5.1. Éléments biographiques

Uwe Kolbe étant peu connu du public français, nous proposons de brosser sommairement son portrait à partir de la biographie qu’il a lui-même écrite pour la page web du site internet « Literaturport532 », regroupant des biographies d’auteurs contemporains et plus anciens, et du recueil d’essais mêlant réflexions autobiographiques, politiques et poétologiques Renegatentermine, publié en 1998. Uwe Kolbe naît le 17 octobre 1957 dans le quartier de Berlin-Mitte. De son père, batelier, il parle peu, évoquant surtout le poids de son absence. À partir de l’âge de sept ans, il s’installe avec ses parents à Berlin-Est, dans le quartier frontalier de Bornholm, qui donnera son nom à son troisième recueil. Il grandit non loin du pont de Bornholm reliant Berlin-Est à Berlin-Ouest, sans pour autant prendre conscience à cette époque de la situation géopolitique particulière de sa ville natale :

‘L’arrondissement de Prenzlauer Berg à Berlin-Est devint mon aire de jeux à partir de l’âge de sept ans. Le pire, c’est que je n’ai jamais vraiment su où je me trouvais. C’était en partie dû à ma famille. Nous ne parlions que rarement de nos conditions de vie à la maison et c’est pourquoi on ne pouvait penser ce lieu autrement que comme une évidence.533

C’est entre autres cette évidence avec laquelle un enfant accepte son environnement qui est reflétée dans le titre de son premier recueil, Hineingeboren. Il commence à écrire à l’âge de quinze ans, détonnant dans le paysage urbain quelque peu lisse de Berlin-Est par ses allures de jeune hippie, une guitare coincée sous le bras534. Le baccalauréat en poche, alors qu’il est objecteur de conscience, on le convainc d’intégrer une unité spéciale du génie militaire où il pense, à tort, qu’il n’aura pas à manipuler d’armes. Mais, trublion social, il passe son temps à lire Hegel, notamment die Wissenschaft der Logik, sous la forme de pages arrachées qu’il cache sous la couverture plus respectable de Lénine535. La théorie hégélienne selon laquelle l’être ne renvoie pas à une essentialité des choses mais procède de la rencontre entre l’apparence (Schein), le phénomène (Erscheinung) et la réalité (Wirklichkleit) provoque chez lui un choc philosophique qui l’amène à penser que les manifestations du socialisme ne sont pas séparables de l’être du socialisme, et que par conséquent, il existe nombre de contradictions entre les actes du socialisme (ses manifestations), par exemple l’exercice abusif du pouvoir, et son être, à savoir son objectif de libérer l’être humain des chaînes de l’aliénation.

1976 est l’année d’un autre bouleversement fondamental dans sa vie, celui de la rencontre avec Franz Fühmann par l’intermédiaire de son ami Frank-Wolf Matthies. Fühmann devient son mentor et lui permet de publier ses premiers poèmes dans la prestigieuse revue littéraire est-allemande Sinn und Form. Marié, jeune père, il cumule les emplois précaires pour faire vivre sa famille. Avec son recueil Hineingeboren, publié en 1980 sous l’égide de Franz Fühmann, qui en rédige même la postface, sa carrière littéraire est lancée. Après un séjour en Pologne où il fait connaissance avec les théories dissidentes du syndicat Solidarnosc, il intègre de 1981 à 1982 l’école formant l’élite littéraire de la RDA, l’institut Johannes R. Becher de Leipzig. À sa sortie de l’école, il fréquente le cercle d’artistes alternatifs du Prenzlauer Berg, quartier de Berlin qu’il connaît à merveille. Il y lie des relations de travail fructueuses avec des artistes allemands et étrangers, dont Sacha Anderson, l’un des chefs de file de cet univers souterrain :

‘Le phénomène auquel on donna plus tard le nom de « scène » commença à s’installer au Prenzlauer Berg avec ses concerts de rock illégaux, ses galeries et lectures d’auteurs tenues dans des arrière-cours. Des adeptes venant principalement de Saxe et de Thuringe affluaient dans le quartier. L’empêtrement de la bureaucratie laissait des espaces merveilleux dans lesquels on pouvait vivre.536

Selon ses dires, il reste toutefois en marge de ce phénomène, préférant garder son indépendance artistique537. C’est également à cette époque qu’il se lance dans la publication illégale avec la revue Der Kaiser ist nackt, dont le titre se réfère au conte Des Kaisers neue Kleider de Hans Christian Andersen,dans lequel un enfant s’aperçoit de la nudité de l’empereur et la proclame haut et fort, contredisant les serviles vassaux impériaux et sortant le peuple de son aveuglement. Bien qu’il refuse l’appellation de dissident, Kolbe multiplie les provocations à l’encontre du pouvoir et des circuits littéraires, notamment avec la publication par la maison d’édition conformiste Mitteldeutscher Verlagde son texte « Der Kern meines Romans » dans l’anthologie Bestandsaufnahme 2. En effet, les premières lettres de chaque phrase mises bout à bout donnent la formule « Je dédie un orgasme à votre héroïsme / vous les puissants vieillards que la révolution quotidienne vous mette en pièces538 ». L’humour du procédé ayant été peu goûté, Kolbe est interdit de publication de 1982 à 1985.

Peu auparavant, en avril 1982, une conférence à Berlin-Ouest lui permet de se confronter à la réalité sereine et anodine d’un monde qu’il ne connaissait jusqu’alors qu’à travers la télévision. Comme il ne peut publier, il entreprend la traduction rémunératrice de pièces de Federico Garcia Lorca. Parallèlement, il lance l’édition illégale de la revue littéraire Mikado avec ses amis Lothar Trolle et Bernd Wagner, qui devient rapidement réputée dans le circuit littéraire officieux et gardera son importance jusqu’à sa disparition en 1987539. Berlin, cette ville dont il ne connaît rien mais à laquelle il doit tous ses poèmes540, et l’ombre du mur continuent de nourrir ses poèmes, qu’il publie désormais à l’Ouest chez Suhrkamp. Malgré de nombreux obstacles administratifs, Uwe Kolbe parvient à participer à des séminaires de lecture en Suisse et à Tübingen. À partir de 1986, il obtient même un visa de longue durée pour Amsterdam et Vienne, prolongé en 1987 pour trois ans. Il s’installe alors à Hambourg et vit la chute du mur à la télévision américaine, alors qu’il donne un séminaire sur la littérature est-allemande récente à l’université d’Austin au Texas :

‘Premièrement j’avais l’impression qu’on me volait la fête de ma vie. Ni le « Wall Fall Ball » organisé à la Maison de l’Allemagne de l’université, ni la résurrection de l’esprit du rock and roll lors du concert des Rolling Stones du 11 novembre à Dallas ne purent me faire changer d’avis.541

Les années qui suivent sont marquées par la confrontation avec son passé est-allemand, notamment par la découverte en 1992 du dossier constitué par la Stasi sur son compte et le choc que provoque la nouvelle de la collaboration de Sascha Anderson avec la police secrète, qu’il décrit dans une lettre ouverte au traître542. Après avoir enseigné pendant sept ans la littérature et le théâtre à l’université de Tübingen, il s’installe en 2004 à Berlin-Charlottenburg où il réside actuellement.

Notes
532.

http://www.literaturport.de . Consulté en mai 2010.

533.

Uwe Kolbe, Renegatentermine: 30 Versuche, die eigene Erfahrung zu behaupten, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1998, p. 38. « Der Ostberliner Stadtbezirk Prenzlauer Berg war mein Spielplatz vom siebenten Lebensjahr an. Dabei wußte ich nie wirklich, wo ich mich befand. Das hatte zum einen mit meiner Familie zu tun. Die eigenen Lebensumstände wurden in ihr kaum reflektiert, und so konnte auch der Ort nur als eine Selbstverständlichkeit gedacht werden. »

534.

Id., p. 169.

535.

Id., p. 197.

536.

Id., p. 41. « Es begann das später ‘Szene’ genannte Phänomen einzuziehen in den Prenzlauer Berg mit inoffiziellen Rockkonzerten, Galerien und Autorenlesungen in den Hinterhöfen. Aus Sachsen und Thüringen hauptsächlich wuchsen dem Stadtbezirk Jünger zu. Die Selbstverstrickung der Bürokratie ließ wunderschöne Löcher, in denen gewohnt werden konnte. »

537.

Ibid.

538.

« EUREM HELDENTUM WIDME ICH EINEN ORGASMUS / EUCH MÄCHTIGE GREISE ZERFETZE DIE TÄGLICHE REVOLUTION ».

539.

Nous signalons l’excellente thèse de Carola Hähnelsur les circuits illégaux d’édition : Carola Hähnel-Mesnard, La littérature autoéditée en RDA dans les années quatre-vingt : Un espace hétérotopique, Paris, L’Harmattan, 2007.

540.

Uwe Kolbe, op. cit., p. 42 : « Dazwischen lebte ich in einer Stadt, von der ich nichts weiß, der ich aber alle meine Gedichte verdanke ».

541.

Id., p. 35. « Ich fühlte mich zuallererst um das Fest meines Lebens betrogen. Nicht der « Wall Fall Ball » im Deutschen Haus der Universität, auch nicht die Wiederauferstehung des Weltgeistes des Rock’n Roll am 11. November in Dallas beim Konzert der Rolling Stones konnten mich davon abbringen. »

542.

Id., « Offener Brief an Sascha Anderson », p. 58 sqq.