3. Conformisme, embourgeoisement et ghetto : la désaffection ?

S’il existe très tôt un discours critique à l’égard du Marais et du Village, celui-ci ne cesse de s’amplifier au fur et à mesure que la gentrification se diffuse et que ses effets se font sentir. Une dernière thématique apparaît en effet dans le corpus de presse étudié, celle de la désaffection. Ses motifs sont variables et plus nombreux en fin de période qu’en début. C’est bien à la question de la valeur d’un espace qu’on se confronte en analysant comment les représentations du Village et du Marais sont affectées par un discours beaucoup moins enchanté dans lequel le rôle des gays apparaît aussi comme une responsabilité, voire une culpabilité dans la revitalisation du quartier, dans la mesure où celle-ci à des effets négatifs, potentiels ou bien réels, au début des années 2000.

La presse gay a bien conscience des enjeux socio-économiques de la revitalisation de tels espaces : d’autres images du quartier reposent alors sur l’embourgeoisement, le conformisme et la disparition progressive d’un esprit des lieux. Une critique nostalgique aux dimensions politiques apparaît ainsi, à l’image de certaines dénonciations de la gentrification. Les gays portent cette critique mais en sont aussi objet. La figure rhétorique et symbolique du ghetto le montre par exemple clairement en posant la question de l’entre soi dans des quartiers devenus de plus en plus homogènes et qui suscitent lassitude, ennui et moquerie. Les gays sont ici, à nouveau, juges et partis. En gentrifieurs affûtés, ils proposent alors une poursuite de l’aventure spatiale en développant l’image de la fuite et de l’évitement. Puisque les quartiers gays ne disposent plus des qualités qui faisaient leur attrait, il « faut aller ailleurs » ou « faire autrement ». On mobilise alors les mêmes arguments et les mêmes images que dans le passé, mais au service, cette fois-ci, de la désaffection plutôt que de l’investissement du quartier. Les gays contribuent alors au renouvellement permanent des logiques de valorisation et de dévalorisation des espaces, à l’image des générations successives de gentrifieurs.