A.4.1. Domaine spatial

A.4.1.1. Opposition

L'orientation spatiale de l'attention a essentiellement été étudiée à l'aide de paradigmes d'indiçage découlant de celui proposé par Posner (1980). L'indiçage exogène est étudié au travers des effets de l'apparition soudaine d'un item (ou de sa modification soudaine et transitoire de luminance) sur les performances liées au traitement d'une cible. L'"indice" peut apparaître à la même localisation ou à une autre, induisant respectivement des bénéfices ou des coûts de traitement (en termes de TR ou de sensibilité par exemple). Pour évaluer l'orientation endogène, la localisation spatiale est indiquée de façon symbolique à l'aide d'un indice central (une flèche ou un chiffre associé arbitrairement à une localisation spatiale).

Yantis et Jonides (1990 ; voir aussi Theeuwes, 1991) ont montré qu'une focalisation attentionnelle endogène sur une localisation spatiale permettait de supprimer des effets de capture attentionnelle induits par l'apparition soudaine d'un distracteur. On notera cependant que Yantis et Jonides (1990), s'ils échouent à objectiver unecapture attentionnelle effective, mettent tout de même en évidence un effet de compatibilité de ce distracteur saillant avec la cible. La saillance de ce distracteur a donc bien rehaussé son traitement, bien que cela n'ait pas eu d'influence générale sur les temps de traitement de la cible.

Plus récemment, Belopolski, Zwann, Theeuwes et Kramer (2007) ont tenté de défendre l'hypothèse d'"impénétrabilité cognitive" (Theeuwes, 1993, 2010a), qui soutient que la computation de la saillance se fait de façon strictement exogène, sans qu'aucune influence descendante ne puisse la moduler, du moins durant une étape "initiale" de traitements (voir section A.5.1.1.2). Pour ce faire, ils ont tenté d'attribuer la disparition de l'effet de capture attentionnelle, non plus à un set attentionnel, mais à la taille d'une "fenêtre attentionnelle", au sein de laquelle les objets pourraient influencer l'orientation de l'attention, essentiellement en fonction de leur saillance. Cette hypothèse d'une fenêtre attentionnelle, dont la taille pourrait être contrôlée de façon endogène, évoque évidemment la métaphore de l'attention comme "lentille de focalisation" ("zoom lens") proposée par Eriksen et Saint James (1986). Belopolski et al. (2007) ont montré que selon que les participants portent leur attention sur un pattern global formé par l'affichage, ou sur une information locale présente au point de fixation, un singleton saillant parmi les lettres de l'affichage induisait, ou non, une capture attentionnelle. Ces résultats sont cohérents avec l'hypothèse d'une lentille de focalisation réglable. De plus, ils semblent confirmer que les items saillants capturent l'attention de façon plus ou moins automatique lorsqu'ils apparaissent à l'intérieur de cette fenêtre attentionnelle, mais non lorsqu'ils apparaissent à l'extérieur de celle-ci. On remarquera cependant que, contrairement à la tâche proposée par Bacon et Egeth (1994), les participants ne pouvaient pas s'engager dans un mode de recherche de trait (mode qui peut être efficient, comme l'ont démontré Leber & Egeth, 2006), puisque les cibles étaient les lettres E et H, et que leur sélection attentionnelle ne pouvait donc se fonder sur la détection d'un trait perceptiuf mais nécessitait vraisemblablement une focalisation attentionnelle, comme le suggéraient les pentes de recherche positives observées. Il est possible que l'ouverture de la fenêtre attentionnelle, conceptualisée par Theeuwes (2004), corresponde en réalité au mode de recherche de singleton proposé par Bacon et Egeth. Plus précisément, il est possible que pour réaliser ladétection d'un singleton, les participants décident d'ouvrir grand leur fenêtre attentionnelle, laissant ainsi entrer les singletons dans le foyer attentionnel. Pour autant, cela n'implique pas que le contraire soit nécessaire. Cela ne remet pas en cause l'idée qu'il soit possible de sélectionner un mode de recherche de trait, dans lequel l'attention pourrait être focalisée a priori sur un trait spécifique. Ceci pourrait tout à fait être le cas lorsque la fenêtre est grand ouverte, comme dans l'expérience de Beloposki et al. (2007). Leur étude ne permet pas de rejeter cette hypothèse dans la mesure où elle n'autorise pas de stratégie de recherche d'un trait qui puisse être efficiente.

De plus, leur interprétation en termes de taille de fenêtre pourrait également être discutée. On peut en effet souligner que la condition de fenêtre restreinte correspondait à une focalisation de l'attention sur un point central. Plus que l'ouverture, très métaphorique, d'une fenêtre attentionnelle, c'est peut-être l'intensité de la focalisation attentionnelle au point de fixation qui déterminait l'intensité de la capture attentionnelle. Cette hypothèse découle notamment des propositions théoriques de Reuter et Kathman (2004) quant à la résistance à l'interférence. Le point essentiel de cette expérience demeure qu'une influence endogène (focalisation attentionnelle ou fermeture de la fenêtre attentionnelle) semble permettre de réduire l'influence exogène de stimuli saillants. Cette étude appelle surtout à garder à l'esprit l'hypothèse de Eriksen et St James (1986), soulignant qu'il est possible de moduler la taille de la portion d'espace dans laquelle les traitements perceptifs seront relativement favorisés. Cette étude reste également compatible avec l'hypothèse d'une influence de l'attention endogène non-spatiale sur les processus exogènes liés à la saillance.

En conclusion, l'orientation endogène de l'attention visuelle spatiale semble à tout le moins capable de diminuer l'influence d'un distracteur saillant, donc des processus exogènes.