A.5.1.1.2. Modèle à deux étapes de Theeuwes (1993, 2010a)

Theeuwes (1993, 2010a) soutient une position particulièrement radicale quant à la détermination de l'orientation de l'attention, dans un modèle qui se fonde également sur une carte de saillance. Son modèle distingue très explicitement deux étapes de traitement fonctionnellement indépendantes (cf. Broadbent, 1958 ; Neisser, 1967 ; Treisman & Gelade, 1980) : une étape "pré-attentionnelle", dans laquelle les traitements seraient réalisés de façon plus ou moins automatique, en parallèle sur l'ensemble du champ visuel, et une étape "attentionnelle", qui ne permettrait le traitement que d'un item (ou d'un petit nombre) à la fois. L'information perceptive, et donc l'identité des stimuli ne pourrait être extraite, selon cet auteur, qu'au cours de cette deuxième étape de traitement.

Ce modèle est étroitement lié à la métaphore de l'attention comme "projecteur" (Posner, 1980, voir Fernandez-Duque & Johnson, 2002), "illuminant" une localisation spatiale particulière, dans laquelle seule pourraient intervenir les traitements dits "attentionnels". C'est d'ailleurs uniquement dans cette dimension spatiale que les influences endogènes sont considérées comme possibles par Theeuwes. Un sujet peut éventuellement modifier la taille du faisceau attentionnel (Theeuwes, 2004, 2010a) ou le déplacer dans l'espace visuel (Theeuwes, 1993, 2010a), mais cet auteur considère que l'on ne peut en aucun cas guider l'attention de façon endogène vers un trait perceptif non-spatial. En effet, une hypothèse forte de ce modèle est que les computations "pré-attentionnelles" sont impénétrables à toute influence cognitive endogène et sont relativement automatiques (irrépressibles et involontaires). Ces influences exogènes sont également envisagées sur la base du concept de carte de saillance (Koch & Ullman, 1985). Durant l'étape initiale de traitement, que Theeuwes semble définir en termes temporels (Theeuwes, 2010a ; Eimer & Kiss, 2010), seule cette saillance est censée déterminer l'orientation spatiale de l'attention. Les connaissances et intentions du sujet quant aux dimensions non-spatiales ne pourraient intervenir qu'ensuite, essentiellement en modulant la vitesse du désengagement attentionnel. Un item ne correspondant pas aux attentes serait ainsi sélectionné par le faisceau attentionnel, puis dé-selectionné de façon extrêmement rapide de façon à permettre à la recherche visuelle de se poursuivre. Theeuwes (2010b) reconnaît, avec ses contradicteurs (Lamy, 2010 ; Folk & Remington, 2010) que les données en faveur de cette hypothèse de "désengagement à vitesse variable" sont relativement maigres, et que sa falsifiabilité même est douteuse.