A.1.1.1. Exogène

Le caractère essentiellement exogène de la saillance fait l'objectif d'un relatif consensus dans la littérature. La saillance est a priori déterminée indépendamment des intentions et connaissances du sujet (Theeuwes, 1992). Ce caractère exogène de certains processus impliqués dans l'orientation attentionnelle est clairement démontré par le fait qu'ils peuvent intervenir en absence de toute intention, de toute conscience. Ainsi, Nothdurft, Gallant et Van Essen (1999) ont démontré que les mécanismes neurophysiologiques impliqués dans la saillance continuaient d'agir, dans une certaine mesure, même sous anesthésie générale chez des singes. De plus, ces processus continuaient d'agir efficacement même dans des conditions de double tâche induisant une forte demande sur des "ressources attentionnelles centrales" (Braun & Julezs, 1998, voir cependant VanRullen, Reddy & Koch, 2004, pour un amendement de cette hypothèse). Il est probable que ces processus exogènes n'agissent jamais que de concert avec des processus plus endogènes, et que même la dichotomie endogène / exogène soit en fait très artificielle et demande à être dépassée (Rauschenberger, 2010). Néanmoins, Il semble bien exister des processus fortement dépendants des données (exogènes) et pouvant agir indépendamment que des objectifs (endogènes) ainsi qu'en concomitance avec des processus dépendants de "resources attentionnelles centrales". C'est donc un choix méthodologique que de tenter de les individualiser pour les étudier et tenter d'en comprendre les mécanismes. Ce choix vaut essentiellement pour sa valeur heuristique présente.

Le caractère exogène de ces processus explique l'association forte, quoique non absolue, entre saillance et capture attentionnelle, cette dernière étant définie comme une orientation automatique de l'attention (voir Ruz & Lupiàñez, 2002). La saillance est souvent définie comme la caractéristique induisant une recherche parallèle (Treisman & Gelade, 1980) ou, pour utiliser un terme plus neutre théoriquement, efficiente (Yantis & Egeth, 1999 ; Wolfe & Horowitz, 2004) : c'est le critère de "pop-out", la cible "ressortant" perceptivement de la scène, "sautant aux yeux". Les performances dans une tâche de recherche visuelle sont alors indépendantes du nombre d'items de l'affichage (display) et la pente de recherche (qui renvoie à la variation des temps de réponse, TR, en fonction du nombre de distracteurs présents) est nulle ou quasiment nulle. Néanmoins, cette détermination de la saillance est problématique, puisqu'elle confond vraisemblablement des influences endogènes et exogènes. En effet, Yantis et Egeth (1999) démontrent qu'un trait considéré comme saillant parce qu'il peut être détecté de façon efficiente, peut tout à fait présenter une pente de recherche fortement positive lorsqu'il n'est pas pertinent pour la recherche (p. ex. quand il ne définit la cible que dans une faible proportion d'essais, 1/d par exemple, où d est le nombre d'items de l'affichage).

A l'opposé, on remarquera également qu'il est sans doute judicieux de ne pas associer de façon trop étroite la saillance à un paradigme ou à un pattern de résultats spécifique. Le critère de pente nulle (ou inférieure à 10 ms / item) dans une tâche de recherche visuelle, par exemple, paraît quant à lui trop restrictif. En effet, Turatto, Galfano, Gardini et Mascetti (2004) montrent qu'une influence exogène d'un item saillant peut être mise en évidence à l'aide d'une méthode spécifique tout à fait justifiée (la méthode des distances), sans pour autant remplir le critère de pente nulle.

Ce critère de pente nulle semble reposer sur deux principes. Le premier serait qu'une saillance élevée devrait nécessairement induire une recherche de nature parallèle, et donc une pente de recherche nulle. Le second serait qu'une recherche non-efficiente (donc une pente de recherche non nulle) traduirait nécessairement des processus de nature sérielle. Or aucun de ces deux principes ne paraît solidement justifié. L'opposition entre recherches "parallèles" et "sérielles" a été battue en brèche (Wolfe, 1998) et ne semble plus devoir être utilisée. Au contraire, il semble plutôt qu'une pente de recherche puisse prendre toutes les valeurs sur un continuum. De plus, les débats portant sur les fonctionnements parallèle et sériel des mécanismes attentionnels ne sont pas tranchés. Townsend (1972) a démontré qu'un système fonctionnant de façon parallèle pouvait théoriquement tout à fait rendre compte d'une recherche inefficiente. D'autre part, la saillance doit probablement être considérée comme une caractéristique quantifiable, susceptible d'induire des effets d'intensité variable (Nothdurft, 2000). Ceci est cohérent avec la large distribution de pentes de recherche observée par Wolfe (1998). Il est donc tout à fait envisageable qu'une saillance modérée induise des effets modérés et, partant, une recherche inefficiente. Cela étant, il est probable que les effets de cette saillance puissent tout de même être mis en évidence par un autre moyen.

Une variation des performances, induite par la présence d'un trait strictement non-pertinent, paraît être un critère suffisant pour conclure à la saillance de ce trait. Le critère de non-pertinence permet de s'assurer que des processus endogènes n'interviennent pas. À l'inverse, ne pas attacher la saillance à un critère méthodologique aussi restreint que celui de pente de recherche nulle permet de prendre en compte les processus exogènes dans leur ensemble, sans les limiter à un sous-ensemble de processus éventuellement "automatiques". Définir explicitement la saillance par son caractère exogène présente cet avantage de la faire référer de façon précise à un ensemble spécifique de processus (processus exogènes). De plus, en termes plus pratiques, ne pas restreindre ainsi le sens de ce concept à ses aspects exogènes en diminuerait drastiquement la valeur heuristique.