A.2.1. Bases neurales

A.2.1.1. Cibles

L'attention spatiale fut initialement plus étudiée que l'attention portée aux traits perceptifs non-spatiaux. Kastner et Pinsk (2004) ont passé en revue les données de neuroimagerie démontrant que l'attention spatiale pouvait moduler le fonctionnement perceptif à de multiples niveaux des voies visuelles, des corps genouillés latéraux du thalamus aux aires médio-temporale (MT), V4, ou au cortex temporal postérieur inférieur (TEO), en passant par V1 et V2. Les réseaux cérébraux impliqués dans l'attention endogène portée aux traits ont par la suite également fait l'objet d'un certain nombre d'études. Maunsell et Treue (2006) ont proposé une revue sélective de la littérature, portant sur les substrats corticaux de cette attention portée sur les traits, essentiellement au sein des aires V4 et MT. L'attention portant sur un trait non-spatial (p. ex. le mouvement) se trouve généralement moduler l'activité de régions cérébrales connues pour sous-tendre le traitement de la dimension perceptive considérée (p. ex. MT, en l'occurrence). Une modulation des réponses neuronales fut mise en évidence dans V4 quand l'attention était portée sur un trait (Motter, 1994), ou sur une dimension perceptive spécifique (couleur ou orientation, McAdams & Maunsell, 2000). Chawla, Rees et Friston (1999) présentèrent des conclusions similaires, en se basant sur un protocole d'imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf). L'attention portée sur la couleur ou le mouvement induisait, en absence même de stimulus, une augmentation de l'activité hémodynamique d'aires impliquées dans le traitement de ces dimensions (V4 et V5, respectivement), ainsi qu'une augmentation de l'intensité de la réponse à l'apparition des stimuli attendus.

Le caractère précoce de ce type de modulation a été souligné par Schoenfeld et al. (2007). La combinaison de données EEG et MEG (Électro- et Magnéto- Encéphalographie) suggérait que l'activation des aires V4 et MT par l'attention portée sur la couleur ou le mouvement, respectivement, était particulièrement précoce, survenant entre 90 et 120 ms après l'apparition du stimulus. Le même type d'effets fut mis en évidence par Bichot, Rossi et Desimone (2005), en neurophysiologie chez le singe. En contrôlant les destinations des saccades oculaires au cours de la recherche visuelle, ils ont également pu montrer que certains de ces effets étaient non-spatiaux et indépendants de la préparation oculomotrice. En effet, l'activité se trouvait rehaussée, que le stimulus cible apparaissant dans le champ récepteur soit la cible de la saccade à venir ou non.

Ces modulations attentionnelles ne concernent pas uniquement des traits "simples", comme la couleur ou le mouvement. Chelazzi et ses collègues (Chelazzi, Miller, Duncan et Desimone, 1993 ; Chelazzi, Duncan, Miller et Desimone, 1998) mirent en évidence ce type d'effets pour des stimuli plus complexes, au sein du cortex temporal inférieur. Dans cette aire cérébrale, on trouve de nombreux neurones présentant des réponses extrêmement sélectives à des stimuli complexes (Tanaka, 1996). Ils déchargent fortement lorsque leur item "préférentiel" apparaît dans leur champ récepteur. Les expérimentateurs (Chelazzi et al., 1998) présentaient à des singes un tel item, puis le masquaient pendant 100 ms et le présentaient à nouveau parmi un ensemble de 2 à 5 items. La réponse neuronale à l'item pertinent attendu se voyait rehaussée Même l'activité de base de ce neurone était augmentée, durant l'intervalle indice-cible. Ces résultats vont tout à fait dans le sens des hypothèses de Desimone et Duncan (1995, voir infra, ), qui soutiennent que la compétition peut être biaisée dans le système perceptif par le biais de l'activation d'un "gabarit" ou modèle (template) en mémoire de travail, comme ce fut le cas dans ces expériences.

Concernant les mécanismes précis impliqués dans ces influences, Ling, Liu et Carrasco (2009) ont récemment suggéré que l'attention spatiale endogène agissait en augmentant le gain de la réponse de la population neuronale, alors que l'attention portée sur les traits agissait à la fois en augmentant ce gain et en affinant l'ajustement des réponses neuronales à ce trait.

En résumé, il semble que l'attention endogène portée sur des traits non-spatiaux agisse sur les régions impliquées dans le traitement perceptif des traits pertinents en question. À cet endroit, elle agirait en rehaussant la réponse neuronale aux stimuli pertinents, en augmentant leur activité de base, le gain de leur réponse, ainsi que la spécificité de leur réponse. Cette modulation émerge très vraisemblablement de l'activation d'un gabarit combinant les traits perceptifs pertinents, au sein de la mémoire de travail. Néanmoins, tout comme la "localisation" des bases cérébrales de la mémoire de travail s'est heurtée à des difficultés diverses (Postle, 2006), la détermination cérébrale des sources des signaux de l'attention endogène demeure toujours assez imprécise et variable.