Conclusion

381. Un constat s’impose : la participation à la gestion des entreprises selon les termes de l’alinéa 8 du Préambule de 1946 de valeur constitutionnelle, ne définit pas une contribution des salariés à l’élaboration d’une décision d’ordre économique de la direction, même par le biais d’un intermédiaire comme le comité d’entreprise. Il est acquis que l’institution élue doit être associée aux discussions préalables à toute décision de l’employeur de quelque importance, « que cette décision concerne l’organisation de l’entreprise, les opérations affectant sa structure ou la composition de son capital, son transfert total ou partiel, ses relations avec d’autres entreprises, la gestion du personnel proprement dite, le temps de travail, le règlement intérieur, et même les négociations d’entreprise avec les syndicats représentatifs »1376. Mais cette association ne met pas en cause le pouvoir de l’employeur.

Est-il alors envisageable, pour répondre aux sollicitations dont le comité d’entreprise fait aujourd’hui l’objet en période de crise de l’emploi, d’adapter ses attributions économiques pour assurer une bonne défense des intérêts des salariés qu’il représente en leurs noms ? Cette modification de ses attributions conduirait à transformer le comité en un véritable contre-pouvoir dans les entreprises. Elle autoriserait des échanges constructifs entre direction et représentants du personnel pour prévenir, ou du moins amortir les conséquences d’ordre social d’une décision de l’employeur. Une telle perspective suppose un meilleur partage de l’information, qui doit se traduire par une association continue du comité d’entreprise aux organes décisionnaires. Le législateur a marqué, à maintes reprises, sa volonté d’une participation plus prospective et prévisionnelle de l’institution élue : en 2001, avec la loi sur les nouvelles régulations économiques, puis en 2002 par la loi de modernisation sociale, deux textes créateurs d’obligations et d’attributions nouvelles aux employeurs et au comité d’entreprise1377, insérées non pas dans le Code du travail mais dans le Code de commerce. Cette volonté s’est poursuivie en 2003 puis en 2005 avec, principalement, la faculté d’organiser conventionnellement l’information de l’institution élue sur la mise en place d’un dispositif de gestion prévisionnelle des emplois et sa consultation sur la stratégie de l’entreprise. Mais, si ces différentes tentatives conduisent le comité à intervenir plus en amont dans le processus de prise de décision économique, elles ne tendent pas, sur le fond, vers la prise en compte des intérêts des salariés dans l’appréciation de la légitimité de la décision de gestion. Ces tentatives ont ceci de commun qu’elles encouragent la réflexion et l’échange de vues avec l’institution élue, sans prolongement juridique réel ; mais elles diffèrent radicalement sur la méthode. En effet, si la loi de modernisation sociale entraînait, par les droits qu’elle conférait à l’institution élue, un ralentissement du processus de prise de décision, les législations les plus récentes paraissent, au contraire, vouloir inclure l’intervention du comité d’entreprise dans une démarche préétablie par accord collectif, réduisant ainsi la durée du processus par une simplification des procédures. Alors, « si l’on tient la procédure dans un cadre de négociation, il faut logiquement admettre qu’elle entraîne ou doit entraîner un recul de l’unilatéralisme. Jusqu’où ? Telle est la question qui invite à revoir les prérogatives du comité d’entreprise »1378. Et le droit n’est pas encore allé, dans son objectif d’associer cette institution aux décisions, jusqu’à changer sa nature strictement consultative en matière économique.

382. On peut donc s’interroger sur l’avenir de cette délégation élue dont l’évolution et les modifications des attributions économiques paraissent étroitement liées au contexte économique. Or, la mondialisation des échanges engendre une opacité des relations professionnelles en multipliant les niveaux de décision et, corrélativement, la division des responsabilités qui mettent à l’épreuve les rapports de l’institution élue avec l’employeur tels qu’ils ont été organisés par notre droit. Dans ce contexte, la délégation élue est-elle destinée à rester un organe de représentation dont le législateur s’attacherait à multiplier les occasions de consultation sans qu’aucune conséquence sur la décision finale n’ait jamais lieu ? S’il est vrai que les droits français et communautaire se sont appliqués à faire coïncider d’une part, les pôles patronaux investis du pouvoir de décision et d’autre part, les lieux et niveaux d’exercice des attributions économiques des institutions représentatives du personnel, ces dernières demeurent toujours en marge des organes de décision. Le droit de l’Union européenne a néanmoins rompu avec cette situation par la création du statut de la société européenne. Cette institution permet aux représentants des salariés d’intervenir dès les phases initiales du processus décisionnel, l’immatriculation de la société européenne dépendant de l’obtention d’un accord sur les modalités relatives à l’implication des travailleurs, qui englobe « l’information, la consultation, la participation et tout autre mécanisme par lequel les représentants des travailleurs peuvent exercer une influence sur les décisions à prendre au sein de l’entreprise »1379. Cette formule tranche avec celles du droit français, et sans doute l’effectivité de cette influence dans les choix de gestion devra nécessairement impliquer une meilleure cohérence des droits qui régissent l’entreprise. Cette cohérence pourrait passer par une prise en compte accrue de la consultation sur la décision patronale, la validité de cette dernière obéissant aujourd’hui à des règles étrangères au droit du travail. Sanctionner le défaut de consultation par la seule suspension en référé ne saurait en effet permettre au comité d’assurer une prise en compte effective de l’intérêt des salariés. Il en va de même de l’impossibilité, pour le comité d’entreprise, d’agir en justice pour la défense des intérêts des salariés qu’il représente. La cohérence pourrait également s’opérer par un rapprochement du droit du travail et du droit des sociétés. Dans ce cadre, le point de vue des salariés serait intégré dans la législation économique elle-même et non plus dans un seul droit spécifique. Cela éviterait que leurs demandes dans les décisions stratégiques soient repoussées sans qu’aucune disposition juridique ne vienne sanctionner effectivement un tel comportement de la part de l’employeur, et qu’elles ne soient plus prises en compte seulement qu’au terme du processus décisionnel.

383. Les attributions économiques du comité sont un sujet d’actualité, de débats et de controverses si l’on en juge par les interventions du législateur en la matière au cours de cette première décennie des années 2000, au gré des alternances politiques. Ces touches successives auront du moins permis de mettre en lumière le rôle reconnu à la représentation élue des salariés en matière de participation à la gestion des entreprises, bien loin de la cantonner aux seules activités sociales et culturelles. Ce constat révèle que le schéma classique « information-consultation », conçu au temps où le comité était considéré encore comme un organe de coopération avec la direction, ne correspond plus aux attentes des travailleurs, bien que toujours privilégié par le droit français, et généralement, par celui de l’Union européenne.

Cette forme institutionnelle qu’est le comité, masquant une réalité très contrastée, demeure cependant en France le lieu essentiel du dialogue social entre les différents acteurs de l’entreprise. Et le contexte économique et social contemporain interpelle manifestement le législateur sur le rôle à lui consentir dans un avenir proche.

Notes
1376.

A. Jeammaud, Rapport général. Thème 2 : Représentation des travailleurs et dialogue social au lieu de travail, XIXème Congrès mondial de la Société internationale de droit du travail et de la sécurité sociale, Sydney, 4 septembre 2009, http://www.afdt-asso.fr/fichiers/publications/sydneyjeammaud.PDF, spé. p. 49.

1377.

Obligations aujourd’hui abrogées avant même d’avoir été mises en œuvre pour certaines.

1378.

A. Lyon-Caen, préc., Droit social, 2004, p. 285, spé. p. 289.

1379.

Article 2 h) de la directive 2001/86/CE.