A.3.2.1. Interprétations concurrentes

Les critiques à l'encontre de la notion d'inhibition porteraient moins si elles ne s'accompagnaient pas de propositions théoriques capables de rendre compte des mêmes phénomènes sans invoquer de processus inhibiteur -au niveau cognitif. Kimberg et Farah (1993, 2000) ont proposé une modélisation informatique qui rendait compte de multiples résultats traditionnellement attribués à des processus inhibiteurs, simplement par le biais de rehaussements d'activation au sein d'un système de mémoire de travail. Plusieurs autres équipes ont également proposé des explications de phénomènes d'apparence inhibitrice dans l'oculomotricité chez les schizophrènes, sans faire référence à des processus d'inhibition (Barton, Panditta, Thakkar, Goff, & Manoach, 2008; Nieuwenhuis, Broerse, Nielen, & de Jong, 2004, Reuter & Kathmann, 2004). Ainsi, Reuter et Kathmann (2004) ont proposé que ce qui permettait d'empêcher une saccade autrement relativement automatique reposait en réalité sur le rehaussement d'activation d'une action antagoniste. Ainsi, afin d'éviter une saccade induite par l'apparition d'un item saillant dans le champ visuel droit, un sujet peut par exemple accroître volontairement la focalisation de son regard au point de fixation (mais également la préparation d'une saccade vers la gauche, par exemple). Cette focalisation dépendrait de l'activation en mémoire de travail des objectifs importants pour la tâche –en l'occurrence : résister à la capture oculomotrice et / ou fixer le point de fixation fortement (voir aussi Sala & Courtney, 2007 ; Courtney, Roth & Sala, 2007 ; Duncan et al., 1996 ; 2008).

Un autre élément, récent, concernant les fondements neurophysiologiques supposés de l'inhibition, vient également fragiliser l'hypothèse d'inhibition sélective dans la résistance à l'interférence. Hampshire, Chamberlain, Monti, Duncan et Owen (2010) ont réalisé une étude en IRMf afin de discriminer l'implication du gyrus frontal inférieur droit (GFId) dans l'inhibition ou dans la détection de signaux pertinents par rapports aux objectifs de la tâche en cours. Ils observent une augmentation d'activation du GFId dans la condition d'inhibition, mais celle-ci ne se différencie pas de celle observée dans une tâche de détection de cible, malgré l'importante différence de difficulté entre les deux tâches. Ils déduisent de ces résultats que le GFId serait impliqué dans la détection de signaux pertinents plutôt que dans les hypothétiques processus d'inhibition des distracteurs. Dans un langage proche de celui de Reuter et Kathmann (2004) ou de Kimberg et Farah (2000), ils affirment :

‘"Ainsi, dans le cas de l'attention sélective en face d'une plus forte distraction, il est tout à fait possible que la plus forte inhibition des distracteurs soit simplement réalisé par une focalisation active plus volontaire sur ce qui est sélectionné par l'attention [attended], plutôt que par une suppression directe de ce qui induit la distraction" (p. 1318). ’

Woolgar, Thompson, Bor et Duncan (2010) ont également soutenu un point de vue similaire, puisqu'ils ils montrent une activation de l'opercule frontal / insula antérieure (correspondant au GFId) dans les règles d'association stimulus-réponse. La question de l'existence de processus actifs d'inhibition paraît donc aujourd'hui plus que jamais d'actualité. En face de l'attrait théorique évident qu'elle peut présenter, cette hypothèse prête le flanc à la critique tant par l'imprécision ou la sur-extension occasionnelle de son acception que par son caractère ad hoc ou son manque de démonstration empirique fiable.