A.4.1.3.1. Théorie pré-motrice

Le réseau pariéto-frontal impliqué dans l'orientation attentionnelle (endogène ou exogène) présente également des homologies avec celui impliqué dans l'orientation du regard, ainsi même qu'avec celui impliqué dans la préparation à un mouvement de pointage du doigt (Astafiev, Shulman, Stanley, Snyder, Van Essen & Corbetta, 2003). Ces résultats sont cohérents avec la théorie pré-motrice de l'attention (Rizzolatti et al., 1987), notamment dans ses récents développements, où l'influence de la préparation motrice est considérée de façon plus générale, et non plus restreinte à la motricité oculaire (Rizzolatti & Craighero, 2010). Rizzolatti et ses collègues (1987) avaient mis en évidence ce qu'ils ont appelé l'effet de méridien. Utilisant une tâche de détection avec indiçage endogène, ils ont souligné que l'effet délétère d'un indice non-valide était plus important lorsque cible et indice étaient séparés par un méridien (c'est-à-dire la ligne droite verticale ou horizontale passant par le point de fixation). Ceci leur a permis de soutenir l'hypothèse, déjà ancienne (voir Moore, Armstrong & Fallah, 2003), d'une intrication des processus attentionnels et oculomoteurs, dans le cadre d'une "théorie pré-motrice de l'attention". Selon cette théorie, l'orientation endogène de l'attention dans l'espace correspond simplement à la préparation du programme moteur d'une saccade oculaire vers une localisation spatiale. Cette théorie fournit un cadre théorique cohérent à la fois avec des données comportementales et neuro-anatomiques pour rendre compte de l'orientation spatiale de l'attention. Pour rendre compte de l'interaction entre influences endogènes et exogènes, on peut se référer aux modèles proposés dans le cadre de l'oculomotricité, ainsi qu'aux données neurophysiologiques y afférant.

Tout d'abord, de nombreux auteurs ont modélisé le contrôle oculaire par le biais d'interactions compétitives au sein d'une carte spatiale rétinotopique (Everling, Dorris, Klein, & Munoz, 1999 ; Findlay & Walker, 1999 ; Godijn & Theeuwes, 2002 ; McPeeck, Han & Keller, 2003 ; Munoz & Istvan, 1998 ; Trappenberg et al., 2001; Van der Stigchel & Theeuwes, 2006). Godijn et Theeuwes (2003) ont également explicitement souligné le lien entre le contrôle oculaire et le contrôle attentionnel. La plupart des modèles souligne également la position nodale des colliculi supérieurs, qui combinent des afférences endogènes pré-frontales et exogènes d'origine pariétale (Pierrot-Deseilligny et al., 2004 ; Shipp, 2004), et qui sont fortement impliqués à la fois dans le contrôle moteur des saccades oculaires (Sparks, 1999 ; Trappenberg et al., 2001) et dans l'orientation masquée (ou couverte, pour l'anglais "covert") de l'attention (Ignashchenkova, Dicke, Haarmeier & Thier, 2004 ; Müller, Philistides & Newsome, 2005 ; Shipp, 2004). Organisée de façon compétitive, sur la base de connections inhibitrices latérales (Munoz & Istvan, 1998), cette structure représente donc un candidat idéal pour sous-tendre l'intégration entre signaux endogènes et exogènes de l'attention spatiale. Au sein du réseau pariéto-frontal de l'attention évoqué plus haut, il est important de mentionner les aires FEF et PEF (LIP) : ces régions sont impliquées à la fois dans la motricité oculaire et dans l'orientation de l'attention –endogène et exogène, respectivement (Schall, 2004 ; Thompson et al, 2005 ; Kusunoki et al., 2000). Or ces régions projettent toutes deux vers les colliculi supérieurs, fournissant vraisemblablement des influences spatiales endogènes et exogènes qui s'y verront combinées pour déterminer la cible de l'orientation attentionnelle manifeste ("overt", c'est-à-dire d'une saccade) ou masquée à venir.