2. Espaces et identités homosexuelles : un rendez-vous manqué ?

Dans la connaissance sociologique des homosexualités, l’espace constitue d’emblée un moyen d’observation et un outil pour accéder à une population difficilement accessible et visible pour le sociologue, comme pour l’historien (Revenin, 2006). Cette capacité des lieux à rendre visible une population « cachée » est au cœur des problèmes méthodologiques posés par certains travaux, notamment lorsqu’ils abordent certaines pratiques sexuelles (Humphreys, 1972 ; Proth, 1998). Mais elle n’est pas qu’une question de méthode et influence de nombreux travaux examinant, depuis les années 1970, la thèse de l’émancipation homosexuelle ou abordant les processus de gestion d’une identité homosexuelle discréditée, tant à l’échelle individuelle que collective (Pollak, 1982). L’espace et la manière dont il est pensé dans les recherches sur les homosexualités est toujours pris dans cette tension entre outil méthodologique, moyen d’observation et objet d’analyse lui-même. Globalement, la littérature disponible sur les relations entre espaces et homosexualité est plutôt géographique que sociologique, cet écart diminuant depuis le milieu des années 1990 (Aldrich, 2004). Elle est plutôt une littérature anglo-saxonne et notamment nord-américaine, que française, ce retard se comblant également depuis les années 1990 (Blidon, 2008a). Ces caractéristiques ont une influence importante sur les résultats produits et leur interprétation depuis une trentaine d’années. La manière dont sont traitées les relations entre espaces et construction des identités homosexuelles pose de nombreux problèmes : on y accorde un privilège aux lieux plutôt qu’aux pratiques spatiales, on y insiste sur les dimensions symboliques et collectives de l’espace investi par les homosexuels, on s’y focalise sur des lieux homosexuels, des quartiers gays et des formes visibles et spectaculaires de présence dans la ville. Dans cette recherche, ce sont plutôt les dimensions spatiales des modes de vie homosexuels qui seront étudiées, ce qui suppose un changement de regard visant à questionner des rapports à l’espace socialement construits plutôt que des « formes spatiales » (Blidon, 2006) ou des « spatialités » (Leroy, 2009). Mais en quoi consiste précisément ce changement de regard ?