièmement, c’est un être [Prométhée ; C. F.] qui agit de façon productive par nature, contrairement aux dieux parasitaires et improductifs d’essence divine ou terrestre.206

Cette citation, qui n’est pas sans rappeler celle de Rudolf Bahro citée précédemment, montre à l’évidence que les critiques est-allemands effectuent une différentiation qualitative entre les mythes, certains apparaissant plus facilement adaptable aux objectifs du socialisme que d’autres, et que par conséquent le mythe inspire globalement de la méfiance aux socialistes dogmatiques207.

Pour sauver le mythe, nos deux auteurs en soulignent la référentialité historique et le potentiel esthétique. Selon eux, tout mythe possède un noyau historique, une base réelle, qu’il s’agit de retrouver et d’exploiter.

‘Elle [la figure de Prométhée ; C. F.] est le reflet d’expériences humaines et sociales et possède en ce sens, malgré son excessivité mythique et son absolutisation, un véritable noyau d’historicité.208

Et, dans le même sens :

‘Les mythes antiques semblent intégrables dans la poésie socialiste si on les regarde et qu’on les considère comme historiques, comme des « histoires » irrévocablement passées, possèdant au-delà de leur apparence fantastique un noyau réel, qui vient s’enrichir d’une problématique actuelle lors du processus de création artistique […].209

Il apparaît donc que le caractère anhistorique du mythe et que son rapport métaphorique à la réalité, en ce sens qu’il n’est pas a priori réaliste et qu’il donne une image spécifique du monde, posent problème aux yeux des universitaires attachés à la doctrine du réalisme socialiste. Dès lors, le mythe ne peut être accepté que si l’on part du principe qu’il se fonde sur un événement historique réel, qu’il faut actualiser en fonction des besoins de la société socialiste210. De façon significative, D. Gelbrich adresse à la littérature « impérialiste » une liste de reproches concernant l’utilisation du mythe faite à l’ouest : refus d’avoir un rapport historique au mythe, poème dénoncé comme un conglomérat irrationnel d’images archétypiques censées correspondre à des situations humaines fondamentales, atemporelles et éternelles, destruction d’une longue tradition humaniste de l’évolution artistique, fuite hors du présent vers un temps indéfini et indéterminé211. Ces différents points ne mettent pas seulement en lumière le carcan idéologique dans lequel était enserrée la critique est-allemande, prompte à dénigrer la littérature de « l’ennemi impérialiste ». Ils montrent aussi que le mythe ne doit figurer dans la littérature socialiste que dépouillé de sa gangue irréaliste. L’irrationnel, le fantastique en tant que formes improductives de la pensée doivent en être bannis.

On voit clairement que le mythe ne trouve sa place dans l’art socialiste qu’à des conditions très précises – mais qui apparaissent toujours obscures du fait du jargon idéologique dans lequel elles sont formulées. Le mythe est utile à l’art socialiste qu’une fois rattaché à la situation historique concrète de la RDA. La plupart du temps, l’image du monde qu’il véhicule est présentée comme dépassée, car tributaire d’une époque disparue, ou dénoncée comme irrationnelle, en tant qu’elle s’appuie sur une approche religieuse des choses. Hans-Dietrich Dahnke ajoute même que le mythe est au départ un phénomène issu de la pensée populaire, illogique, dont il souligne l’immaturité et le caractère limité. Il lui reconnaît tout de même des qualités esthétiques certaines, renforcées par le fait que de grands auteurs et critiques aient pu avoir recours à cet héritage populaire pour écrire des œuvres importantes212. On reconnaît à nouveau à travers ce type de discours la dévalorisation dont souffre le mythe comme forme de pensée populaire, donc inférieure et puérile. En résumé, les universitaires demandent donc à ce qu’on manie le mythe avec précaution, tout en en reconnaissant les potentialités esthétiques213.

Un dernier élément permet d’expliquer l’attitude de tolérance adoptée par certains dirigeants de la politique culturelle face au mythe, principalement dans les années cinquante. Il s’agit de l’observation pragmatique selon laquelle l’utilisation de références connues du grand public rend plus aisée l’adhésion de ce même public à des idées nouvelles. On se rappelle l’analyse que propose Marx du langage de la Révolution française emprunté en partie à l’Antiquité214. En recourant occasionnellement à des références mythologiques que tout le monde connaît, les communistes au pouvoir tentent de rendre familières des orientations idéologiques qui auraient pu déstabiliser les Allemands de l’Est, et ainsi de les rassurer, en établissant une continuité factice avec un passé lointain, idéalisé dans l’imaginaire collectif. Nous pensons par exemple aux « dix commandements de la morale socialiste », annoncés par Ulbricht lors du Ve congrès du Parti en juillet 1958, qui, sur le modèle des dix commandements que Moïse reçoit de Dieu sur le Mont Sinaï, imposent des règles idéologiques et moralisatrices aux citoyens de RDA. Le premier de ces dix commandements proclame ainsi que « tu dois te mettre sans cesse au service de la solidarité internationale de la classe ouvrière et des travailleurs ainsi que du lien inaltérable entre tous les pays socialistes » et le neuvième que « tu dois vivre proprement et correctement et respecter ta famille »215. Voilà des références pour le moins surprenantes dans un pays prônant l’athéisme et la rationalité ! Dans le même sens, Werner Mittenzwei souligne la dimension religieuse de la phase de construction du socialisme sous l’influence de Staline : les valeurs de foi dans le socialisme, de fidélité, la promesse eschatologique d’un avenir radieux, le culte des personnalités de Lénine et de Staline sont autant de signes du processus de sacralisation que connaît l’idéologie communiste216. L’aspect sacré, grandiose, universel et éternel que peut prendre le discours mythologique lorsqu’il est au service de la religion est transposé à des événements politiques décidés par des hommes bien réels, qui entendent ainsi légitimer leur pouvoir aux yeux du peuple et recueillir son adhésion à leur entreprise. La tolérance dont peut bénéficier le matériau mythologique tient donc également à des considérations d’ordre pragmatique.

Notes
199.

Karl Marx. Friedrich Engels. Gesamtausgabe (MEGA), Institut für Marxismus-Leninismus beim ZK der KP der Sowjetunion und Institut für Marxismus-Leninismus beim ZK der SED (éd.), 1e partie, vol. 1, Berlin, Dietz Verlag, 1975, p. 15. Cette citation est extraite de la préface de la thèse soutenue par Karl Marx, Differenz der demokritischen und epikureischen Naturphilosophie : « Prometheus ist der vornehmste Heiliger und Märtyrer im philosophischen Kalender. »

200.

W. I. Lenin, Werke, Bd. 31, 1970, p. 308. Cité par Bernd Seidensticker, article « DDR », in : Der neue Pauly : Enzyklopädie der Antike, op. cit., p. 689. « Der Marxismus hat seine weltgeschichtliche Bedeutung dadurch erlangt, daß er die wertvollsten Errungenschaften des bürgerlichen Zeitalters keineswegs ablehnte, sondern sich umgekehrt alles, was in der zweitausendjährigen Entwicklung des menschlichen Denkens und der menschlichen Kultur wertvoll war, aneignete und es verarbeitete. »

201.

Hans Koch, « Haltungen, Richtungen, Formen », in : Forum, 15/16 (1966), p. 6-7. « Die literarische ‘Neuentdeckung’ der Antike ist künstlerisch-geistig völlig legitim. Sie hat, von belanglosen Ausnahmen abgesehen, nichts zu tun mit Gegenwartsflucht oder poetischer Esoterik. [...] Es gilt, den reaktionären Anspruch auf die antik-christlichen Grundlagen einer reaktionären Abendlandsidee zurückzuweisen und uns aus der Kulturgeschichte anzueignen, was uns gehört. »

202.

Yvonne Delhey, « Kunst zwischen Mythos und Aufklärung – Littérature engagée im Zeichen des Humanen: Zur Mythosrezeption Christa Wolfs mit einer Fußnote zu Franz Fühmann, in : Rückblicke auf die Literatur der DDR, Hans-Christian Stillmark (éd.), Amsterdam, New-York, Rodopi, 2002, p. 158. « Es galt den wahren Mythos gegenüber dem falschen, dem von den Nationalsozialisten vereinnahmten, zu verteidigen. Der wahre Mythos schien ein archaisches humanistisches Grundprinzip zu garantieren, das den Menschen an seinen guten und wahren Kern erinnern sollte. »

203.

L’expression est de Karl Heinz Bohrer, qui parle de « Mythos-Verbot » dans son ouvrage de référence Mythos und Moderne: Begriff und Bild einer Rekonstruktion, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1983.

204.

Hans-Dietrich Dahnke, Erbe und Tradition in der Literatur, Leipzig, VEB Bibliographisches Institut, 1981, p. 54. « Fühmann holt aus der Überlegenheit heutigen Wissens und Erkennens gegenüber der Vergangenheit die Wahrheit des Mythos ans Licht; er distanziert die Elemente falschen Bewusstseins darin und arbeitet durch die poetische Sublimierung die Züge menschlicher Aneignung und Gestaltung von Lebenswirklichkeit heraus. »

205.

Dorothea Gelbrich, Antikerezeption in der sozialistischen deutschen Lyrik des zwanzigsten Jahrhunderts: Die Begründung einer neuen Rezeptionstradition im lyrischen Schaffen Bechers, Brechts, Maurers und Arendts, Leipzig, Karl-Marx-Universität, Sektion Kulturwissenschaft und Germanistik, 1974.

206.

Id., p. 43. « Er [Prometheus; C. F.] ist drittens im Gegensatz zu den parasitären und unproduktiven Göttern himmlischer oder irdischer Art ein Wesen, dem produktives Tätigsein von Natur eigen sind. »

207.

Sur la place particulière du mythe de Prométhée dans la culture est-allemande, voir l’article de Christian Klein « Déconstruction du mythe identitaire : Le mythe de Prométhée et sa réécriture dans la littérature de RDA (J. R. Becher, Volker Braun, Heiner Müller, K. Bartsch), in : Cahiers d’Études germaniques, vol. 26, 1994, p. 73-84. Klein explique que les socialistes allemands voient en Prométhée un symbole de la lutte contre l’obscurantisme. Dès 1945, le mythe de Prométhée devient le « mythe identitaire d’une force politique qui annonce la rupture avec la vieille société et l’érection d’une nouvelle classe dominante » (p. 73). Klein souligne également que les écoliers étudient le mythe de Prométhée dès la sixième, puis le poème éponyme de Goethe au lycée, et ce jusqu’à la fin de la RDA. Prométhée bénéficie clairement d’un traitement de faveur de la part des autorités culturelles par rapport à ses compagnons mythologiques. En conséquence, il ne faut pas conclure de ce succès particulier que le matériau mythologique est valorisé dans son ensemble.

208.

Hans-Dietrich Dahnke, op. cit., p. 42. « Sie ist ein Reflex menschlich-gesellschaftlicher Erfahrungen und besitzt insofern trotz ihrer mythischen Überhöhung und Verabsolutierung einen echten Kern von Historizität. »

209.

Dorothea Gelbrich, op. cit., p. 14. « Antike Mythen scheinen integrierbar in die sozialistische Dichtung, wenn sie selbst historisch gesehen und gewertet werden, als unwiderruflich vergangene ‘Geschichten’, in deren phantastischer Erscheinung ein realer Kern steckt, der im künstlerischen Schaffensprozess mit aus der Gegenwart hervorgehender Problematik angereichert wird [...]. »

210.

Ce genre d’approche positiviste du mythe est loin d’être nouvelle. En fait, il s’agit exactement de la démarche prônée par l’école historique philologique allemande de la fin du XIXe et du début du XXe, dont l’un des chefs de file fut Otto Gruppe. Les tenants de cette école cherchent à établir quel événement historique (migrations de peuple, guerres, conflits de succession) se cache derrière chaque mythe. Outre la difficulté, voire l’impossibilité de déterminer l’origine exacte d’un mythe, nous pensons que cette philosophie méconnaît la spécificité du mythe en l’assimilant à l’Histoire. Quel intérêt y a-t-il par exemple à savoir que tel roi est à l’origine du mythe d’Œdipe ? N’est-ce pas une fois de plus une tentative d’expliquer rationnellement le mythe de l’extérieur ? Nous partageons l’avis de Jean-Pierre Vernant lorsqu’il affirme que cette approche du mythe se révèle stérile et vaine, l’intérêt du mythe résidant bien plus dans la manière dont il stylise un conflit ou une guerre, qu’ils aient réellement existé ou non, dans la distance qu’il instaure avec une approche « réaliste », descriptive d’un événement (cf. Jean-Pierre Vernant, Mythes et société en Grèce ancienne, Paris, Maspero, 1974, p. 222).

211.

Dorothea Gelbrich, op. cit., p. 13.

212.

Hans-Dietrich Dahnke, op. cit., p. 65.

213.

Id., p. 19.

214.

Voir le point 2. 1. 4. de la présente partie.

215.

Walter Ulbricht, Über die Dialektik unseres sozialistischen Aufbaus, Berlin (Ost), Dietz, 1959, p. 185. « Du sollst Dich stets für die internationale Solidarität der Arbeitsklasse und aller Werktätigen sowie für die unverbrüchliche Verbundenheit aller sozialistischer Länder einsetzen » et « Du sollst sauber und anständig leben und Deine Familie achten ».

216.

Werner Mittenzwei, Die Intellektuellen: Literatur und Politik in Ostdeutschland 1945-2000, Berlin, Aufbau Taschenbuch Verlag, 2003, p. 72.