Conclusion

Dans le Marais et dans le Village, il existe donc des signes tangibles d’une présence gay de type résidentiel. Plusieurs indicateurs ont montré que les gays ont d’une part investi le quartier en tant que lieu de résidence et d’autre part influencé les transformations du paysage sociologique local en participant aux mutations socio-résidentielles d’anciens quartiers vétustes et peu attractifs. L’apparition d’une niche immobilière spécifiquement gay constitue un bon exemple de cet investissement spatial ayant des effets singuliers sur le devenir du quartier en cours de gentrification. Cet investissement résidentiel prend des formes variées selon les deux terrains : plus visible et plus directement relié à la gestation d’une identité collective gay à Montréal qu’à Paris, il n’est pourtant pas hégémonique et semble, surtout à Paris, se recomposer au profit d’autres quartiers depuis le milieu des années 1990. L’investissement résidentiel des quartiers gays par les gays eux-mêmes est donc à la fois manifeste et nuancé dans ses formes et sa temporalité. Replacée dans un contexte urbain plus large, l’installation résidentielle des gays dans ces quartiers est, par ailleurs, difficilement dissociable des mutations sociologiques d’ensemble du tissu résidentiel local.

Ce chapitre élargit alors encore la perspective en replaçant le quartier gay dans l’ensemble des choix résidentiels d’un échantillon de population gay dans le cas de Paris. On y découvre l’influence des environnements sociaux-culturels attractifs et/ou dissuasifs dans l’analyse d’une géographie résidentielle homosexuelles spécifiques. Les gays n’habitent pas une ville comme les autres individus et le fait d’être gay favorise l’installation dans certains environnements socio-spatiaux parmi lesquels les quartiers gentrifiés ou en cours de gentrification prennent une place importante. Cette relation statistique n’est pas mécanique et n’est clairement observable que pour certaines franges de la population gay : des générations de gays conquérants et des ménages gays disposant de ressources et de positions socioprofessionnelles très favorables. Du point de vue empirique, la relation entre choix résidentiels des gays et gentrification d’un quartier semble avérée, son interprétation est au moins double. Les quartiers gentrifiés sont privilégiés par certaines catégories de gays dont les ressources et les dispositions permettent d’y accéder alors que d’autres catégories de gays y sont moins présentes. En s’y installant et au regard de leurs profils sociaux, certains de ces gays participent au processus même de gentrification, d’où la mobilisation du terme de gaytrifieur pour les qualifier. On cherche à présent à mieux connaître leurs trajectoires, leurs modes de vie et leurs représentations : c’est l’objet de la « sociologie des gaytrifieurs » occupant la troisième partie de cette recherche.