307. Avant la promulgation de la loi NRE, le droit du travail et le droit des sociétés coexistaient au sein de la même entité qu’est l’entreprise structurée sous forme de société, mais n’échangeaient que très peu. Quelques dispositions existaient déjà cependant. On peut citer l’article L. 2323-62 du Code du travail (anc. C. trav. art. L. 432-6 al. 1) qui prévoit la présence, avec voix consultative, de deux membres du comité aux séances du conseil d’administration ou du conseil de surveillance1139 ; ou l’article L. 2323-8 (anc. C. trav. art. L. 432-4 al. 9 à 12) qui impose à la direction d’une part, de communiquer au comité les documents destinés à l’assemblée des actionnaires et, d’autre part, de transmettre les observations de l’institution élue à l’assemblée. Mais ces rapports entre comité et actionnaires sont entretenus sans aucun contact direct.
La loi NRE est allée plus loin en établissant un lien direct entre l’assemblée générale des associés, lieu d’exercice du pouvoir au sein d’une société, et le comité d’entreprise. L’article 99 de la loi a ajouté au Code du travail l’article L. 432-6-1 (devenu l’article L. 2323-67) qui donne au comité d’entreprise le droit de demander en justice la désignation d’un mandataire chargé de convoquer l’assemblée générale des actionnaires en cas d’urgence1140, et prévoit que deux de ses membres peuvent assister aux assemblées générales1141.
Une question relative au champ d’application de ces nouvelles dispositions s’est néanmoins posée en raison de la rédaction de l’article L. 2323-67, qui a donné lieu à plusieurs positions doctrinales. Une incertitude réside dans l’utilisation, par cet article, des termes « actionnaire » et « associé ». La qualification légale d’actionnaire est réservée aux sociétés par actions, le terme d’associé étant plutôt utilisé pour les détenteurs de parts sociales des sociétés par actions simplifiées. Quelles sont alors les sociétés dont les assemblées générales sont concernées par la disposition légale ? Pour Monsieur Maurice Cohen, le fait que la loi utilise successivement les mots « actionnaire » et « associé » signifie que ces nouveaux droits ont vocation à s’exercer dans toutes les sociétés commerciales, dont les sociétés anonymes et les sociétés par actions simplifiées par exemple1142. A l’opposé, d’autres auteurs estiment que seuls les comités d’entreprise des sociétés par actions sont visés par l’article L. 2323-67, et ce pour deux raisons : la première est que le législateur envisageait d’attribuer au comité une action, ce qui montrait bien qu’il n’avait jamais raisonné en dehors du cadre des sociétés par actions1143 ; la seconde est que le fonctionnement des sociétés par actions simplifiées ne suppose pas nécessairement la réunion d’assemblées générales, les statuts pouvant aménager la participation des associés1144. La question reste donc entière. A charge pour le législateur de revenir sur sa copie, ou aux juridictions de trancher à l’occasion d’un litige mettant en cause ce champ d’application.
308. Certains comités d’entreprise ont très rapidement mis en œuvre ces nouvelles attributions. Ainsi, dès novembre 2001, un cas de demande de convocation de l’assemblée générale par le comité d’une société anonyme a donné lieu à une première décision de justice1145, décision qui a permis de préciser la nouvelle prérogative du comité. Dans ce jugement, le juge consulaire a admis l’autonomie de la disposition, qui doit être interprétée « sous l’angle des intérêts dont [le comité] a pour mission d’assurer l’expression », mais sans ignorer l’intérêt de la société qui doit guider les décisions de l’assemblée générale. L’urgence qui conditionne l’exercice du droit par le comité devra certes être appréciée au regard de la situation des salariés, mais également de l’intérêt social. La portée de cette nouvelle disposition nécessitera sans doute d’être nuancée, cette première décision de justice posant déjà le cadre dans lequel seront examinées les demandes de convocation des représentants du personnel.
309. La loi NRE permet aussi au comité de « requérir l’inscription de projets de résolution à l’ordre du jour des assemblées » (C. trav. art. L. 2323-67 al. 2), à deux de ses membres d’assister aux assemblées générales, et énonce enfin que « ceux-ci doivent être entendus, lors de toutes les délibérations requérant l’unanimité des associés » (C. trav. art. L. 2323-67 al. 3).
L’apport de ces mesures semble, ici encore, devoir être nuancé. D’abord, cette participation aux assemblées générales est conçue comme une possibilité à l’initiative des salariés et non comme une obligation de l’employeur. En outre, on peut s’interroger sur les conséquences d’un défaut de convocation des membres du comité, dont il semble qu’il ne serait pas une cause de nullité mais constituerait plutôt un délit d’entrave1146. Enfin, l’audition des membres lors des délibérations paraît aussi de portée limitée dans la mesure où elle n’est prévue qu’en cas de délibération « requérant l’unanimité des associés ». Or, l’unanimité n’est requise que dans des rares cas comme, par exemple, le changement de nationalité de la société1147. On en déduit a contrario que dans les autres cas, les membres du comité assistant à l’assemblée n’ont pas à intervenir, ce qui limite considérablement l’intérêt de cette mesure.
Les attributions du comité d’entreprise au sein des organes sociétaires, bien que demeurant consultatives, semblent aller plus loin que sa classique consultation. Elles offrent la faculté à l’institution élue d’être entendue par les actionnaires et, de ce fait, d’accroître sa capacité d’influence sur la prise de décision. Mais tous les comités d’entreprise ne sont pas égaux devant ces dispositions. Leur application est en effet sans objet selon la forme de la société, et particulièrement celle qui exclut toute procédure délibérative, comme la société simplifiée unipersonnelle dotée d’un seul président. De ce fait, les élus se trouvent, au surplus, privés de la garantie d’information que leur assure l’article L. 2323-63 du Code du travail1148.
Comme généralement la société par actions simplifiée ne comporte pas de conseil d’administration ou de surveillance, les statuts doivent préciser l’organe social auprès duquel s’exerce cette participation (C. trav. art. L. 2323-66).
Le Code de commerce (article L. 225-103 II 2°) prévoyait déjà, avant mai 2001, la possibilité « pour tout intéressé, en cas d’urgence », de demander la convocation d’une assemblée générale.
Le décret n° 2008-244 du 7 mars 2008 en précise les modalités d’application (articles R. 2323-13 et R. 2323-14 du Code du travail).
M. Cohen, Les attributions économiques des comités d’entreprise depuis la loi sur les nouvelles régulations économiques, Droit ouvrier, 2002, p. 55.
Initialement, le projet de loi prévoyait, pour renforcer l’intervention des salariés dans les décisions de gestion, d’attribuer une action de la société au comité d’entreprise afin de lui accorder l’ensemble des prérogatives dont disposent les actionnaires minoritaires. Mais cette idée fut abandonnée, compte tenu notamment du flou entourant la notion d’actionnaire minoritaire, au profit des prérogatives aujourd’hui inscrites à l’article L. 2323-67 du Code du travail. V. R. Vatinet, De la loi sur les nouvelles régulations économiques à la loi de modernisation : une montée en puissance du comité d’entreprise ?, Droit social, 2002, p. 286 ; N. Vignal, Les nouveaux pouvoirs du comité d’entreprise, Droit et patrimoine, 2001, p. 69.
Article L. 227-9 du Code de commerce. V. B. Saintourens, préc., Bulletin Joly Sociétés, 2002, p. 7.
Tribunal de commerce de Marseille, référé, 7 novembre 2001, Bulletin Joly Sociétés, 2002, p. 106.
R. Vatinet, préc., Droit social, 2002, p. 286.
Article L. 222-9 du Code de commerce.
A. Lyon-Caen, Le pouvoir en droit du travail et droit des sociétés. A propos du licenciement dans une SAS, Revue de droit du travail, 2010, p. 494.