1. De la gentrification aux gentrifieurs : l’évolution des approches.

Au cours d’une recherche conduite au début des années 1960 dans certains quartiers de Londres, jusqu’alors désaffectés et peuplés par des familles issues des catégories populaires, Ruth Glass utilise le terme de « gentrification » construit à partir de celui de « gentry » (désignant des gens « bien nés », des « petits nobles » ou « petits notables ») pour qualifier les transformations affectant plusieurs quartiers londoniens de ce type (Glass, 1963). De cette première occurrence à la mobilisation du terme dans cette recherche-même, le terme de gentrification a subi des remaniements sémantiques et connu des définitions variées au gré des auteurs, des périodes, des contextes disciplinaires et nationaux, des terrains d’enquête investis (Bidou-Zachariasen, 2003). En France, la publication récente de revues ou d’ouvrages collectifs consacrés à cette question illustre clairement la variété des définitions et des approches retenues (Fijalkow, Préteceille, 2006 ; Authier, Bidou-Zachariasen, 2008).

On commencera par proposer une définition de la gentrification qui tentera d’en saisir les différents aspects et qui sera adoptée au cours de cette thèse : cette définition relativement consensuelle n’épuise pas certains débats sociologiques mais permet de définir ce que nous entendrons dans cette thèse par « gentrification », notion critiquée par certains comme non opératoire (Bourdin, 2008). On montrera dans un second temps la diversité des approches ayant marqué les dernières décennies en Europe et en Amérique du Nord. Différents courants peuvent être identifiés au regard des échelles d’analyse retenues, des ancrages théoriques et disciplinaires de chaque contribution et également des terrains investis (Bidou-Zachariasen, 2003). Cette diversité n’empêche cependant pas de constater que de nombreuses approches sociologiques ont progressivement pris le parti d’une sociologie des gentrifieurs plutôt que d’une sociologie de la gentrification en tant que telle : cette distinction sera explicitée ici car elle inspire largement les questions posées dans cette thèse.