A.2. Pertinence

Si la sélection attentionnelle peut être déterminée de façon exogène, il est aussi possible de l'orienter volontairement vers un objet, une localisation, ou un trait perceptif pertinent. Les processus endogènes de l'attention correspondent à un acte délibéré, intentionnel, du sujet, visant à sélectionner un objet ou une représentation spécifique pour en améliorer le traitement. Ils sont souvent mis en parallèle avec les processus attentionnels exogènes, comme mode alternatif d'orientation de l'attention (p. ex. Jonides, 1981 ; Müller & Rabbitt, 1989). On peut cependant remarquer une différence fondamentale entre ces deux modes : alors que l'un peut se réaliser de façon plus ou moins automatique –ou du moins passive, l'autre nécessite justement que l'attention soit déjà portée sur une représentation interne de l'objet ou du trait pertinent. L'orientation endogène est déjà un acte attentionnel en elle-même, alors que l'orientation exogène est repose sur des processus qui ne peuvent pas être qualifiés d'attentionnels, comme on l'a suggéré plus haut (section ). Ils sont parfois qualifiés de pré-attentionnels (p. ex. par Theeuwes, 1993 ; 2010a), bien qu'ils puissent jouer un rôle important dans la sélection attentionnelle d'un certain objet ou stimulus.

Les travaux célèbres de Sperling (1960) avaient démontré qu'il était possible de favoriser le traitement de certains items d'une représentation mentale (de "mémoire iconique", selon les termes de Neisser, 1967) en fonction de la localisation spatiale des stimuli qui l'avaient induite. Ce phénomène peut être attribué, au moins par facilité de langage, à une "sélection attentionnelle" de ces items en mémoire de travail –en prenant garde au fait que cette notion de "sélection attentionnelle" est un construit théorique qu'il faut bien se garder de réifier, ou de naturaliser (Pashler, 1998, Introduction). Développant ces recherches vers le champ de l'attention visuelle, Posner (1980 ; Posner, Snyder & Davidson, 1980) étudia la possibilité d'orienter son attention vers une localisation spatiale du champ visuel, de façon à améliorer le traitement des items y apparaissant subséquemment. Cette orientation peut se faire de façon exogène sur la base d'un onset saillant. Lorsque un tel "indice" devient réellement informatif (la cible apparaissant par exemple à la position de l'indice dans 80 % des essais), l'effet de l'indiçage apparaît plus durable (Posner, Cohen et Rafal, 1982). L'orientation peut également se faire sur la base d'un item central symbolique, c'est-à-dire sans que les caractéristiques perceptives de cet indice n'aient de rapport direct avec la cible. L'information spatiale n'est cependant pas la seule susceptible d'améliorer le traitement d'un item. Von Wright (1968 ; 1970) avait en effet déjà mis en évidence, en utilisant le paradigme de report partiel de Sperling (1960), qu'il était possible de porter son attention sur une caractéristique perceptive non-spatiale de l'affichage, de façon à améliorer le traitement des items présentant cette caractéristique.

Au long du présent travail, la notion de pertinence sera employée pour désigner l'information que le sujet utilise afin de faciliter la sélection attentionnelle des items pertinents pour la tâche qu'il est en train de réaliser. De façon prototypique, cette information peut concerner une caractéristique perceptive (spatiale ou non) de la cible. L'information est fréquemment manipulée ou modulée par le biais de probabilités. Ainsi, dans un paradigme d'indiçage de Posner, la localisation de l'indice peut-elle correspondre avec une probabilité variable (p. ex. 20 %, 50 %, ou 80 %) à la position de la cible subséquente. Cette information statistique peut cependant être considérée comme une simple qualification (de l'utilité) de l'information pertinente elle-même. Ainsi, qu'une localisation ait 70 % ou 90 % de chances de contenir la cible ne modifie pas la caractéristique pertinente en elle-même : c'est essentiellement la motivation (ou du moins la propension) à utiliser cette information qui est susceptible de varier.

La pertinence, en tant qu'information impliquée dans des processus endogènes, peut également être distinguée d'autres effets perceptifs non-intentionnels, tels que l'effet d'amorçage perceptif, notamment celui induit par une cible saillante (le "Priming of Pop-out" de Maljkovitch & Nakayama, 1994), ou tels que l'indiçage contextuel (Chun, 2000). Ces effets d'amorçage perceptif et d'indiçage contextuel ne peuvent être considérés comme strictement endogènes, puisqu'ils sont indépendants des intentions du sujet (Theeuwes, 2010a ; voir cependant Becker, 2008 ; 2010, pour un point de vue contraire, présenté et discuté dans le chapitre B.1, section B.1.6.1).