B.3.1.1. Intégration entre pertinence et saillance

Pour mettre en évidence la participation concomitante des processus endogènes et exogènes à l'orientation de l'attention, deux stratégies peuvent être employées. Certains auteurs ont mis en évidence que les facteurs endogènes pouvaient empêcher ou réduire la capture attentionnelle (exogène). Cette stratégie, présentée dans la partie théorique (sections A.4.1.1 et A.4.2.1) sous-tendait les travaux de la deuxième série d'expérience (chapitre B.2) ainsi que certains objectifs de la première série (sections B.1.4 et B.1.5). À l'opposé, d'autres auteurs ont montré que les facteurs endogènes pouvaient également se combiner avec les facteurs exogènes pour favoriser le traitement d'un item saillant. Ainsi, Müller, Reimann, et Krummenacher (2003) ont démontré qu'indiquer la dimension dans laquelle la cible serait saillante permettait de faciliter la détection de cette dernière. Ultérieurement, pour pallier une critique de Theeuwes, Reimann et Mortier (2006), Müller et Krummenacher (2006) ont confirmé, en utilisant une tâche "composée" (i.e. dans laquelle le trait définissant la cible et le trait à reporter étaient distincts), que l'effet de l'indiçage opérait bien au niveau de la sélection attentionnelle, et non à un niveau "ultérieur" de la préparation de la réponse.

Au niveau neurophysiologique, de nombreuses données indiquent également que l'attention portée sur des traits non-spatiaux permet de rehausser la réponse neuronale correspondant au traitement perceptif de ces traits (Anllo-vento et al., 1998 ; Bichot et al., 2005 ; Treue & Martinez-trujillo, 1999 ; voir Maunsell & Treue, 2006, pour revue). Cette modulation des traitements perceptifs permet d'améliorer et d'accélérer le traitement des items présentant les traits en question. Ces données ne démontrent pas que les influences exogènes et endogènes interagissent nécessairement. Néanmoins, la modulation précoce de traitement perceptifs (qui intervient même avant l'apparition des stimuli, au niveau de la ligne de base), suggère que l'influence endogène pourrait affecter une étape précoce du traitement perceptif ou attentionnel.

Dans les travaux de Müller et de ses collègues évoqués plus haut (Müller et al., 2003 ; Müller & Krummenacher, 2006), l'influence endogène était habituellement manipulée expérimentalement par l'indiçage de la dimension ou du trait dans lequel la cible devait être saillante. Ce choix découle vraisemblablement des positions théoriques de ces auteurs. En effet, l'hypothèse de "pondération des dimensions" qu'ils défendent (Müller et al., 1995) postule que les mécanismes de l'attention visuelle sélective s'organisent autour d'une carte de saillance, et que les influences endogènes réalisent une pondération des différentes cartes de dimensions. Cependant, cette modalité de l'influence endogène est tout à fait spécifique et ne rend pas forcément compte d'autres types d'influences possibles, au moins aussi probables. Intuitivement, il semble bien que la connaissance de caractéristiques perceptives puisse porter sur des traits non saillants d'un item recherché, et avoir pourtant une influence favorable nette sur la recherche visuelle. Cette intuition paraît soutenue par des données comportementales, neurophysiologiques et par certaines perspectives théoriques. Les données de Treisman et Gormican (1988) ou de Braun (1994) suggèrent bien que seules les singletons "maximaux" (de taille ou de luminance supérieure) présentent une saillance qui les favorise de façon exogène. Or la sélection attentionnelle peut se faire aussi bien sur la base d'un trait maximal que d'un trait minimal (Nothdurft, 2000 ; Hodsoll & Humphreys, 2001, Expérience 2 du présent travail, voir section B.1.4) et concerner une cible qui ne soit pas singleton (Von Wright, 1968). Au niveau neurophysiologique, la possibilité de rehausser le niveau de base de la réponse neuronale (Bichot et al. 2005) semble représenter une facilitation du traitement des traits indépendante de leur saillance. Ces données sont tout à fait cohérentes avec l'hypothèse de compétition biaisée. Or la possibilité d'une intégration effective entre pertinence et saillance semble proscrite si l'on ne conçoit l'influence de l'attention endogène que comme modulatrice du calcul de saillance. C'est donc cette hypothèse d'une influence indépendante de la pertinence sur la sélection attentionnelle que la suivante série d'expériences a cherché à valider, par le biais de plusieurs tâches de recherche visuelle.

Dans ces expériences, un soin particulier a été apporté à distinguer les traits saillants, les traits pertinents (par indiçage), et le trait qui devait être reporté. Tout d'abord, l'objectif était de démontrer qu'un indice pouvait favoriser la sélection attentionnelle autrement qu'en augmentant le poids d'une dimension ou d'un trait dans la computation de la saillance. Saillance et pertinence ont donc été manipulées via deux dimensions perceptives distinctes. Les items pouvaient être rendus saillants par la taille (Exp. 1, 2, 3) et par la couleur (Exp. 2), alors que l'indice portait sur la couleur de la cible. De plus, la saillance devait être non-pertinente, afin de s'assurer que ses effets étaient bien exogènes, et n'étaient pas induits par une intention endogène des sujets à utiliser la saillance pour orienter leur attention (Bacon & Egeth, 1994 ; Yantis & Egeth, 1999). Enfin, l'indice ne devait pas influer sur le choix de la réponse, mais sur l'orientation de l'attention préalable au traitement de la cible et donc au choix de la réponse. Pour ces deux dernières raisons, la tâche proposée fut une tâche de discrimination portant sur une troisième dimension perceptive, distincte de celles utilisées pour la saillance et pour la pertinence (déterminant une tâche dite "composée"). En effet, l'indiçage d'une couleur, ou la saillance induite par la taille ont peu de probabilités de modifier les processus liés au choix d'une réponse portant sur l'orientation d'une cible. Le fait que ni la couleur (trait pertinent) ni la taille (trait saillant) ne soient utiles pour la réponse réduisait par la même occasion la propension des sujets à porter leur attention sur eux.