3.1. Typologie des commerces gays.

Trois grands types de configurations peuvent être observées dans les deux quartiers et révèlent des relations variées entre commerce gay et processus de gentrification.

3.1.a. Des commerces gays à fort affichage identitaire.

On constate d’abord le maintien de commerces gays où l’affichage identitaire des lieux, la clientèle et l’ambiance sont fortement marqués par l’homosexualité masculine et l’identité gay, c'est-à-dire ici un ensemble de codes, de signes, de pratiques, d’attitudes et représentations, largement structuré par une orientation sexuelle homosexuelle. On distingue alors deux situations : celle des lieux de sexe et celle des autres commerces plus variés mais qualifiés d’identitaires au sens où l’homosexualité de la clientèle structure le lieu et ce qui s’y passe. Par « lieux de sexe », on désigne les saunas, sex-clubs et bars disposant de backrooms. Relativement peu présents dans les deux quartiers, ils constituent cependant des commerces très particuliers et très fréquentés. Le célèbre Dépôt, situé rue aux Ours, est « la plus grande backroom d’Europe » et attire une clientèle nombreuse quasiment à toute heure de la journée et de la nuit. Espaces dévolus à une sexualité anonyme, parfois immédiate et socialement peu légitime, ces lieux sont, par définition, structurés par une homosexualité sexuelle avant d’être sociale. Le potentiel de gentrification de tels lieux est limité par la faible ouverture des lieux sur l’espace public, des images et des pratiques de la sexualité éloignées de celles qui dominent chez les gentrifieurs, une ambiance anonyme et peu conviviale. La fréquentation de ces lieux est liée à une identité sexuelle plus qu’à des profils sociaux spécifiques. S’il est difficile de prouver statistiquement l’hétérogénéité sociale de la clientèle, elle semble manifeste dans les discours des enquêtés fréquentant ces lieux et dans l’observation des entrées/sorties du Dépôt par exemple. Parmi les commerces gays à forte composante identitaire homosexuelle, on trouve d’autres lieux à la clientèle exclusivement homosexuelle. Cette affirmation identitaire peut passer par des codes vestimentaires, corporels et sociaux alimentant l’image de lieux gays fermés et structurés par un entre-soi communautaire. On y trouve surtout des bars gays (le Stud à Montréal, l’Open Café à Paris) et des discothèques très fréquentés (le Unity du Village), mais uniquement par des gays et qui peuvent interdire l’entrée à des femmes ou à des hommes dont le portier doute qu’ils soient homosexuels. Utilisés par les médias et le sens commun pour développer l’idée d’un ghetto homosexuel, ces lieux quasi-exclusivement masculins produisent des mises en scène de l’homosexualité spectaculaires pour le passant. Les attroupements d’hommes au style vestimentaire uniforme devant le Cox, le Bear’s Den (bars situés rue des Archives et rue des Lombards) ou devant le Stud du Village traduisent cet affichage identitaire, investissant le trottoir en début de soirée et en fin de semaine, comme le montre ci-dessous la terrasse du Bear’s Den.

Illustration 3 : La terrasse du
Illustration 3 : La terrasse du Bear’s Den, rue des Lombards, Marais, Paris (Vendredi 23 Juin 2006, vers 19h).

Photographie de l’auteur

De tels lieux existent dans le Marais, surtout dans sa partie la plus « gay » aux abords de la rue Sainte-Croix de la Bretonnerie et de la rue des Archives. Ils constituent aussi aujourd’hui la plupart des bars gays du Village : le cloisonnement gays/hétérosexuels y semble d’ailleurs plus fort que dans le Marais. Dans ce cas-là, la forte composante identitaire gay ne permet pas réellement, dans les faits, un décloisonnement homo/hétéro : leur implantation dans le quartier peut gonfler les statistiques de secteurs commerciaux hôtellerie, bars, restauration, ce qui accentue les effets quantitatifs de la gentrification commerciale locale, mais, il n’y a pas ici de rencontre concrète entre les gentrifieurs hétérosexuels du quartier et les clients gays de ces établissements. La faible mixité de ces lieux et le fait qu’ils soient le plus souvent associés à la rencontre, voire à la sexualité, les rendent relativement imperméables aux pratiques et modes de consommation des populations qu’attire un quartier gentrifié. La fréquentation de ces lieux semble renvoyer d’abord au fait d’être gay avant d’être gentrifieur, quand bien même certains clients peuvent être gays et gentrifieurs à la fois. En mobilisant d’abord l’orientation sexuelle, ces commerces apparaissent peu liés aux modes de vie et aux pratiques des gentrifieurs habitant ou fréquentant le quartier, ce qui explique leur faible potentiel de gentrification.