A.5.1. Modèles structurés autour d'une carte de saillance

A.5.1.1. Modèles fortement exogènes

A.5.1.1.1. Modèles "classiques" à carte de saillance (Treisman & Gelade, 1980 ; Koch & Ullman,1985 ; Itti & Koch, 2000)

Treisman et Gelade (1980) postulaient que le traitement perceptif était initialement ségrégé en divers canaux de traitement, spécifique chacun d'une certaine dimension perceptive (p. ex. couleur, orientation, etc., voir Felleman & Van Essen, 1991). Les différents traits d'un objet étaient ensuite supposé être intégrés ensemble par l'opération de l'attention sélective. Plus tard, Treisman et Souther (1985) ont proposé l'existence d'une carte "maîtresse", représentant les localisations marquées par des discontinuités perceptives, indépendamment de toute information perceptive. Cette carte maîtresse, attentionnelle, était supposée permettre de lier entre eux les traits perceptifs d'un item (répondant ainsi au potentiel problème dit du liage perceptif, ou "binding problem", voir Roskie, 1999).

Une perspective similaire était développée la même année par Koch et Ullman (1985), qui conçoivent la carte de saillance comme un élément central de l'orientation de l'attention. Ils en proposent des règles de computation. Dans chaque carte de traits, des différences sont calculées afin de rendre compte des contrastes de traits, qu'on sait plus déterminants que les intensités considérées isolément (Hübel et Wiesel, 1959, Nothdurft, 1993 ; Knierim & Van Essen, 1992 ; voir partie A.1.2). Ces activités sont ensuite combinées selon des facteurs multiplicateurs particuliers au sein de la carte de saillance, qui est ensuite censée déterminer la sélection attentionnelle de la cible, à la position de la plus forte activation.

Ces idées ont eu une popularité et un retentissement très importants, au point qu'aujourd'hui la plupart des modèles se structure autour de cette hypothétique carte de saillance (Itti & Koch, 2000 ; Michael et al., 2006 ; Navalpakkam & Itti, 2005 ; Theeuwes, 1993, 2010a ; Wolfe, 1994 ; voir cependant Deco & Rolls, 2005 ; Hamker ; 2003 ; 2005 ; vanRullen, 2003). L'hypothèse centrale de ces modèles tient sans doute en partie à l'influence majeure de la saillance dans l'orientation de l'attention. Ces modèles perpétuent les dichotomies traditionnelles entre traitements parallèles et sériels, pré-attentifs et post-sélectifs (Broadbent, 1958 ; Neisser, 1967). En effet, alors que les computations au sein des cartes de traits ainsi que pour la carte de saillance sont supposées se réaliser de façon parallèle et indépendamment de "ressources attentionnelles", les traitements consécutifs à la sélection attentionnelle ne peuvent concerner qu'un item à la fois (éventuellement un petit nombre) et sont considérés comme sériels. Afin de permettre le déplacement sériel d'un item à l'autre, un mécanisme semble nécessaire, dans ce cadre conceptuel, à la suppression de l'activité de saillance maximale, afin d'éviter qu'un même item saillant ne se voie re-sélectionner indéfiniment. La plupart des auteurs font incomber ce rôle à des processus liés à l'inhibition de retour (cf. Posner & Cohen, 1984 ; Klein, 2000), considérant qu'ils permettraient de supprimer les activités liées aux items non-pertinents sitôt après qu'ils ont fait l'objet d'une sélection attentionnelle (p. ex. Itti & Koch, 2000 ; Michael et al., 2006).