A.1.3. Bases neurales

La détermination des soubassements de l'attention visuelle sélective tient évidemment une place importante dans la compréhension de ses processus. Il ne s'agit pas de proposer une simple bijection entre fonctions cognitives et structures cérébrales. La référence au fonctionnement neurophysiologique impose des contraintes fortes à la modélisation en termes cognitifs.

Tout d'abord, un certain nombre de données indique que la saillance visuelle émerge, au sein des aires du système perceptif, du contraste entre traits perceptifs. Différents auteurs (Jones, Wang, & Silito, 2002 ; Kastner, Nothdurft, & Pikarev, 1997 ; Knierim & Van Essen, 1992 ; Nothdurft, Gallant, & Van Essen, 1999 ; Burrows & Moore, 2009) ont étudié la réponse neuronale à la présence d'un item "préférentiel" (d'une orientation spécifique, par exemple) dans la zone excitatrice de son champ récepteur. La présence d'items dans son voisinage, pourtant hors du champ récepteur, induisait une diminution de sa réponse. Ces données sont cohérentes avec l'hypothèse d'une compétition entre les items pour la représentation au sein du système visuel (Desimone & Duncan, 1995). Cependant, cette diminution était plus marquée lorsque ces voisins étaient similaires à l'item en question que lorsqu'ils présentaient un contraste de traits plus marqué (par exemple des barres verticales vs une barre horizontale). Ces résultats évoquent nettement les données comportementales de Duncan et Humphreys (1989), qui ont mis en évidence que la similarité entre cible et distracteurs était un élément essentiel de la saillance, en plus de la similarité entre distracteurs (qui était maximale dans les expériences citées, tout les distracteurs étant identiques). Il semble donc fort probable que ces processus, basés sur des interactions externes aux champs récepteurs classiques, soient à la base de la computation de la saillance. C'est en tout cas la perspective choisie, par exemple, par Itti et Koch (2000) dans leur modélisation. Cette base perceptive de la computation de la saillance paraît donc cohérente avec la majorité des modèles cognitifs, même ceux basés sur une carte de saillance, dans la mesure où la plupart se fonde sur l'idée d'une première étape de ségrégation en différentes cartes, spécialisée chacune dans une dimension perceptive donnée.

Cependant, de nombreux modèles postulent de surcroît l'existence d'une carte cognitive de saillance. Cette carte est supposée représenter la saillance indépendamment des caractéristiques perceptives spécifiques impliquées dans sa computation (Itti & Koch, 2000 ; Koch & Ullman, 1985). La localisation des bases cérébrales de cette carte fait l'objet d'hypothèses pour le moins nombreuses et hétéroclites. Sans ordre particulier, on peut citer l'aire latérale intra-pariétale (LIP2 : Kusunoki, Gottlieb, & Goldberg, 2000), les champs oculogyres frontaux (FEF : Thompson, Bichot, & Sato, 2005), les aires visuelles V1 (Li, 2002) et V4 (Mazer & Gallant, 2003) le noyau thalamique du pulvinar (Robinson & Peterson, 1992) ou les colliculi supérieurs (CS : Kustov & Robinson, 1996). Ces aires ont toutes été proposées comme soubassements de la carte de saillance, en soulignant souvent leur capacité à représenter également la pertinence (p. ex. : Thompson et al., 2005 ; Fecteau & Munoz, 2006). Shipp (2004), considérant ce foisonnement, a proposé une architecture de l'attention qui en tienne compte, tout en accordant au pulvinar ventral une position centrale, de carte de "saillance" combinant des aspects ascendants et descendants. Fecteau et Munoz (2006) déduisent de la multiplicité des régions dont l'activité se trouve modulée par la saillance que la carte de saillance devrait être considérée comme la propriété d'un réseau. Cette référence à la notion de réseau ne paraît pourtant pas entièrement satisfaisante, dans la mesure où ni l'extension de ce réseau ni son recouvrement partiel avec d'autres réseaux fonctionnels ne se trouvent évoqués ni, a fortiori, expliqués. Or ces deux éléments sont suffisamment manifestes pour appeler une interprétation théorique.

Paradoxalement, ce foisonnement déconcertant constitue peut-être un indice, une piste, vers une meilleure appréhension de l'attention sélective. Pour cela, il importe de découvrir un principe théorique adéquat d'ordonnancement de ces données. Un point marquant est que toutes ces aires ont été impliquées dans des traitements perceptifs et/ou moteurs. Ceci suggère que l'attention visuelle sélective pourrait se prêter à une résolution relativement directe du problème du fondement, ou de l'enracinement perceptivo-moteur des symboles (Harnad, 1990). Malheureusement, ce sujet dépasse largement le cadre du présent travail.

Notes
2.

Voir la liste des abréviations, p. Erreur : source de la référence non trouvée.