A.1.1.2. Contextuelle

Le deuxième aspect fondamental de la saillance est son caractère contextuel. Un attribut ne peut être saillant en soi, indépendamment de son contexte. En effet, comme le souligne Nothdurft (1993, 2000), il n'existe pas d'attribut qui ait en soi la possibilité de capturer l'attention : c'est la saillance d'un item qui détermine la sélection attentionnelle, c'est-à-dire, son rapport avec les caractéristiques perceptives de son voisinage (fond ou stimuli avoisinants). Les données de Duncan et Humphreys (1989) comme celles de Theeuwes (1992), notamment, montrent bien qu'un item ne peut devenir saillant que par le contraste qu'il présente vis-à-vis de son contexte. Un item rouge pourra être saillant parmi des items verts, mais le sera beaucoup moins parmi des items orangés (voir aussi Wolfe & Horowitz, 2004). Cette essence contextuelle de la saillance a conduit certains auteurs à affirmer que celle-ci ne représentait qu'une combinaison de différences (Theeuwes, 1993), ou de contrastes (Nothdurft, 1993 ; 2000) de traits. Ainsi, un cercle rouge serait saillant parmi des items verts parce que sa couleur diffère globalement plus fortement de son contexte que ne le fait celle de chacun des autres items. Selon un raisonnement similaire, Nothdurft (2006) considère qu'un petit item parmi des grands ("cible minimum") pourrait présenter la même saillance qu'un grand item parmi des petits ("cible maximum"), pourvu que l'on considère bien la saillance telle qu'elle peut être évaluée par les sujets, et non le rapport physique entre deux caractéristiques perceptives. Ainsi, pour des items de tailles A et B (A supérieur à B), Nothdurft note que la saillance d'un item A parmi des B sera supérieure à celle de B parmi des A. Néanmoins, il affirme que la saillance de l'item B peut être rendue égale à celle de l'item A parmi des B, en diminuant le rapport entre leurs tailles (par ex. en augmentant la taille des distracteurs A'), donc en augmentant le contraste (ou la différence) de taille entre cible et distracteurs. Cette position paraît supportée par les résultats qu'il présente, plus ou moins similaires pour des items de même "saillance", qu'ils soient de taille ou luminance maximale ou minimale.

Cependant, ces travaux reposent sur un postulat méthodologique critiquable : celui qui consiste à déterminer la saillance par une tâche de jugement subjectif de comparaison. Cette méthodologie, également employée par Donk et Van Zoest (2008) notamment, se fonde sur le postulat implicite que la saillance peut faire l'objet d'un jugement introspectif, et que celui-ci peut être jugé fiable. Le problème est que ce jugement a de fortes chances d'être parasité par des processus cognitifs de plus haut niveau, et notamment des traitements attentionnels "descendants", ou endogènes. Cette méthodologie n'est donc pas valide pour évaluer la saillance définie comme caractéristique exogène (impliquée dans l'orientation de l'attention). Elle pourrait l'être si l'on considérait sa dimension phénoménologique évoquée plus haut. Mais cela se ferait vraisemblablement au prix de la rigueur expérimentale et de la précision et de l'utilité du concept.

Le caractère contextuel de la saillance n'est donc probablement pas absolu, et l'intensité du signal entre vraisemblablement en compte dans le calcul de la saillance. Cette implication de l'"intensité" est peut-être restreinte aux dimensions prothétiques (Stevens & Galanter, 1957 ; Yantis et Egeth, 1999), c'est-à-dire celles qui justement peuvent voir leur intensité varier (c'est le cas par exemple de la luminance), par opposition aux dimensions métathétiques, qui sont organisées en catégories non ordinales (p. ex. la couleur). Cette influence de l'intensité est parfois négligée ou contestée (p. ex. Nothdurft, 2006), mais parfois mentionnée (p. ex. Wolfe, 1994, p. 207).

Au final, on pourrait proposer de définir la saillance de la façon suivante : la caractéristique perceptive d'un item dans son contexte qui influence la sélection attentionnelle indépendamment des intentions et connaissances du sujet.

La saillance ne constitue pas en elle-même une explication suffisante de l'orientation exogène de l'attention, mais demande à être explicitée, et ses mécanismes à être élucidés.