Chapitre 4 : Les commerces gays et la renaissance urbaine.

Dans la littérature anglo-saxonne, le terme « urban renaissance » désigne la manière dont un ancien quartier vétuste et désaffecté renaît de ses cendres (Dansereau, 1985 ; Carpenter, Lees, 1995). La plupart du temps, l’accent est alors mis sur la reprise des activités économiques dans le quartier, la baisse tendancielle de la vacance commerciale, la réanimation des vitrines, la fréquentation accrue des nouveaux commerces, une activité piétonnière importante mettant en valeur des modes de vie particuliers. La renaissance urbaine correspond largement aux dimensions « commerçantes » de la gentrification. En comparant le Marais des années 1960 au Marais d’aujourd’hui, on est surpris par l’ampleur des transformations des activités commerçantes, de la fréquentation et de l’animation de ses rues principales. Dans le Village, la rue Sainte-Catherine porte, elle aussi, les reflets d’une réanimation commerçante manifeste depuis deux décennies. C’est dans ce contexte que se pose la question centrale de ce chapitre : celle de la place et du rôle des commerces gays dans les transformations ayant affecté le paysage commercial de ces deux quartiers. De la fin des années 1970 au début des années 2000, on peut montrer qu’un tissu commercial gay naît, se développe et se structure dans le Marais, comme dans le Village. En trente ans, le commerce gay s’est progressivement constitué en secteur commercial dans ces deux espaces. Mais sa physionomie et son profil ont changé et ces évolutions ne sont pas sans lien avec une renaissance commerciale de ces quartiers, typique de la gentrification dite de consommation ou de fréquentation : elles en sont à la fois partie prenante et reflet.

On reviendra d’abord sur les conditions d’installation des commerces gays dans le Marais et le Village selon un processus en partie similaire au début des années 1980. En présentant la situation du commerce gay et les caractéristiques des quartiers investis à l’époque, on montrera que les commerces gays apparaissent alors davantage comme des pionniers à Montréal qu’à Paris. La seconde section analysera comment les commerces gays apparaissent dans les années 1990 comme des leviers de la gentrification commerciale : leur évolution propre accompagne, voire accentue en effet certains effets de la gentrification commerciale. Cette convergence repose sur différents éléments : la valorisation de modes de vie et de consommation spécifiques, le rôle des ambiances et certaines formes de ré-appropriation du passé local. On retrouve ces effets dans les deux quartiers étudiés. Enfin, à partir d’une typologie des commerces gays du Marais et du Village, on montrera que la situation actuelle apparaît contrastée. Dans les années 2000, les liens entre commerces gays et gentrification apparaissent ambigus et plus diversifiés : si certains commerces constituent des foyers persistants de gentrification, d’autres semblent relativement dissociés du processus. Ce résultat interroge en réalité les catégories même de l’analyse : celle de « commerce gay » dans un contexte difficile pour le secteur de la « pink economy », mais aussi celle de « gentrification » comme processus de renouvellement et de mobilité. Les commerces gays ont eu un rôle dans la gentrification commerciale locale mais ce rôle a évolué au cours du temps et varie aujourd’hui en fonction du contexte urbain, du type de commerces concerné et de son plus ou moins fort affichage identitaire homosexuel. Une partie des lieux évoqués, surtout en deuxième et troisième sections, est disponible en photographies en annexe 6.