Chapitre 2 : L’espace dans la sociologie des homosexualités.

Parce qu’elle mobilise le terme d’homosexualité, cette recherche implique nécessairement l’exploration d’un autre chantier sociologique que celui de la sociologie urbaine, un chantier consacré à l’objet « Homosexualité », que l’on désigne ici une caractéristique individuelle, un fait social collectif ou un ensemble d’individus composant une population. Cette recherche croise donc deux domaines de la sociologie, qui ont, a priori, peu en commun et qui sont surtout peu équivalents du point de vue de leur statut, de leur histoire et de leur assise scientifique et institutionnelle. Composante ancienne, reconnue et instituée de la discipline, la sociologie urbaine en constitue une tradition dont on retrouve les traces chez les pères fondateurs, et dont on connaît la force et les résultats importants, notamment à partir des travaux de la première Ecole de Chicago (Grafmeyer, Jospeh, 1984 ; Chapoulie, 2001). À travers ce second chapitre, notre recherche se rattache à un domaine non stabilisé et faiblement structuré de la discipline sociologique : celui d’une approche sociologique des homosexualités. Celle-ci apparaît, au contraire, peu instituée, faiblement reconnue par les institutions qui, de manière générale, donnent la légitimité en sciences sociales. S’aventurer sur les chemins d’une sociologie des homosexualités est donc une entreprise périlleuse dans la mesure où le parcours est nettement moins balisé. Ce chapitre a pour but d’inscrire notre recherche dans une possible sociologie des homosexualités prenant le parti d’une entrée analytique et méthodologique singulière, celle de l’espace. Dans une démarche symétrique au chapitre précédent, il s’agira alors de comprendre comment dans ce domaine de recherches instable, la question de l’espace et des pratiques de la ville s’est progressivement constituée comme une piste de recherche et comment cette thèse envisage de prolonger et de consolider empiriquement une telle perspective scientifique.

On s’interrogera en premier lieu sur les rouages et les enjeux d’une sociologie des homosexualités. On peut comprendre les difficultés et les raisons socio-historiques du développement lacunaire de tels travaux, en partie parce qu’il s’agit d’aborder un objet « anormal » et resté illégitime pendant longtemps. On peut également souligner les obstacles méthodologiques considérables auxquels fait face le sociologue dès lors qu’il aborde les homosexualités. Malgré ces difficultés, on montrera que des discours à portée sociologique ont tenté d’aborder la question homosexuelle : certains travaux constituent aujourd’hui les premiers jalons d’une sociologie des homosexualités. Les apports et les lacunes de ces travaux permettront de repenser l’homosexualité en resituant notamment son statut analytique, ses composantes collectives mais aussi individuelles, ses effets identitaires et biographiques variés construisant des manières socialement différenciées d’être homosexuel. On soulignera ensuite le caractère paradoxal de l’espace dans un tel domaine de recherches. Les contributions sociologiques, historiques, philosophiques et littéraires à la compréhension des homosexualités ont, de manière précoce, souligné l’importance des lieux, des représentations et des pratiques de l’espace dans les modes de vie et les trajectoires homosexuels. En même temps, cet espace reste souvent un support, un décor ou un cadre purement matériel dont on sait peu de choses et dont on oublie les effets propres. On proposera alors une approche sociologique des relations entre espaces et construction des identités homosexuelles. À partir d’une définition et d’un usage opératoires de la notion de socialisation, on insistera sur les dimensions spatiales de celle-ci et sur l’intérêt d’une telle conceptualisation dans le cas des homosexualités. Ces dernières analyses permettront de comprendre en quoi l’étude du rôle des gays dans la gentrification constitue un prisme d’observation fécond dans la compréhension des trajectoires homosexuelles aujourd’hui.