A.1.1. Définition

Le concept de saillance est très largement utilisé en sciences cognitives. Malheureusement, son acception est loin d'être homogène et consensuelle. L'usage varie fortement entre disciplines et entre champs de recherche. Fecteau et Munoz (2006) notent qu'en neurophysiologie, saillance et pertinence ont habituellement valeurs de synonymes (ce qui est pour le moins contrariant pour qui se donne justement comme objectif d'étudier l'interaction entre saillance et pertinence). De même, les études de la vision qui traitent du groupement perceptif utilisent volontiers le terme de saillance pour désigner la détectabilité d'une forme sur un fond embrouillé (p. ex. Altmann, Deubelius, & Kourtzi, 2004). Enfin, même dans le champ de l'attention visuelle sélective, les usages varient. Pour Rauschenberger (2010), la "saillance [...] ne peut vivre que dans le monde de la phénoménologie : elle est l'expérience subjective d'une qualité particulière d'un stimulus -celle dont nous faisons l'expérience comme saillance". Cette position fait écho à des points de vue plus anciens. Yantis (1998) évoque également une dimension subjective de la saillance (p. 242). On trouve dans cet usage une justification d'expériences dans lesquelles la saillance est évaluée sur la base d'un jugement subjectif, par exemple chez Nothdurft (2000) ou Donk et van Zoest (2008). Cette acception semble majoritaire, du moins implicitement. Cependant, une confusion a pu naître à la suite de certains travaux modélisant les influences exogènes de l'orientation attentionnelle par le biais d'une carte de saillance (p. ex. Koch & Ullman, 1985 ; Itti & Koch, 2000). Ces derniers auteurs semblent assimiler les processus responsables de la saillance avec les processus ascendants, exogènes (voir cependant Navalpakkam & Itti, 2005). Cette confusion paraît avoir conduit, dans une certaine mesure, à naturaliser la notion de saillance. Paradoxalement, c'est peut-être ce que l'on pourrait également reprocher aux travaux de Nothdurft (2000), qui visent à quantifier la saillance. Il apparaît important de proposer une définition claire, univoque et opérationnelle de la notion de saillance telle qu'elle sera utilisée dans le présent texte. La valeur heuristique d'une définition est fondamentale dans les choix terminologiques en sciences (Yantis & Johnston, 1990). Aussi la caractéristique exogène de la saillance sera-t-elle plutôt retenue au long de ce travail, pour son utilité et bien que la définition phénoménologique puisse apparaître en réalité plus juste.