Chapitre 6 : Aspects résidentiels du processus de gaytrification.

La gaytrification a aussi des ramifications dans les espaces privés du logement qui interrogent le rôle des gays dans la gentrification résidentielle d’un quartier. Nos deux terrains diffèrent beaucoup à ce sujet car la gentrification y apparaît inégale et inégalement diffusée. Dans le Marais, le processus est bien établi et les phases successives traditionnelles sont assez bien identifiables (Djirkian, 2004). Dans le Village, le processus plus limité et moins brutal aboutit à un profil de quartier mixte et intermédiaire où cohabitent gentrifieurs de type marginaux et culturels et ménages populaires (Van Criekingen, 2001). Dans ses aspects résidentiels, le processus de gaytrification ouvre la voie à deux hypothèses principales déjà évoquées. La première suppose que la présence des gays et le statut de quartier gay attirent l’ensemble des gentrifieurs, favorisant par la suite des transformations résidentielles. La présence gay constitue alors une caractéristique du cadre local favorable à la gentrification et les gays apparaissent ainsi comme des acteurs pionniers du processus. La seconde hypothèse envisage les gays comme des suiveurs et des accompagnateurs de la gentrification : la présence résidentielle des gays est envisagée alors comme un élément venant renforcer la gentrification, sous l’hypothèse que les gays présents ici aient effectivement des modes de vie et des rapports résidentiels au quartier typiques des gentrifieurs.

C’est plutôt cette deuxième piste qui est explorée dans ce chapitre à travers une interrogation sur les choix résidentiels des populations homosexuelles dans l’espace urbain. Si différents aspects résidentiels de la gaytrification seront approfondis dans les chapitres suivants, ce chapitre a pour objectif de cerner la place des gays dans les transformations du paysage sociologique résidentielle de deux anciens quartiers populaires au regard des données quantitatives construites sur leurs choix résidentiels. La thèse développée est la suivante : les gays participent par leurs pratiques résidentielles à la gentrification de certains espaces. Dans nos deux quartiers, il existe des traces de la présence résidentielle homosexuelle spécifique et de ses effets « gentrifiant ». Ces traces prennent sens au regard d’une analyse quantitative des lieux de résidence des gays qui s’inscrivent dans une géographie et des parcours spécifiques. On montre alors comment les gays participent à la gentrification, en précisant les conditions de possibilité d’une telle participation.

Dans une première section, on montrera que plusieurs indicateurs indirects permettent de penser que les gays habitent significativement dans le Marais et dans le Village. Ces indicateurs illustrent à la fois cette présence et les effets qu’elle peut avoir sur certaines dimensions de la vie du quartier. Des écarts apparaissent entre les deux terrains à ce sujet : une présence massive et visible dans le Village se distingue d’une présence moins visible mais aux effets souterrains bien réels dans le Marais. Dans une deuxième section, on partira non plus du quartier mais de la ville elle-même afin de situer la place du quartier dans les choix résidentiels des gays. Ce travail ne porte que sur le cas parisien pour des raisons d’accès aux données et pour des raisons théoriques qui renvoient au caractère abouti et idéal-typique de la gentrification du Marais. On montrera alors que les populations gays ont un poids non négligeables dans les processus de gentrification à Paris, dans le Marais, mais pas seulement. Les gays y apparaissent comme des acteurs de la gentrification car leurs choix résidentiels ne sont pas identiques aux autres populations (notamment les hommes hétérosexuels) et qu’ils s’orientent vers certains types d’espaces aux propriétés singulières. Ce lien n’est cependant pas mécanique : des effets d’âge, de génération et de positions sociales viennent le préciser et le nuancer.