Conclusion

Parallèlement aux mutations de l’espace physique du quartier, on constate, au terme de ce chapitre, que le Marais et le Village sont également affectés par des changements importants au regard des images qu’ils suscitent, des discours qu’ils nourrissent et des représentations qu’ils génèrent. Depuis le début des années 1980, l’image de ces quartiers est profondément modifiée par les gays qu’ils soient producteurs ou supports de ces images. Ce double statut permet de mesurer l’ampleur du rôle qu’ils ont joué et peuvent encore jouer dans les mutations de quartiers représentant des exemples majeurs de renaissance urbaine. L’analyse des mises en scène du quartier par la presse gay et par la presse généraliste met à jour des processus proches des logiques de la gentrification. Le quartier est investi symboliquement comme un espace ressource, certaines caractéristiques accentuant sa valeur dans les années 1980. Le quartier se distingue d’autres espaces par son profil historique et sociologique singulier. Dans ce décor atypique, les normes dominantes (culturelles, sexuelles et sociales) peuvent être remises en question : la recherche de l’avant-garde et la conquête de modes de vie distinctifs semblent provisoirement possibles. De ce point de vue, les gays participent à la confirmation de certaines représentations des gentrifieurs. Le populaire, le culturel et l’authentique sont vecteurs d’alternative et d’originalité, la découverte des traces du passé et l’invention de modes de vie atypiques font l’intérêt d’un espace urbain. Á l’inverse, les pratiques, les populations et les ambiances « normales » suscitent la lassitude, l’ennui et la désaffection. Paradoxalement, l’institutionnalisation de ces nouvelles valeurs contribue à leur effacement progressif dans les deux quartiers depuis le milieu des années 1990. Selon une logique de distinction typiquement bourdieusienne, lorsque le « branché » devient trop accessible et l’original trop commun, ils perdent de leur intérêt mais surtout de leur capacité à valoriser un espace pour les gays, comme pour les gentrifieurs de type classique. Dans ce contexte, on comprend les ambiguïtés de la gaytrification du point de vue symbolique. D’une certaine manière, le rôle des gays consiste ici à faire et défaire la valeur d’un espace urbain, comme si la quête d’un « ailleurs » maintes fois exaltée semblait vaine puisque la célébration de cet « ailleurs » enfin trouvé amène progressivement à la nécessité d’ « aller ailleurs » à nouveau. Les résultats de ce chapitre confirment certaines interprétations du chapitre précédent et on peut se demander dans quelle mesure les dimensions résidentielles des processus de gaytrification, plus difficiles encore à appréhender, s’articulent à ces aspects commerciaux et symboliques. C’est l’une des questions posées dans le chapitre suivant.