2.1.c. Projection dans l’espace parisien.

Une première information concerne la comparaison globale des distributions spatiales de notre échantillon et de celle de la population masculine parisienne dans son ensemble. Le caractère ségrégatif de la répartition des groupes sociaux dans l’espace est une préoccupation constante dans l’histoire de la sociologie urbaine depuis les travaux des sociologues de Chicago (Grafmeyer, Joseph, 1984). Le calcul d’indices de ségrégation et de dissimilarité permet d’en mesurer, mais aussi d’en nuancer, l’ampleur, par exemple pour l’Ile-de-France (Préteceille, 2006). Nous appliquons ici cette démarche en calculant un indice de ségrégation entre la population de notre échantillon et celle des hommes parisiens dont les gays font partie53. Compris entre 0 et 1, plus cet indice augmente, plus la répartition de nos deux populations est dite ségrégative54. L’indice de ségrégation calculé en 2007 vaut 0,209 : il n’est pas nul, ce qui signifie qu’il y a bien une situation de ségrégation au sens strict du terme. Concrètement, il faudrait déplacer 21% des abonnés pour que les deux populations se répartissent identiquement dans Paris, soit plus d’un abonné sur cinq. Les gays parisiens de notre échantillon ne résident donc pas aux mêmes endroits que l’ensemble des hommes parisiens. Cet écart doit être relativisé à l’échelle d’une agglomération comme Paris (Grafmeyer, 1991 ; Préteceille, 1995), mais il est loin d’être négligeable.

Une seconde information concerne la distribution de l’échantillon dans l’espace parisien par arrondissements. Elle montre en premier lieu que les gays de notre échantillon ne sont pas répartis de manière équivalente dans les vingt arrondissements parisiens : des inégalités apparaissent entre des arrondissements privilégiés et des arrondissements faiblement prisés : ainsi, 12,2% des abonnés habitent dans le 11ème arrondissement contre 1% seulement dans le 8ème arrondissement.

Graphique 1 : Distribution des lieux de résidence par arrondissement, 2007.
Graphique 1 : Distribution des lieux de résidence par arrondissement, 2007.

Les écarts constatés dépendent en partie de la taille et du poids relatif de chaque arrondissement dans Paris : les arrondissements centraux sont plus petits et moins peuplés que des arrondissements comme le 15ème, le 13ème ou le 20ème arrondissement. Ces résultats bruts ne sauraient suffire à disqualifier par exemple les quatre premiers arrondissements de Paris, comme des quartiers peu habités par les gays (Blidon, 2008c). Si Marianne Blidon a observé les mêmes chiffres et les mêmes valeurs dans sa thèse de doctorat, elle n’a étrangement pas tenu compte du poids relatif des effectifs de chaque arrondissement dans l’ensemble (Blidon, 2008c, p.87) : son travail aboutit ainsi à des conclusions étranges et très partielles sur ce point. Pour neutraliser cet effet et mesurer des écarts plus significatifs, nous avons construit un indicateur spécifique : le coefficient gay de chaque arrondissement, noté λ. Son calcul rend compte de sur-représentations compte tenu du poids de chaque arrondissement au regard de la population masculine parisienne d’ensemble (encadré 7).

Encadré 7  : Le coefficient gay, calcul et interprétation.
Le coefficient gay est calculé pour chaque arrondissement à partir des données du fichier Têtu et des données du recensement général de la population de 1999. Il correspond au rapport entre deux rapports : le rapport entre effectifs d’abonnés à Têtu dans un arrondissement et effectifs d’abonnés à Têtu dans Paris, rapporté au rapport entre effectifs de la population masculine dans un arrondissement et effectifs de la population masculine dans Paris. Le coefficient gay du 1er arrondissement pour 2007 vaut : λ 1,07 = (t1,07 / T07) / (h1,99 / H99)= (11/ 385) / (8370/ 996 922)≈ 3,45
Avec : t1,07 = nombre d’individus abonnés à Têtu habitant dans le 1er arrondissement en 2007 ; T07 = nombre total d’individus abonnés à Têtu à Paris en 2007 ; h1,99 = nombre d’hommes habitant dans le 1er arrondissement en 1999 ; H99 = nombre d’hommes habitant Paris en 1999.
Ce coefficient permet de comparer le poids de l’arrondissement dans notre échantillon à celui du même arrondissement dans la population masculine parisienne. Malgré les biais de recrutement de notre échantillon, on peut alors comparer les géographies résidentielles masculines et gays dans Paris.
Si λ < 1, les gays seraient sous-représentés dans l’arrondissement. Si λ > 1, les gays y seraient sur-représentés. Plus λ augmente au-dessus de 1, plus la sur-représentation des gays serait forte.

Le calcul de λ fournit des valeurs différentes selon les arrondissements : il existe bien des sous et des sur-représentations dans l’espace parisien  et ce sont elles qui permettent de parler d’une géographie résidentielle homosexuelle spécifique. Le fichier des abonnés parisiens à Têtu donne ainsi accès à des informations inédites concernant une population gay parisienne bien spécifique : des individus relativement jeunes, actifs et occupant des positions sociales favorisées. Cette population ne se répartit pas de manière totalement aléatoire dans Paris et semble effectuer des choix résidentiels différents de l’ensemble des hommes parisiens. Quels sont les traits principaux de cette géographie résidentielle gay dans Paris ?

Notes
53.

Cette inclusion du sous-ensemble gay dans la population masculine parisienne nous oblige en toute rigueur à parler d’un « indice de ségrégation » plutôt qu’un « indice de dissimilarité » (Apparicio, 2000).

54.

Le calcul de ces indices est bien connu par ailleurs (Grafmeyer, 1991 ; Préteceille, 1995 ; Apparicio, 2000).