2.3. Le rôle de la presse généraliste.

Un dernier élément décisif caractérise le rapport à la mode et son évolution depuis les années 1990. En effet, l’engouement pour ces quartiers et l’attractivité produite par les gays dépassent progressivement la seule audience homosexuelle : c’est la grande nouveauté de la seconde moitié des années 1990.

Le décloisonnement des univers homos et hétéros se manifeste d’abord, de manière discrète, par le fait que les lieux à la mode comportent certes une bonne part de lieux gays, mais pas seulement. Au milieu des années 1990, le Marais et le Village font aussi l’événement au-delà des seuls lieux et des seuls événements gays. Cette tendance, on l’a déjà compris, est plus marquée dans le Marais que dans le Village, où la mixité est, de fait, moins présente. La presse gay s’intéresse alors à certains lieux et certains événements du quartier qui, sans être explicitement « gays », constituent des adresses et des sorties de choix. Certains commerces du Marais sont ainsi valorisés dans la presse gay parisienne des années 1995-2005. On peut citer la boutique de thé Mariage Frères, les cinémas du quartier, les terrasses non gays de la place du Marché Sainte-Catherine et le marché des Enfants-Rouges (3ème arrondissement). Souvent associés à des produits de qualité, de luxe, des ambiances agréables ou des références culturelles légitimes, ces lieux sont prisés par les gentrifieurs du quartier. Par exemple, Têtu consacre un long article à la rétrospective des photographes gays Pierre et Gilles à la Maison Européenne de la photograhie en 1996 (Têtu, n° 9, 1996). Le lieu n’est pas « gay » mais il est situé dans le Marais et constitue un exemple de lieu culturel ultra-légitime et très à la mode pour les férus de photographie et de culture. Si l’homosexualité déborde des seuls bars et commerces identitaires pour investir des lieux et des événements à la mode dans le quartier, l’image du Marais branché dépasse aussi, au moins ponctuellement, celle du Marais gay, y compris pour la presse gay.

De manière plus décisive, l’emballement médiatique autour du Marais et du Village depuis le milieu des années 1990, est renforcé par d’autres, en l’occurrence la presse généraliste qui commence à décrire avec enthousiasme et curiosité ce qui se passe dans ces quartiers. Cette tendance est surtout valable pour le Marais car la presse généraliste montréalaise a depuis plusieurs années déjà signalé le renouveau du Centre-Sud et l’a presque uniquement abordé à travers la présence gay. Plusieurs éléments distinguent donc Montréal et Paris à ce sujet. D’abord, l’image du Centre-Sud renaissant sous l’influence des gays est plus précoce et quasiment exclusive pour la presse généraliste de Montréal. Elle apparaît dès le milieu des années 1980 et peut occuper la Une des journaux. Lorsqu’on y parle de renaissance ou de réveil du quartier, on évoque presque exclusivement les gays : populations, commerces, initiatives des associations et des commerçants gays. Le réveil du Village est donc essentiellement l’œuvre des gays, ce qui est bien différent à Paris. Ensuite, ce « réveil » repose souvent, pour la presse généraliste comme pour la presse gay, sur deux dimensions propres aux populations homosexuelles : des attributs socio-économiques (revenus supérieurs à la moyenne, taille réduite du ménage) et une identité collective en gestation (drapeaux arc-en-ciel en photographie, initiatives et structures associatives). On insiste beaucoup sur leur aisance financière et ses effets sur le quartier:

‘« Rose ou vert, un dollar est un dollar…
Andreas Bousioutis, propriétaire du restaurant Crystal, 1140 est Sainte-Catherine explique : « Dans le passé ma clientèle était composée d’assistés sociaux et de danseuses à gogo, avec les gais c’est bien mieux ! Ils ont un meilleur pouvoir d’achat. Même ceux qui ne font que 200$ par semaine puisqu’ils n’ont pas à partager ce revenu avec une femme et des enfants ». Selon Bousioutis, les gais sont en train de transformer un quartier pauvre en quartier prospère, grouillant de consommateurs. Il dit aussi que les gais « donnent vie et couleurs à la nuit. » » (Le Journal de Montréal, 24/06/1986)

L’image du renouveau du Village laisse d’ailleurs relativement peu de place aux conflits : s’ils existent, ils sont moins relayés par la presse généraliste qui en fait souvent l’occasion de soutenir les gays plutôt que les opposants à leur implantation dans le quartier.

Dans le corpus français, le rôle de la presse généraliste semble plus tardif et plus complexe que celui de la presse montréalaise. Globalement, à Paris, la presse généraliste fait du Marais un quartier à la mode nettement plus tard que la presse gay et enregistre avec retard la présence homosexuelle locale :

‘« Á l’angle du passage de la rue des rosiers, personne ne s’offusque de voir cheminer, la main dans la main, un couple d’homosexuels. Car le Marais est aussi, aujourd’hui, la nouvelle terre d’élection de la communauté gay de Paris » (France Soir, 27/08/1996)

Cela confirme certains aphorismes de la presse gay à l’égard des « hétéros » selon lesquels « les gays lancent la mode, les hétéros suivent » (Gay Infos, n°27-28,1987). C’est l’une des idées directrices de la presse généraliste que l’on peut résumer ainsi : les gays sont plus avant-gardistes et plus « branchés » que les autres, ils fréquentent tel quartier, donc ce quartier est branché et il faut y aller. Cette image imprègne les discours hétérosexuels des mondes de la nuit et de la culture au sujet des homosexuels. Dans une interview à Gai Pied, Régine, figure célèbre des nuits parisiennes des années 1980, déclarait ainsi : « Je considère qu’une soirée sans homosexuels est une soirée ratée » (Gai Pied, n°178-179, 1985). Cette représentation des gays comme plus-value émerge dans la presse généraliste au milieu des années 1990 et devient omniprésente dans les années 1998-2005. La presse généraliste contribue alors largement à la fabrication d’une image du Marais, associant ses aspects gay et « branché ». Cet élément est, selon nous, décisif : si la présence des gays dans un quartier a un pouvoir « gentrifiant » particulier, c’est aussi parce l’ensemble des médias l’envisage comme une plus-value, un indicateur du statut branché d’un quartier.

Á Paris, les gays ne sont pas le seul objet d’attention de la presse généraliste lorsqu’elle célèbre la renaissance, l’animation et l’aspect branché du Marais. L’engouement médiatique pour le quartier se construit aussi sur des éléments plus classiques des logiques de la gentrification41 sur la période 1995-2005. Les échéances électorales municipales de 1995 et 2001 suscitent une profusion d’articles décrivant les mutations sociologiques parisiennes offrant les conditions de l’alternance politique droite-gauche à Paris. Dans ce contexte, Le Parisien, le Figaro et Libération s’intéressent à certains ressorts et certains effets de la gentrification parisienne : or, le Marais occupe une place relativement centrale dans ce moment médiatique. De nombreux articles sont consacrés à des dimensions centrales de la gentrification sans mentionner la présence homosexuelle dans les années 1989-1995 : on insiste sur la restauration architecturale, la renaissance commerciale et patrimoniale, les enjeux de la sauvegarde d’un quartier historique. On peut citer quelques articles centrés sur ces sujets : « Derrière les portes, les secrets du Marais » (Le journal du Dimanche, 6/11/1989), « Les habits neufs du Marais » (Le Monde, 11/05/1989), « Le Marais : une renaissance inespérée » (Le quotidien de Paris, 9/12/1992),  « Le secteur sauvegardé protège-t-il le Marais ? », (Figaro, 19/11/1993) ou encore « Le Marais devient intouchable » (Le Parisien, 11/01/1994). Si les gays sont encore absents du texte, on les devine en filigrane dans certaines descriptions des changements en cours :

‘« Les petits commerçants ont été les premiers à le ressentir. Ainsi, le jeune boucher de la rue des Francs-Bourgeois, Eric X, n’a résisté que deux ans : « mon chiffre d’affaires a baissé de plus de 50% et je suis obligé de partir ». La raison de ce départ est simple : « je n’ai plus de clientèle familiale » […] Les nouveaux habitants du 4ème n’ont plus du tout les mêmes caractéristiques, ni les mêmes habitudes de vie : ils sont jeunes, ne mangent pratiquement jamais à la maison…sauf des surgelés !» (« Turistico ! », Le Parisien, 21/09/1989)

Á partir des années 1995-96, on insiste de plus en plus sur la réanimation tous azimuts du Marais, déclinée selon différentes composantes : réanimation commerçante, tourisme et muséification dénoncée par les habitants ; image du quartier village et du quartier populaire, menacée par la flambée des prix et l’embourgeoisement du quartier ; changements sociologiques rapides ; image branchée, ouverture de lieux culturels à la mode. La presse hebdomadaire consacre des reportages enthousiastes au quartier où l’on découvre « prestige » et « esprit village », « shopping » et « beaux-arts » :

‘« Trait d’union entre la Seine et le Marais des hôtels prestigieux, entre l’Hôtel de Ville et le canal de l’Arsenal, le quartier Saint-Paul cultive un esprit village à découvrir en flânant » (Marie-Claire, Mai 1994)
Article
« La rue des Francs-Bourgeois jouent l’alternance » : « La rue des Francs-Bourgeois est « la » rue à la mode et, le dimanche, tout est ouvert. Comment y trouver son bonheur entre shopping et beaux-arts » (Femina Hebdo, Juin 1997)
Dans le Parisien, 15/06/1998 : dossier consacré au 3 ème et 4 ème arrondissements : « C’est comme une petite ville de province ! » (à propos du 4 ème ) ; « C’est un vrai quartier populaire […] Les galeries de peinture tendent à remplacer les friperies. Mais le 3ème bouge encore » (Le Parisien, 15/06/1998)

Deux dimensions centrales apparaissent dans ce corpus : la réanimation commerciale et culturelle du quartier, y compris à travers l’apparition des squats culturels du 3ème arrondissement en 1997-2000, et les conflits opposant riverains, commerçants (grossistes, commerces asiatiques et commerces gays) et élus locaux. Pour ce qui est du design et des galeries d’art, le quartier semble bien « bouger » à la toute fin des années 1990 et devient l’objet d’une véritable « ruée » largement alimentée par la presse généraliste. La mode, le design et l’art ont investi le quartier comme l’explique le Figaro dès 1995 :

‘« La faute à la mode, sûrement, puisque dans ces quartiers « branchés », les commerces de fringues remplacent l’alimentaire » (Le Figaro, 15/ 06/1995)

Ce processus s’accentue encore autour du quartier Saint-Paul, de la rue Charlot et dans une version plus alternative, avec l’émergence de squats culturels dans le 3ème arrondissement. Les Echos consacrent ainsi un article à « Saint-Paul, nouveau cœur du design parisien » (17/06/2004). Libération publie un dossier consacré à « La ruée Charlot. La petite artère du Marais attire designers, galeries, restos, bobos » (14/11/2003) au moment même ou L’Express magazine décline la même idée en trois articles composant un dossier sur « Le Marais, cœur des modes » : « Le Marais branché élargit son horizon », « Qui sont les nouveaux créateurs du Marais ? », « La nouvelle vague découvre ses charmes » (23/10/2003). La presse généraliste se saisit ainsi des lieux de sortie, de la culture et du design et des bars à la mode pour renforcer l’image branchée du quartier, localisée à présent dans les parties périphériques du quartier et plus seulement au cœur du 4ème arrondissement. Un article du Figaro le rappelle, il est titré « Le haut Marais à la pointe de la mode » (24/10/2005). On évoque abondamment l’éphémère phénomène des squats artistiques et culturels du quartier du Temple et de la rue Pastourelle, dans les années 1998-2000 : « Méga-squat au cœur du Marais » (Le Journal du Dimanche, 23/03/1999), « Des artistes occupent le square du Temple » (Le Parisien, 27/04/1999), « La vie va épater la galerie », consacré à « Ici et là-bas, nouveau lieu d’art vivant, ouvert sur la rue parisienne et favorisant les rencontres » (L’Humanité, 2/03/2002). Ces éléments montrent que le Marais suscite un réel engouement dans la seconde moitié des années 1990 pour la presse généraliste. Il est caractérisé par une remise en contexte journalistique des évolutions du quartier sous les signes de la renaissance et de la réanimation, un retard relatif par rapport aux débuts des processus, un attrait pour les activités touristiques et commerciales mais surtout pour la culture, la vie de quartier et les créateurs à la mode, un décalage géographique par rapport aux épicentres de la réanimation. On constate par ailleurs que la presse généraliste se préoccupe beaucoup aussi des conflits, des tensions et des effets néfastes de la réanimation : plusieurs articles illustrent ces ambiguïtés et ces tensions typiques des processus de gentrification.

Or, au milieu de cet emballement médiatique apparaît aussi…la question gay. La presse généraliste multiplie les articles et les dossiers sur le Marais gay ou sur les effets de la présence des gays dans le quartier, en rappelant très souvent d’une part le rôle des gays dans la réanimation commerciale du quartier, d’autre part les conflits que cette présence suscite. On peut évoquer ici deux dossiers emblématiques et parus à trois ans d’intervalle dans le Nouvel Observateur : le premier en 2002, « GAY MARAIS : Ghetto ou village ? » (Le Nouvel Observateur, 28/02/2002), le second en 2005, « Le Marais du moyen-âge au quartier gay » (Le Nouvel Observateur, 12/05/2005). Dans ces deux documents, on retrouve des éléments présents dans d’autres supports généralistes : le pouvoir et l’impact économique des commerces gays, l’attrait de certains commerces gays « trendy » au-delà même de la clientèle gay, leur rôle dans les changements sociologiques du quartier et le récit relativement enchanté d’une conquête spatiale similaire aux autres quartiers gays :

‘« 20 000 clients par 24 heures ! Premier employeur du 4ème arrondissement, le commerce gay est devenu un modèle : 1000 emplois directs ! » (Le Nouvel Observateur, 28/02/2002)
« L’offre de ce tissu commercial se diversifie, avec 35 boutiques de mode ou de décoration, une quinzaine de coiffeurs, esthéticiens et autres spécialistes des soins du corps, sans oublier une pharmacie, une agence immobilière, des disquaires, des librairies. Cet ensemble forme un pôle d’attraction considérable […] Une clientèle plus mélangée qu’il n’y paraît : le samedi, nombre d’hétérosexuels se mêlent aux gays pour faire leurs achats dans des boutiques résolument trendy, ouvertes parfois jusqu’à minuit, et même le dimanche, en dépit de la réglementation. » (Le Nouvel Observateur, 28/02/2002)
« Le Marais, en dialecte politique, c’est le centre plutôt classe moyenne, et pas vraiment accro aux barricades. Eh bien, les gays du Marais, qui on conquis business et citoyenneté plénière entre Saint-Paul et la place des Vosges, ne seraient plus très loin de cette définition pépère. Du ghetto des militants, on passerait plutôt au « village » façon New York : un recentrage bobo cool qui laisse pas mal de monde sur le talus » (Le Nouvel Observateur, 28/02/2002)
« L’arrivée des gays a dopé un quartier en berne dans les années 1980 […] Partout dans le monde, les quartiers gay se forgent dans l’hypercentre des capitales, dès lors qu’il s’agit de coins délabrés pouvant être réhabilités. C’est le cas à Soho (Londres), East Village (New York) ou encore à Base Water (Sydney) » (Le Nouvel Observateur, 12/05/2005)

Les gays représentent une plus-value économique venue « doper un quartier en berne » à l’image de la plupart des autres exemples occidentaux. Non seulement de tels discours renforcent le rôle symbolique et médiatique des gays dans la gentrification du Marais mais ils l’insèrent dans une régularité internationale et historique qui renforce encore son poids. Disposant d’une audience plus large, de telles images médiatiques enregistrent autant qu’elles renforcent les processus en cours. Les termes mobilisés disent cette capacité proprement homosexuelle au pouvoir économique, à la transformation de l’espace, mais aussi ce lien particulier entre homosexualité et ambiances « trendy » ou « bobo cool ». Journalistes et observateurs mettent en relation les changements du quartier et les changements sociaux chez les gays pour les décrire en pionniers ayant à la fois conquis « quelque chose » ici et participé aux métamorphoses de cet « ici » :

‘« Il y a trente ans, les militants homos voulaient changer la société. Á Paris, c’est quasiment réussi. L’embourgeoisement a fait le reste. » (Le Nouvel Observateur, 28/02/2002)
« Si le quartier s’est métamorphosé, c’est qu’il y a eu un travail municipal, sans doute, mais aussi et d’abord l’investissement des gays. L’exemple parisien est à l’image des autres capitales : les gays ont toujours investi les quartiers les plus pourris, les plus anciens et en même temps les plus jolis » (J-F. Chassagne, in « L’avant-garde soluble dans le Marais ? », Le Nouvel Observateur, 28/02/2002)

Les gays apparaissent ainsi au cœur de la presse généraliste à travers leur poids économique et leur statut « trendy ». Ces images hétérosexuelles au sujet des gays renforcent ainsi le rôle « dopant » des gays dans la transformation des images du quartier en le publicisant davantage dans l’espace public. Cet écho est disproportionné pour certains observateurs visiblement hostiles à un tel processus, comme le maire RPR du 4ème arrondissement en 1996 :

‘« L’émergence depuis quelques années dans le 4ème d’une communauté homosexuelle structurée a trouvé ces derniers temps, auprès des médias un écho disproportionné et dangereux pour l’équilibre de notre vie locale. Prosélytisme, ostentation ou virulence conduiraient la population à faire sienne les thèses racistes et simplistes d’homophobes patentés » (P-C. Krieg, maire du 4 ème arrondissement (1983-1998), Journal du 4ème , Novembre 1996)

Depuis le milieu des années 1990, la notion d’alternative a donc vu son sens largement infléchi. L’image du Marais et du Village n’est plus tellement celle de quartiers atypiques et vecteurs de transgression dans la presse gay. On observe plutôt une institutionnalisation des lieux, des ambiances et des tendances reposant sur la consolidation de la présence gay, l’audience croissante des quartiers et le décloisonnement relatif des frontières homos/hétéros. L’engouement de la presse gay, mais aussi généraliste, participe à l’idée que ces quartiers sont au centre de nombreuses dimensions de la vie urbaine (la culture, la fête, les modes musicales et artistiques, les pratiques de consommation) et finalement au cœur des modes de vie de certains groupes sociaux, en particulier les « bobos » parisiens. Cette polarisation sur un centre névralgique cumulant culture, sorties, sociabilité et mode renvoie à la fois à l’image produite au sujet des gays et à l’image produite par les gays : elle ressemble beaucoup aux représentations de la centralité urbaine construites par les gentrifieurs. Dans le Village, les gays apparaissent comme les producteurs et, surtout, les supports essentiels de ces images attractives. Dans le Marais, les gays prennent place dans un ensemble plus large de représentations de l’attractivité. Cette différence explique sans doute l’existence et surtout la médiatisation plus importante de conflits locaux entre les gays et les « autres » dans le Marais.

Si l’image du Marais et du Village a bien partie liée avec la différence ou l’alternative, ce lien résiste mal aux changements affectant, d’une part la condition homosexuelle, d’autre part les espaces urbains concernés. Les années 1990 montrent que l’engouement concret et symbolique que connaissent les deux espaces fragilise paradoxalement leur image atypique et exceptionnelle pour s’inscrire au cœur des circuits de la mode, ayant vocation à devenir les support de normes socio-culturelles. S’effacent alors peu à peu les traces de l’alternative, de l’anormalité et de la différence selon un processus similaire au renouvellement des images des quartiers gentrifiés. La médiatisation généralisée du quartier comme lieu incontournable de l’animation urbaine correspond mal aux représentations alternatives des modes de vie gays et des lieux valorisés par la presse gay dans les années 1980. A la fin des années 1990, le Village et surtout le Marais ne semblent plus réellement constituer des quartiers alternatifs : en définissant ce qu’est la mode, ils contribueraient au contraire à la production de normes socio-culturelles dominantes chez les gays, et qui, de plus, tendraient à se diffuser auprès d’autres publics et d’autres médias. Les deux quartiers sont affectés par une banalisation tous azimuts dont les paradoxes ressemblent étrangement à ceux de la gentrification. La valorisation trouve alors son revers symbolique dans des images ambiguës illustrant une dernière thématique : celle de la désaffection.

Notes
41.

L’annexe 6 présente quelques publications de presse généraliste au sujet du Marais. La plupart des articles et références évoqués dans ce passage sont consultables dans cette annexe.