Conclusion générale

Les données expérimentales présentées ici permettent de souligner la grande flexibilité avec laquelle influences endogènes non-spatiales et influences exogènes peuvent interagir pour déterminer la "sélection attentionnelle". La saillance semble induire par défaut des effets, indépendamment des intentions du sujet. Ces effets paraissent de plus relativement durables. Cependant, ils peuvent être fortement modulés par les intentions du sujet, du moins lorsque des informations lui sont disponibles (ce qui est sans doute la règle, en situations "écologiques"). Ils peuvent être favorisé ou au contraire contrecarrés. La capacité de résister à l'interférence semble cependant dépendre de la charge portant sur la mémoire de travail (essentiellement ses aspects exécutifs). À l'opposé, l'interaction entre les influences attentionnelles endogènes et exogènes est aussi possible. Cette interaction, qui implique une coactivation effective lorsque les deux processus concernent la même dimension perceptive, agirait vraisemblablement au sein du système visuel. Au-delà de leur hétérogénéité, les données présentées dans la présente thèse, sont peut-être unies par une profonde unité.

Un point regrettable de la recherche actuelle est qu'il y manque le liant, la perspective théorique générale qui permettrait d'embrasser les données disparates des littératures touchant à l'attention visuelle sélective et aux domaines connexes (résistance à l'interférence, oculomotricité, mémoire et notamment mémoire de travail, perception) . Cette absence n'est pas regrettable simplement parce qu'elle traduirait notre ignorance –de cela on s'accommode facilement. Plus sérieusement, son absence est particulièrement contrariante parce qu'elle contraste avec la profusion de données expérimentales disponibles ; cette théorie manquante semble s'inscrire comme en creux dans les données empiriques disponibles. Une bonne théorie peut peut-être être comparée à une clef de voûte, modeste élément chargé de parachever l'oeuvre et de faire tenir ensemble les pierres disponibles. Elle permettrait sans doute d'organiser notre compréhension des processus attentionnels. Or l'hypothèse de compétition biaisée pourrait bien être le matériau d'une telle clef de voûte.

L'ensemble des travaux présentés dans cette thèse peut en effet être envisagé dans le cadre de l'hypothèse de compétition biaisée, au travers des différents développements auxquels elle a pu donner naissance (p. ex. Courtney et al., 2007 ; Duncan, 1997 ; 2006 ; Reuters et Kathmann, 2004 ; Sala & Courtney ; Torralba & Beck, 2008). Les données empiriques et les développements théoriques abordés concernent des processus cognitifs de nature extrêmement variable (de la saillance perceptive aux fonctions exécutives, en passant par la résistance à l'interférence et l'orientation endogène de l'attention). Malgré cela, elles paraissent toutes pouvoir bénéficier d'une interprétation formulée dans les termes de la compétition biaisée. Cette perspective repose sur un ensemble très restreint de principes, se conformant ainsi admirablement au principe de parcimonie. Pour toutes ces raisons, cette perspective nous semble devoir être développée, de façon à aborder explicitement les différentes problématiques de l'attention visuelle sélective, et à les intégrer dans un ensemble cohérent. Cette perspective de la compétition biaisée fournit les outils adéquats ; la littérature accumulée paraît aujourd'hui fournir suffisamment de matériel, ne demandant qu'à être organisé. Enfin, le paradigme de la cognition incarnée, en plein essor et probablement proche de sa maturité (quoiqu'en manque, lui aussi mais sans doute de façon plus marquée, de théorie bien développée, selon Barsalou, 2010) fournit un cadre général d'une grande richesse, et qui semble pouvoir aisément accueillir les principes développés dans le cadre de la compétition biaisée. Au regard de ces éléments, la situation actuelle de la recherche sur la psychologie cognitive de l'attention sélective apparaît des plus stimulantes.