A.4.2.3.2. Combinaison

Des données neurophysiologiques ont également été avancées pour soutenir l'intégration entre processus endogènes et exogènes dans l'orientation de l'attention visuelle sélective. Fecteau, Bell et Munoz (2004) étudièrent l'activité électrique de neurones des colliculi supérieurs. Leur activité reflétait une capture attentionnelle induite par un item saillant. De plus, cette activité était modulée par la pertinence de cet indice. Malheureusement, la pertinence était ici encore manipulée entre blocs (et non entre essais), ce qui interdit d'exclure l'influence plutôt exogène d'un amorçage perceptif, ou de pop-out (Maljkovitch & Nakayama, 1994).

Ogawa et Komatsu (2004) étudièrent l'interaction entre influences endogènes et exogènes au niveau neurophysiologique. Ils mesurèrent les réponses de neurones de l'aire V4 de macaques, lors d'une tâche de recherche visuelle. La configuration des stimuli était similaire à celle du singleton non-pertinent employée par Theeuwes (1992). Deux items étaient saillants dans chaque affichage, dans deux dimensions différentes : la saillance dans une dimension (p. ex. la couleur) déterminait la cible, alors que la saillance dans l'autre dimension (p. ex. la forme) était non-pertinente. Tout d'abord, ils observèrent que la réponse d'un neurone ne dépendait pas uniquement de la présence du stimulus préférentiel dans son champ récepteur, mais était également modulée par le contraste avec les distracteurs présents à l'extérieur de ce champ récepteur, conformément aux données évoquées plus haut au sujet de la saillance (p. ex. Knierim & Van Essen, 1992 ; Nothdurft et al., 1999, voir section A.1.3). De plus, la pertinence pour la tâche de la dimension en question induisait une modulation de cette réponse. Ces données concordent avec les hypothèses de la théorie de la compétition biaisée, puisque saillance et pertinence modulent la réponse de neurones du système perceptif. Il est particulièrement remarquable qu'un même neurone puisse être l'objet de ces deux types de modulations. Il demeure cependant que l'étude proposée par Ogawa et Komatsu (2004) présente également le défaut de manipuler la pertinence (à laquelle ils réfèrent, prudemment, sous le terme de "contexte comportemental"), par blocs. Des effets d'indiçage contextuel (Chun, 2000) peuvent également avoir participé aux effets observés. À l'inverse, cette étude présente aussi l'inconvénient, noté par Egeth, Leonard et Leber (2010), d'autoriser, sinon de favoriser, l'utilisation d'un mode de recherche du singleton. Ceci pourrait expliquer, selon ces auteurs, que l'influence endogène du set attentionnel ne soit observable qu'après environ 195 ms, soit après l'étape "initiale", "pré-sélective", de traitement (selon les termes de Theeuwes, 2010a). Egeth et al. (2010) critiquent également les arguments neurophysiologiques avancés par Theeuwes (2010a) sur la base de données d'imagerie indiquant une modulation des activations des régions perceptives hors de la région spatiale sur laquelle est portée l'attention (Serences & Boynton, 2007), voire avant la présentation des stimuli (Chawla et al., 1999). Ces données paraissent en contradiction avec l'hypothèse de Theeuwes (2010a) selon laquelle la première étape de traitement, "pré-attentionnelle", serait inaccessible aux influences endogènes.

Serences, Shomstein, Leber, Golay, Egeth et Yantis (2005) abordèrent le problème de façon différente, dans le cadre d'une étude en IRMf. Les participants devaient rechercher une lettre cible définie par sa couleur, qui apparaissait dans une colonne de lettres centrale, flanquée de deux autres colonnes de lettres. Une des colonnes de lettres pouvait être de la couleur de la cible, ou bien d'une autre couleur. Ils observèrent que la similarité de couleur entre cibles et distracteurs induisait des coûts de performances (en termes de précision de la réponse), et qu'elle était accompagnée d'une augmentation de l'activité hémodynamique à la jonction temporo-pariétale ainsi que dans le cortex frontal ventral (cortex frontal moyen et inférieur, insula). La saillance des items en question était, au mieux, faible. Néanmoins, la perturbation qu'ils observaient, liée aux distracteurs similaires à la cible, pourraitt être interprétée dans les termes de la capture attentionnelle contingente, puisque l'attention paraissait "orientée" involontairement vers des items correspondant au set attentionnel dans lequel étaient engagés les sujets. De plus, les auteurs notaient que le réseau cérébral modulé par le set attentionnel paraissait correspondre à ce qui pourrait être un système d'orientation exogène (Corbetta & Shulman, 2002).

Dans l'ensemble, les données neurophysiologiques soutiennent l'hypothèse qu'influences attentionnelles endogènes et exogènes peuvent interagir. Les marqueurs neurophysiologiques de la sélection attentionnelle (not. la composante N2pc) paraissent modulés à la fois par la saillance et par la pertinence de la dimension saillante. La démonstration formelle d'une intégration effective, notamment entre des signaux endogènes et exogènes clairement distincts, reste encore à faire. Néanmoins le recouvrement des réseaux activés par ces deux types d'influences ainsi, surtout, que l'identité des régions cibles modulées par ces processus attentionnels endogènes et exogènes, incitent à poursuivre l'investigation de ces interactions.

La compréhension de ces éventuelles interactions, mais également la construction des expérimentations y visant, sont éminemment dépendantes du cadre théorique dans lequel ces interactions sont appréhendées a priori. Le choix d'un cadre expérimental doit évidemment être soutenu au mieux par des données expérimentales, mais une fois choisi, il détermine lui-même les données expérimentales qui peuvent être envisagées, pensées. C'est donc un choix particulièrement critique et particulièrement difficile. La dernière partie de cette introduction dresse un rapide portrait des différents modèles cognitifs abordant l'interaction entre les influences endogènes et exogènes.